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IRE. ASSEMBLÉE NATIONALE LEGISLATIVE.

JOURNAL

DES DÉBATS ET DES DÉCRETS.

Séances du Lundi 28 Novembre 1791, fix heures du foir; & du Mardi 29", neuf heures du matin.

Du Lundi 28 Novembre 1791, fix heures du foir.

M. PASTORET a pris le fauteuil pendant cette Séance,

M. Tanais a été admis à la barre. Il a lu une Petition dont nous allons préfenter. l'extrait.

J'étois domicilié depuis 25 ans dans la ville du FortRoyal, Ifie Martinique; je n'ai ceffé d'y jour de l'amitié de tous les habitans qu'à l'inftant où mon zèle pour la révolution Françoise m'a fufcité la haine des Planteurs, & les perfecutions de mes débiteurs.

Ici M. Tanaïs eft entré dans le détail des faits. M. Vio-ménil avoit repouflé la cocarde nationale. Le vœu des François le manifefta cependant; & ne pouvant v réfister, il réfolut d'enfanglanter les fêtes de la Révolution. M. T: naïs fat député à la ville de Saint Pierre pour dénoncer M. Vioménil, & y demander du fecours. Les Planteurs le défendirent; ils dominèrent une Affemblée Coloniale, qui fut créée à cette époque, & dès-lors on ne ceffa d'étouf fr les progrès de la régénération, tandis que les patriotes gémiffoient dans l'humiliation, & étoient en proie aux horreurs de la guerre. M. Damas remplaça M. Vioménil. D'adord

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on le déclara imbécille; & deftitué par l'Affen blée Coloniale, il fut rétabli par elle pour exécuter fes volontés.

Au mois de Septembre, les patriotes purent fe faire entendre. M. Damas & le Directoire de l'Affemblée Coloniale étoient au Fort-Royal, environnés des Mulâtres qu'ils trompoient, & des Noirs qu'ils avoient armés. M. Tanaïs leur poria, de la part des Concitoyens, des paroles de paix, qu'ils repoufsèrent, fidèles aux inftructions que leur donnoit dans la lettre du 15 Juin 1790, leur Député extraordinaire auprès de l'Aflemblée conftituante: Je vous avertis, difoit il, que vous n'aurez jamais que ce que vous prendrez: prenez donc, & foyez inflexibles; le moment des réclamations violentes eft venu pour vous comme pour toute la France.... J'irai parmi vous comme ce Matelot Anglois qui, mutilé par les Espagnols, se préfenta à la barre du Parlement, encore tout enfanglonté, & détermina la guerre. Elle a eu lieu en effet, la guerre, & elle a été horrible.

Le 25 Septembre, les patriotes tombèrent dans une embufcade, cù la plupart furent inhumainement massacrés. M. Tanaïs accompagnoit les vivres ; il fut pris, dépouillé de fon argent & de fes habits, accablé d'injures, percé de coups de baïonnettes, & frappé de coups de fabre. Il demandoit la mort dans ce moment affreux; fes ennemis vouloient auffi la lui donner; deux Mulâtres le fauvèrent.

Cependant il fut mis aux ceps avec d'autres prisonniers, dans une écurie, avec des prifonniers que des maux de toutes les espèces affligeoient. La garde de tous fut confiée à deux blancs, dont la conduite atroce ne peut s'exprimer. M. Tanaïs attendoit la mort à chaque inftant. On le foignoit pour lui faire déclarer de prétendues confpirations dont il n'avoit jamais eu connoiffance. Enfin, dans un moment de défelpoir, il regrettoit de ne s'être pas brûlé la cervelle, & l'on eut la barbarie de lui porter un piftolet, de le charger devant lui, & de lui dire enfuite que ce n'étoit que pour l'éprouver.

Cinq mois & demi d'une captivité auffi cruelle s'étoient écoulés. M. Béhague arriva à la Martinique. Les fecours

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donnés à l'Affemblée Coloniale par MM. Rivière & Or leans entretenoient la guerre contre les patriotes. M. Tanaïs écrivit aux Commiffaues civils pour demander à être transferé au Fort Royal & y être jugé l'on ne pouvoit plus fe fouftraire à cette jufte demande. Cependant M. Tanaïs & ceux qui étoient détenus avec lui, farent liés deux à deux & conduits comme en trophée au milieu des plus cruelles injures; on les jeta enfuite dans un bateau en rade du Fort-Royal, entre deux vaiffeaux de ligne; M. Béhague avoit défendu de les laiffer écrire; ils couchoient fur des pierres.

Enfin, M. Tanaïs a été mis en liberté. On l'a cependant prévenu de ne point aller au Fort Royal, parcequ'il courroit le rifque d'y perdre la vie. Un Commis, qui s'étoit chargé d'y faire pour lui des recouvremens, vient dans ce moment d'être obligé de s'expatrier avec toute fa famille.

M. Tanaïs a réclamé le dédommagement de ce qu'il a perdu & fouffert en foutenant la caufe de la liberté, & il a demandé pour la Nation Françoife, que l'Affemblée la vengeât des outrages qui lui ont été faits à la Martinique par les ennemis de la Conftitution.

