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dignation publique & au mépris que ce vil garnement doit être aba: donné? Non, Monfieur de Drifac, me dit il, non: fi c'étoit un lâche, à la bonne heure; mais puifquet le plus mal-honnête des hommes n'en eft pas moins ce qu'on appelle parmi vous un homme de cœur, je faunai s'il en a, & s'il eft auffi brave qu'il eft infolent & cruel.

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: Comme il difoit ces mots nous vimes Rudricour paffant fous nos fenêtres pour aller au Sallon, la tête haute, le regard infultant, le chapeau fur les yeux, une longue épée au côté. Le voilà, me dit Carle: à fon retour du Sallon, je l'attends; vous me fervirez de témoin.

Je n'avois guère plus de confiance aux piftolets de Carle, qu'à l'épée du bon Pacôme. Mais le moyen de retenir un homme à qui le fang bout dans les veines! il me pria de le laiter fortir, d'un ton à ne plus me permettre de l'arrêter ; je parus lui céder, & me contentai de le fuivre. Mais en fortant du cabinet, ah quelle feène! quel tableau ! & comme il l'auroit peint lui même fa fenime, fon aimable fille, l'une a fes pieds, l'autre à fon cou, d'enchaînant de leurs bras, avec des cris, avec des larmes, avec ces mots de la Nature qui tranfpercent le cœur.... Carle y étoit infenfible. Mon ami, difot-il, mon ami eft déshonoré; il fant que je le venge ou que je meure ; & il s'arrachoit de leurs bras. Sa femme combe évanouie; fa foible & tendre enfant luiré

fiftoit encore. Elle avoit découvert les piftolets cachés fous l'habit de fon père, &, oubliant les frayeurs de fon âge, elle vouloit, parun dernier effort, le défarmer. Que faistu, lui dit-il, ma fille ; ils font chargés; & fi l'un des deux part, tu vas tuer ton père ! Elle tomba fans couleur & fans mou

vement.

Oh ça, mon cher Carle, lui dis-je, vous penfez en brave homme, il n'y a pas moyen de le diflimuler. Mais vous allez agir en fanfaron, fi en abordant votre homme au fortir du Sallon, vous le provoquez en › public; car ce fera paroître vouloir qu'on vous fépare. Voulez-vous me laiffer vous l'amener; fans bruit, en quelque lieu où vous ferez plus à votre aife? Fort bien, me dit-il avec joie, c'eft ce que je demande..

Tenez-vous donc tranquille ; &: quand vous nous verrez paffer, vous nous fuivrez. En attendant, allez fecourir vos deux fem-: mer; moi, je vais monter au Sallon.

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En effet j'y montai, & dans la forle je t vis mon homme, fa lorgnette à l'œil droit, parcourant les tableaux, & parlant des plu admirables avec un infolent mépris, au grand fcandale de trois jeunes Artistes qui le fuivoient des yeux, indignés de fon impudence. Je m'approche & me place auprès de lui, tant foit peu en arrière, pour engager de Dialogue. Je lui entends 'dire d'un tableau de Vernet: Enluminure d'évantail. Et moi, je dis : Quelle beauté ! quelle

vérité de couleur ! qui jamais a mieux peint le ciel, l'eau, l'air, & la lumière? Il me regarde du haut en bas; & s'avançant il dit d'un tableau de Deshaies : C'eft de l'art fans talent; & moi: Ce n'eft que du génie. Il lorgne un tableau de Vien, & dit: Ouvrage d'Ecolier; & moi je lui ripofte: D'Ecolier rival des grands Maîtres. Il dit d'un Lagrenaie Cela eft froid & maniéré. Oui, dis-je, froid comme l'Albane, maniéré comme le Corrège. Enfin appercevant le vide du tableau de Vanloo : Il a bien fait. de l'ôter, dit-il en fouriant, il n'y avoit rien de fi plat; & moi: Il a mal fait, il n'y avoit rien de fi fublime.

