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J'ENTENDS par cette Egalité celle où la loi met tous les membres d'une

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même cité par rapport à ce qu'elle ordonne ou défend. Elle eft de l'effence de tout corps politique; tous indiftinctement doivent être foumis aux mêmes obligations, & il n'eft pas permis au législateur de charger un citoyen d'un fardeau qu'il n'auroit pas imposé à un autre outre cette forte d'Egalité qui fait le fond & le nœud de l'affociation, il en est une autre qui renforce ou diminue la premiere, felon qu'elle fe trouve plus ou moins dans la république; je parle de l'Egalité de puiflance & de richeffe. On comprend aifément que fi, à l'égard de ces deux objets, il regne une trop grande difproportion entre les citoyens elle ne peut manquer de faire pencher la balance de la légiflation, & de rompre par conféquent l'unité du corps focial, ce qui ne peut qu'en amener tôt ou tard la diffolution totale. Cette maladie, qui eft inhérente à la plupart des Etats, doit fon origine aux circonftances qui donnerent l'être à la fociété civile; en effet il exiftoit des puiffans & des riches avant que les hommes euffent jugé à propos de s'unir par des conventions expreffes & mutuelles, & tandis que les loix naturelles étoient encore l'unique regle de conduite qu'ils euffent les uns à l'égard des autres. Ces loix étant devenues infuffifantes pour mettre un frein aux paffions deftructives qui caufoient le malheur du genrehumain, il fut néceffaire de chercher à réunir des intérêts oppofés, dont le choc terrible rendoit la terre un féjour de défolation. Le contrat focial fut le remede par lequel des hommes fages réuffirent à faire ceffer le défordre. Par cette inftitution falutaire, des volontés & des forces, que la désharmonie rendoit nulles, acquirent, par leur jonction, une énergie & une activité confidérable; la puiffance publique protégea la foibleffe particuliere, & la loi mettant au même niveau le riche & le pauvre, chacun refpecta les droits d'autrui, & nul ne craignit de voir empiéter fur les fiens. Telle dut être au moins l'intention des premiers qui pafferent de l'état de nature dans l'état civil.

Mais la plupart de ces établiffemens ayant été faits à la hâte, & fans. qu'on eût fuffifamment réfléchi fur l'effence & fur les propriétés de l'être moral auquel les nouvelles conventions alloient donner naiffance, & fur les moyens de lui affurer une longue durée, le corps politique fut dans l'origine un ouvrage très-imparfait, & les citoyens croyant y remédier, en ajoutant de temps à autre quelque nouvelle piece de rapport, ne firent qu'augmenter la confufion, rendirent la fociété une espece de chaos, rudis indigeftaque moles, & ce corps manquant d'unité, commença dès-lors à tendre fortement à fa diffolution.

On auroit dû penser que l'inobservation des loix naturelles étant la fource

du mal auquel on vouloit remédier, on ne pouvoit entiérement couper la racine à tous les défordres, fi on ne commençoit par prendre pour base de l'état civil une entiere conformité à cette voix facrée de l'auteur de la nature, & à écarter par conféquent tout ce que la corruption des hommes avoit introduit d'étranger à leur état primitif.

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De ce nombre étoient les propriétés foncieres, qui porterent dans la fociété civile le même défordre qu'elles avoient occafionné dans l'état de nature. Car les loix n'ayant mis aucune borne à l'induftrie qui fe trouva inégalement répartie parmi les individus, il arriva par la fuite des temps que quelques citoyens fe trouverent en poffeffion de tout le territoire de la république, tandis que le plus grand nombre étoit dépouillé de fes héritages, & vivoit fans domicile dans le fein de fa patrie. Les riches, fervant alors de leur puiffance pour donner à la légiflation une impulfion à leur avantage, établirent dans le corps focial une différence défavouée par la nature. Les grands propriétaires affecterent de fe féparer du refte du peuple, qu'ils regardoient comme vil, & prirent eux-mêmes la dénomi nation de nobles & d'auguftes. Par cette vaine diftinction, fous l'extérieur d'un feul état, il s'en forma réellement deux qui fujets en apparence aux mêmes loix, furent effectivement dans l'état de nature l'un à l'égard de l'autre. Cela ne tarda pas à s'annoncer par la guerre violente qui s'alluma entre les deux partis, & qui ne finit que par l'oppreffion des foibles, & l'esclavage où les riches les réduifirent, en qualité d'ennemis, & comme par droit de conquête. Ceci nous fait voir clairement que la communauté des biens doit être la bafe du corps politique, & que c'eft le feul moyen d'éviter l'oppofition des intérêts, & de les réunir tous dans celui de la patrie. L'inftitution fociale approchera d'autant plus de fon but, que le légiflateur aura vifé à établir cette unité fi défirable. Ce fut fur ces fondemens que Licurgue établit fa république : il bannit de Sparte la richeffe & la pauvreté ; le nom des nobles, fi odieux dans un Etat libre, y devint inconnu, & l'accès des dignités fut libre à tout homme de mérite & à tout citoyen qui chériffoit fa patrie. Ce grand homme, pour refferrer les liens de la grande affociation, & brifer ceux de toutes les fociétés partielles, abolit jufqu'à la diftinction des familles. Un politique qui réfléchira fur la plus grande perfection poffible des fociétés civiles, au lieu de blâmer cette difpofition, l'admirera comme un effet de la fageffe la plus profonde. En effet, des affections qui dans les autres Etats partagent le cœur du citoyen, furent dans celui du Spartiate concentrée dans le même objet; l'amour du bien public abforba tout; & la patrie fut la divinité à laquelle il faifoit le facrifice de tous fes autres penchans.