Deux Citoyens, l'un ci devant Chanoine de Tours, & actuellement Maire de la ville de Nogent-le-Rotrou, ont été admis à la barre.

Ils fe font plaints de l'exiftence d'un bureau d'adminif tration de l'Hôtel-Dieu de ladite Ville; ils ont dénoncé tous ceux qui le compofoient, comme étant on devant être ennemis de la nouvelle Conftitution; ils ont dénoncé le District & le Département, qui avoient écarté toutes les réclamations faites à cet égard par la Municipalité. Cette affaire, ont-ils dit, a divife les Citoyens de Nogent, & l'iffue pourroit en être fâcheufe: ils ont remis en conféquence une pétition fignée de plus de 300 Citoyens.

M. Léopold s'eft auffitôt levé pour demander que cette pétition fût promptement renvoyée à un Comité quelconque, pour favoir qui, des autorités conftituées ou des Pétitionnaires, méritoit la confiance publique.

Un Membre en a demandé le renvoi au Comité de Lé

giflation, qui feroit chargé de faire un prompt rapport. M. François a obfervé qu'il falloit faire une loi générale pour ces fortes de bureaux, qui exiftoient encore dans beaucoup de Villes du Royaume; que leur organisation étoit entièrement conforme à l'ancienne diftinction d'ordres, qu'il falloir pour toujours faire difparoître. Le renvoi demandé a été ordonné, & les Pétitionnaires ont eu les honneurs de la Seance.

Un Citoyen Hollandois, réfugié, a été admis à la barre. Il a demandé pour lui & pour les patriotes Hollandois, penfionnés par l'Etat, de manger leurs penfions par-tout cù ils voudroient dans le Royaume, & il a fait don à la Nation de l'arriéré des penfions qui n'ont pas été payées. Il a été ordonné qu'il feroit fait mention honorable de cette pétition au Frocès-verbal.

M. Goffuin en a demande le renvoi aux Comités Diplomatique & des Pétitions, réunis. Il a été décrété. Plufieurs autres Pétitionnaires ont été admis à la barre." Un Membre a renouvelé la motion déjà faite plufieurs fois, d'affujétir les Petitionnaires à communiquer leurs pétitions avant d'être admis: il a dit que par ce moyen on économiseroit un temps très-précieux que la longueur des pétitions faifoit perdre à l'Affemblée. Cette motion a été adoptée.

M. Rovere, Député d'Avignon, a paru à la barre. Il a cherché à défendre l'honneur des Patriotes Avignonois qui ont été inculpés; il a rappelé des faits déjà connus, dont pour cette raiion nous ne parlerons pas.

Le Miniftre de la Guerre a annoncé à l'Assemblée, que, fur la demande du Directoire du Département de la Somme, le Roi s'étoit dérerminé à envoyer dans ce Département plufieurs Efcadrons de Cavalerie pour protéger la circulation des grains. Il a envoyé en même temps l'ordre de la marche de ces divers Elcadrons.

L'Affemblée a décrété qu'elle autorifoit les démarches faites par le Miniftre.

La Séance a été levée.

Du Mardi 29 Novembre 1791, neuf heures du matin.

UNE lettre fignée Vernier, au nom des Adminiftrateurs du Departement du Jura, a fait l'éloge du Décret fur les émigrans; les Adminiftrateurs proteftent de leur attachement à la Conftitution. L'Affemblée a applaudi, & a décrété une mention honorable, & l'infertion au procèsverbal.

M. Taillefer a lu une Adreffe des Administrateurs du District de Sarlat, qui réclame contre la quotite des contributions impofées fur ce District. L'Affemblée l'a renvoyée au Comité des Contributions publiques.

Un Membre a fait la motion de délibérer, Séance tenante, fur la Députation à faire au Roi, proposée par M. Daverhoult. Cette propofition n'a pas eu de íuite.

On a lu des rédactions de Decrets déjà rendus. Un Membre a follicité enfuite que l'on s'occupât à l'inftant de la rédaction du dernier article fur les Prêtres féditieux, afin de terminer une Loi qui peut feule calmer les troubles qui menacent la France, & qui eft follicitée par tous les bons Citoyens de l'Empire.

Cependant M. Cambon demandoit la parole, au nom du Comité de Trésorerie. On a décrété qu'il l'obtiendroit ce foir au commencement de la Séance; & la priorité de difcuffion a été accordée au Comité de Législation, fur les Prêtres féditieux.

On a propofé de décréter, fans défemparer, tous les articles relatifs aux Pretres. On propofoir autli de décréter, fans défemparer, le projet de M. Daverhoult. La question préalable a été demandée fur la première propofition.

Après une épreuve, M. le Préfident a prononcé qu'il y avoit lieu à délibérer. Une feconde épreuve a été faite, & a confirmé la première.

M. Chéron a dit que puifqu'il y avoit lieu à délibérer, il demandoit à parler. Chaque fois, a-t il dit, que nous décidons de décréter fans défemparer, c'eft comme fi nous

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