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DES

TRAVAUX PRÉPARATOIRES

DU

CODE CIVIL.

DISCUSSIONS,

MOTIFS, RAPPORTS ET DISCOURS.

LIVRE PREMIER.

DES PERSONNES.

TITRE PREMIER.

De la jouissance et de la privation des droits civils.

DISCUSSION DU CONSEIL D'ÉTAT.

(Procès-verbal de la séance da 6 thermidor an IX.

-

25 juillet 1801.)

M. BOULAY présente à la discussion le chapitre Ier du projet
de loi sur les personnes qui jouissent des droits civils et sur celles

qui n'en jouissent pas.

"

Ce chapitre est ainsi conçu :

Art. 1er. « Toute personne née d'un Français et en France, 8

jouit de tous les droits résultant de la loi civile française,

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8

" à moins qu'il n'en ait perdu l'exercice par les causes ci-après

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Art. 2. « Tout enfant né en pays étranger, d'un Français, "est Français.

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Celui né en pays étranger, d'un Français qui avait abdiqué sa patrie, peut toujours recouvrer la qualité de Français, en faisant la déclaration qu'il entend faire son domicile <<< en France.

« Cette déclaration doit être faite sur le registre de la, «< commune où il vient s'établir.

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Art. 3. « L'exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s'acquiert et ne se conserve « que conformément à la loi constitutionnelle. »

LE CONSUL CAMBACÉRÈS demande si l'enfant né d'une mère française et d'un père inconnu, jouira en France des droits civils.

M. TRONCHET répond que, lorsque le père est inconnu, l'enfant suit la condition de la mère. Cependant, il trouve les deux articles incomplets: ils n'ont pour objet que les enfans de Français nés en France ou dans le pays étranger; 9 il faut prononcer encore sur l'enfant né en France d'un père étranger. La faveur de la population a toujours fait regarder ces individus comme Français, pourvu que par une déclaration ils exprimassent la volonté de l'être.

M. BOULAY ajoute qu'on peut d'autant moins refuser les droits civils au fils de l'étranger, lorsqu'il naît en France, que la Constitution lui donne les droits politiques.

LE PREMIER CONSUL propose de rédiger ainsi : « « dividu né en France est Français.

Tout in

M. TRONCHET Observe que le fait de la naissance sur le territoire français ne donne que l'aptitude d'acquérir la jouissance des droits civils; mais cette jouissance ne doit appartenir qu'à celui qui déclare la vouloir accepter.

M. BERLIER, pour résoudre la difficulté du Consul Camba

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cérès, propose la rédaction suivante : « Toute personne née en France d'un père ou d'une mère non étrangers, jouit, etc. » M. TRONCHET insiste pour qu'on statue sur l'enfant né en 9 France d'un père étranger. Il observe qu'un tel individu n'acquiert les droits politiques qu'à l'âge de vingt-un ans; qu'on ne peut laisser son état en suspens jusqu'à cette époque; qu'il est même possible qu'il ait les droits civils sans avoir des droits politiques.

LE PREMIER CONSUL demande quel inconvénient il y aurait à le reconnaître pour Français sous le rapport du droit civil. Il ne peut y avoir que de l'avantage à étendre l'empire des lois civiles françaises : ainsi, au lieu d'établir que l'individu né en France d'un père étranger n'obtiendra les droits civils que lorsqu'il aura déclaré vouloir en jouir, on pourrait décider qu'il n'en est privé que lorsqu'il y renonce formelle

ment.

M. TRONCHET dit que les rédacteurs du projet de loi se sont conformés aux anciennes maximes sur l'état civil des étrangers, pour ne rien préjuger en faveur des principes de l'Assemblée constituante, qui a admis tous les étrangers indistinctement à la jouissance des droits civils, sans aucune condition de réciprocité. Autrefois cette dernière condition, même dans ce cas, ne permettait à l'étranger de recueillir des successions, qu'autant qu'il en faisait emploi dans l'étendue du territoire français.

M. ROEDERER dit qu'au 6 août 1789, l'Assemblée constituante trouva le droit d'aubaine aboli à l'égard d'un grand nombre de puissances. Cependant le fisc retenait un dixième des successions que recueillaient les étrangers; c'était ce qu'on nommait le droit de détraction. L'Assemblée a aboli le droit d'aubaine, et même le droit de détraction, d'une manière générale et sans condition de réciprocité : alors la France s'est trouvée dans une position singulière à l'égard de plusieurs nations.

Par exemple, les Anglais, qui ont maintenu le droit d'au

baine, venaient recueillir des successions en France, et ne rendaient pas les successions qui s'ouvraient chez eux au profit des Français. Mais il ne s'agit pas encore de cette question; elle se lie à l'article 4 du projet. Ce que le Premier Consul propose regarde les enfans nés en France d'un père étranger. La loi civile ne peut leur accorder moins que ne leur donne la loi politique pour l'intérêt de la population. M. TRONCHET Soutient qu'on ne peut donner au fils d'un étranger la qualité de Français sans qu'il l'accepte. Cette condition ne regarde pas le mineur, parce qu'il n'a pas de volonté; mais elle doit être exigée du majeur.

LE PREMIER CONSUL dit que si les individus nés en France d'un père étranger n'étaient pas considérés comme étant de plein droit Français, alors on ne pourrait soumettre à la conscription et aux autres charges publiques les fils de ces étran➡ gers qui se sont établis en grand nombre en France, où ils sont venus comme prisonniers, ou par suite des événemens de la guerre. Le Premier Consul pense qu'on ne doit envisager la question que sous le rapport de l'intérêt de la France. Si les individus nés en France d'un père étranger n'ont pas de biens, ils ont du moins l'esprit français, les habitudes françaises; ils ont l'attachement que chacun a naturellement pour le pays qui l'a vu naître; enfin ils portent les charges publiques. S'ils ont des biens, les successions qu'ils recueillent dans l'étranger arrivent en France; celles qu'ils recueillent en France sont régies par les lois françaises; ainsi, sous tous les rapports, il y a de l'avantage à les admettre au rang des Français.

M. TRONCHET dit qu'en envisageant la question sous le rapport de l'utilité, on la réduit à ses vrais termes : mais, ajoute-t-il, il n'y a d'utilité réelle qu'autant que la France acquiert réellement l'étranger; et elle n'est sûre de l'acquérir que lorsqu'il a exprimé la volonté d'être Français s'il s'y refuse, les bénéfices qu'il fait en France, les successions qu'il y recueille, tournent en entier au profit de la patrie de son

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