La conftitution de Sparte me paroît le chef-d'œuvre de l'efprit humain, & le terme de la perfection politique duquel ceux qui donnent des loix aux nations doivent approcher le plus qu'il leur eft poffible. La raison pour laquelle nos inftitutions modernes feront éternellement mauvaifes

c'est

qu'elles font affifes fur des principes totalement oppofés à ceux de Licurgue, qu'elles font un agrégat d'intérêts difcordans, & d'affociations particulieres & ennemies les unes des autres, & qu'il faudroit les détruire de fond en comble pour les ramener à cette fimplicité qui fait la force & la durée du corps focial.

ÉGARDS, f. m. pl. Ménagemens ou confidérations fondées fur les circonftances, où fur le génie ou la qualité des perfonnes.

N'ALLEZ pas faire en présence d'un homme de robe, la fatyre des

gens de loi, fur-tout fi fa probité le met à couvert de tout reproche. Et quand il en mériteroit, il ne fuffit pas toujours qu'un reproche foit fondé pour juftifier celui qui le fait, s'il le fait à contre-temps & avec une aigreur maligne.

Quoiqu'on peigne communément la vérité fans voile; elle a néanmoins des nudités choquantes qu'il eft quelquefois à propos de tenir couvertes. Vous êtes devant un grand, à qui chacun s'empreffe de faire honneur: conformez-vous à l'ufage, honorez-le comme les autres; n'allez pas, comme un Quakre impudent, le tutoyer & lui parler la tête couverte. Vous ne voulez le confidérer qu'à proportion de fa vertu, de fes talens & de fon mérite perfonnel; tout l'éclat dont il eft environné, n'eft pour vous. que de la fumée & du vent à la bonne heure; mais ces honneurs que je vous confeille de lui rendre, ne font non plus que du vent & de la fumée. Je ne vous prie pas de le louer, s'il eft méprifable; de lui trouver de l'efprit, s'il eft imbécille; de flatter fon goût, s'il en manque; de vanter fes lumieres, s'il eft ignorant; vous ne rifquerez pas de compromettre votre fincérité, en ne lui rendant que des hommages muets. La fubordination, fi néceffaire pour la police d'un Etat, feroit bientôt détruite, fi le peuple, au moins en public, n'honoroit jamais les grands, qu'à proportion de ce qu'ils valent.

Hippias eft, dites-vous, un homme épais, fans génie, fans goût & fans difcernement. Vêtu autrefois d'un vil froc, il rampoit dans un cloître obfcur, juftement confondu dans la foule des reclus. Le gouvernement de fon monaftere devenu vacant par la mort du chef, une béate mal avifée, dont il dirigeoit la confcience, entreprit de le faire décorer de cette mince prééminence: fa brigue échoua; on ne jugea pas même Hippias capable d'être à la tête d'une troupe de moines. L'humble pénitente, piquée de cet affront, fut s'en venger d'une façon finguliere, ce fut en procurant au directeur un évêché. Ötez à Hippias, dites-vous, fa croix & fon rochet c'eft un fot achevé, qui ne mérite pas d'arrêter les regards d'un homme pensant.

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J'en conviendrai, s'il le faut : mais enfin il est actuellement en possesfion de cette croix & de ce rochet: or, tout cela mérite au moins de votre part un falut refpectueux. Ne conteftez point pour fi peu de chose: je vous mets affez à votre aife, en vous difpenfant de l'eftimer.