Mes répliques l'impatientoient. Il me regarde fur l'épaule une feconde fois, & dit: L'importun voifinage que celui d'un fot; & moi La fâcheufe rencontre que celle d'un fat! Alors il fe retourne, & me prenant pour un Ecolier, il me donne une croquignole. Je ne remuai point, & fans faire aucun bruit, je mis mon chapeau fur ma tête. Monfieur, lui dis-je, vous voyez cette cocarde?-Oui, je la vois.-Eh donc?

Eh donc, répliqua-t-il en me contrefaifant. Meffieurs, dis je à mes trois Artiftes qu'éronnoit ma tranquillité, voulez-vous venir faire un tour? Tous les matins avant dîner, je prends l'air aux Champs Elysées cela me met en appétit. Je m'y promene auffi quelquefois, dit mon homme; l'exercice mae fait du bien. A l'inftant je fortis avec

mes jeunes gens, à qui les yeux pétilloient

de colère.

Eh

Vanloo m'attendoit au paffage. bien? notre homme ? - Il va nous fuivre ; rendons-nous aux Champs Elyfées. Chemin faifant, Vanloo inftruifit les Artiftes de l'aventure de Pacôme; mais il ne fut rien de la mienne; je les avois priés de n'en pas dire un mot.

Rudricour ne fe fit pas at endre; & en arrivant, nous le vîmes s'avancer par une autre allée. Mais Pacôme & fon fils, qui fans doute l'avoient guetté, le fuivoient à peu de diftance, le chapeau fur la tête & l'épée au côté, pécaire ! c'étoit pour la première fois. Ah! me dit Carle en les voyant, délivrez-moi de ces deux hommeslà, ils vont fe faire tuer. Nous allâmes les joindre.

Tout beau, Meffieurs, leur dis-je, quand nous fûmes enfemble. Chacun de nous ici a fa propre querelle à vider; car, ne vous déplaife, je viens d'avoir auffi la mienne; & notre commun adverfaire commencera par moi, fi vous le trouvez bon. -Vous, Monfieur, me dit Carle? vous n'êtes ici que témoin. Je pénètre votre intention, & fens tout ce que je vous dois ; mais n'allez Fas plus loin, & croyez que fans vous nous faurons laver notre injure. -Votre injure, fort bien, lui dis je; mais la mienne? -La vôtre! Eh oui, ma croquignole. Eftce vous qui l'avez reçue? eft-ce vous qui la

vergerez

Il ne m'entendoit pas. Je lui expliquai le fait. Il voulut en douter encore; mais j'avois là mes trois témoins. Ce n'eft donc pas pour vous, lui dis-je, c'est pour moi que j'ai prié ce galant homme de venit faire un tour de promenade; & puifque c'eft moi qui l'invite, c'eft à moit de le recevoir. Je ne ferai pas long ; & dans quelques minutes je vous le livre mort ou vif.

Rudricour s'impatientoit; excufez-moi, lui dis-je en l'abordant : j'ai perdu là quelques minutes; inai: ces Mellieurs me difputoient la préféance; il a fallu leur faire entendre qu'elle m'appartenoit. Ils m'ont cédé le pas; maintenant je fuis tout à

vous.

Je vois, dit-il avec un fourire infultant, que j'ai plus d'une affaire ce matin; cxpés dions la vôtre.

A inftant il tira une épée longue d'unë” aune. Moi, je tirai aufli ma petice épée, encore vierge, car je n'avois jamais dans má jeunele badiné qu'avec le fleurer.

Nous commençons par nous efcrimer, comme en nous agaçant lun l'autre. Mais tout à coup il me détache une botte cffroyable qui alloit me percer d'outre en outre; hourenfement ma lame fit décliner la fienne de la ligne de direction; en même temps, comme il s'longcoit, & qu'n parant je ripoftai, fon ceil droit fe trouvant au bout de mon épée, s'enfila de lui

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