N'affectez point un air content devant un affligé qui pleure fes désaftres ou fes pertes. Gémiffez-vous vous-même de quelque revers affreux? N'allez point fatiguer de vos triftes lamentations, des favoris de la fortune, qui n'en peuvent tarir la fource.

Ce feroit infulter à la douleur d'une veuve éplorée, qui regrette un époux tendrement chéri, que de venir lui annoncer d'un air fatisfait, que votre amour eft prêt d'être couronné; qu'inceffamment vous ferez le plus heureux des époux.

Vous courez annoncer à Ménalque la faveur que le Roi vous a faite de vous décorer du cordon de fes ordres : revenez fur vos pas, la même grace vient de lui être refufée; il ne feroit pas d'humeur à partager votre joie. Il faut quelque forte d'efprit, ou du moins du jugement, pour être capable d'Egards. L'ufage du monde peut rendre un homme civil; la bonté de fon cœur peut le rendre complaifant: mais un fot fera toujours neuf dans la fcience des. Egards.

La mort vient d'arracher des bras de Fanny, un enfant aimable, gage précieux de l'amour d'un époux, qui n'eft plus. Une foule d'amis s'efforce de la confoler, ou de faire au moins, s'il eft poffible, quelque diversion à fa douleur, Alix à fon tour, vient vifiter fon amie. Mere plus fortunée elle amene avec elle les fruits vivans de fon heureuse fécondité, précieux objets de fa tendreffe & de fes complaifances, &, par malheur pour Fanny, l'unique fujet de fon entretien. Elle entame, en arrivant, le récit ennuyeux de leurs prétendues perfections, des faillies de leur imagination, de la pénétration de leur efprit, de la bonté de leur caractere, & de la régularité de leurs traits. Elle ne paroiffoit pas prête de finir, lorfque Fanny, toute entiere à fes regrets, l'interrompt par ces mots, prononcés avec quelque émotion; » Vous feriez adorable, chere Alix, fi vous aviez pour » vos amis autant d'Egards, que vous marquez de tendreffe pour vos » enfans! Vous êtes une bonne mere: mais vous êtes une mauvaise con» folatrice. «

ÉGLISE, f. f.

L'ALLIANCE ENTRE L'ÉGLISE ET L'ÉTAT;

Ou la néceffité & les juftes raisons qu'il y ait une religion établie parautorité publique, & des loix pénales, demontrées par la nature & le but des fociétés civiles, fur les principes fondamentaux du droit de la nature & des gens, en trois parties; dont la premiere traite des fociétés civiles religieufes; la feconde d'une Eglife nationale; & la troifieme des loix pénales.

L'AU

'AUTEUR de ce petit Traité, Warburton, miniftre de l'Eglife Anglicane, (a) s'est fait connoître avantageufement par plufieurs ouvrages qu'il a donnés au public. Son but dans celui-ci, eft de prouver la néceffité de conferver au clergé anglican fes privileges. Pour cet effet il examine d'abord l'origine des fociétés civile & religieufe, leur nature, leur but, & les relations qu'elles ont entr'elles.

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La plupart des théologiens prétendent, que ce qui a engagé les hommes à s'unir en corps, & à former des fociétés, étoit le fentiment de leurs befoins, & la vue de fe procurer mutuellement plufieurs avantages: Hobbes au contraire a foutenu, que c'étoit la méchanceté des hommes, dont l'état naturel eft un état de guerre, & qui, s'il n'y avoit point de frein pour les retenir, rempliroient tout de carnage & d'horreur. Notre auteur ne va pas fi loin que Hobbes; mais il ne croit pas non plus avec quelques théologiens, que la vue de fe procurer mutuellement plufieurs avantages, ait engagé les hommes à former des fociétés : felon lui, elles ont été établies pour être un remede contre l'injuftice, & on a choifi des magiftrats d'un commun confentement pour autorifer cette maxime générale, que des créatures d'un même rang, & d'une même efpece, nées pour jouir des mêmes avantages de la nature & de l'ufage des mêmes facultés, ont tous des droits égaux.

Le défir, dit-il, de leur propre confervation, qui eft le plus néceffaire & le plus vif de tous les défirs, eft imprimé aux animaux par un inftin& naturel, & à l'homme par ce même inftinct aidé de la raifon; mais foit que ce foit la faute de quelque nature plaftique, qui ne fauroit fe contenir dans de juftes bornes, foit l'abus que les hommes font de leurs libertés, l'envie de fatisfaire ce défir entraîna un déluge de maux, de violences de rapines, de meurtres: on ne crut jamais avoir pourvu fuffifamment à

(a) On fe fouviendra de cette qualité en lifant l'ouvrage & cette analyse.

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