prudence n'ait point toujours donné de ce terme large l'interprétation libérale qu'il comportait. Ainsi, pour elle, le délit disparait du moment où l'accès de la salle n'est permis qu'aux personnes munies d'une invitation personnelle. (Rej. 7 août 1863, Pat. 63, 381; Rej. 22 janvier 1869, Pat. 69, 411; - Comp. Cass., 16 décembre 1854, S. 55, 1, 77.) Ainsi, un concert gratuit, dans lequel on interprête des œuvres du domaine privé, n'a été considéré comme blâmable qu'à raison des redevances payées pour les chaises (V. Paris, 24 novembre 1876, Pat. 77, 144.) Une représentation purement gratuite ne saurait donc jamais être illicite? On doit toutefois reconnaître qu'ordinairement nos tribunaux ont donné satisfaction aux exigences de la théorie. Il suffira, pour s'en convaincre, de se reporter aux décisions judiciaires que renferme le livre de M.Pouillet aux nos 801, 802, 810, 812. Les exécutions d'œuvres musicales, faites sans le consentement de l'intéressé, donnent certainement naissance à l'action en dommages-intérêts. Mais la répression pénale atteint-elle ce méfait, en d'autres termes, l'article 428 du Code pénal peut-il recevoir application en cette hypothèse? c'est là une difficulté vivement controversée. Notre jurisprudence s'est constamment prononcée en faveur de l'extension. (V. Paris, 6 janvier 1853; Cass., 24 juin 1852.) Il en a été différemment en Belgique où nos questions, jusqu'en 1886 étaient réglées par les lois françai ses. s.(V. Cattreux, p. 93;— Bull. Ass., 1re sér., no 23, p. 28; — eod. loc., 2o sér., no 3, p. 49.) La solution à fournir peut être assez délicate. L'article 428 C. P. parle en effet de représentation d'ouvrages dramatiques et nous sommes en matière pénale où l'interprétation doit être restrictive, (Comp. Bozérian, Pat. 82, 103, Rapport sur le traité franco-belge de 1881.) L'expression employée est toutefois assez large pour comprendre les compositions musicales; car, lato sensu, elles sont œuvres dramatiques; puis un rapprochement qu'il est possible de faire avec l'article 425 C. P. prouve surabondamment qu'elles étaient entrées dans les prévisions du législateur de 1810. Pourquoi, dès lors, n'auraient-elles pas droit à la même protection que les pièces de théâtre? Il n'existerait, de cette infériorité, aucune raison suffisante et jusqu'au moment où l'on n'a point prouvé la volonté formelle des rédacteurs du Code pénal d'en agir ainsi, il parait difficile de présumer cette spoliation (V. Lacan, no 650; — Cattreux, p. 91 et suiv.). (1) La nouvelle loi espagnole consacre des solutions sensiblement analogues à celles que fournit notre jurisprudence. Son article 19 prohibe toute représentation, donnée sans les consentements requis, dans un théâtre ou dans un lieu public quelconque. Il en est de même des concerts ou spectacles organisés par des sociétés constituées sous une forme quelconque, du moment où l'on perçoit des droits d'entrée. (V. aussi 101, Réglement, 1880.) Nous préférons de beaucoup à ces diverses législations celles des pays qui, sans plus de précision, considèrent comme illicites les représentations publiques. La jurisprudence peut alors se conformer aux indications de la théorie. C'est le système français; malheureusement, nos tribunaux ont eu le tort de légitimer les exécutions gratuites données sans les autorisations prescrites. Il est à espérer qu'en Belgique les articles 15 et 16 de la loi nouvelle seront plus favorablement interprétés. (V. en ce sens : États-Unis, S. 4952, St. Rev.) (2). En Angleterre, les statuts ne contiennent pas le mot public, ni d'autres expressions équivalentes; les Cours de ce pays l'ont sous-entendu et ont fourni en nos matières une série de décisions qui semblent satisfaisantes. (V. Drone, p. 627 et suiv.) (1) Sur les lectures publiques v. no 74 et la note savante dont M. Labbé a accompagné la publication de l'arrêt de Douai (11 juillet 1882), dans l'affaire Ernst (S. 83, 2, 49).Sauf indication contraire, les lectures doivent être traitées comme de véritables représentations. Parfois cette assimilation est expressément faite (Espagne, art. 62, Règlement de 1880; — Contra, Finlande, 12, 1880). (2) Les lois américaines ne parlent point du droit d'exécution des œuvres musicales; il n'est donc garanti que par les principes du Common-Law. (V. Drone, p. 640.) 379. Il a déjà été question des boites à musique. (V. supra, p. 105 et suiv.) Pour faire échec à une solution rationnelle de nos tribunaux (1) et pour donner satisfaction aux demandes d'un pays ami, il fut voté, le 16 mars 1866, une loi ainsi conçue: << La fabrication et la vente des instruments servant à reproduire mécaniquement des airs de musique, qui sont du domaine privé, ne constituent pas le fait de contrefaçon musicale prévue et punie par la loi du 19 juillet 1793 combinée avec les articles 425 et suivants du Code pénal» (2). Quelle est la portée de cette disposition si critiquable? Pour nous, on doit l'entendre en ce sens qu'elle légitime, au détriment des compositeurs, la violation de leur droit de reproduction, mais qu'elle laisse intact leur privilège d'exécution. (V. à ce sujet : Cass. 25 juillet 1881, S. 82, 1, 92; - Amiens 24 décembre 1881, S. 82, 2, 62.) Il est facile de justifier cette interprétation; ce que la loi de 1866 soustrait à l'application rigoureuse des principes, c'est, en effet, la fabrication, la vente des instruments de musique; mais elle ne parle pas de l'exécution même des morceaux ; celle-ci reste donc soumise au droit commun. Or, bien évidemment, les compositeurs musicaux jouissent en France du droit exclusif d'exécution. (V. p. 462.) Ce motif est absolument général et pourrait servir à l'encontre du joueur d'orgues qui, pour obtenir une aumône, se plairait à moudre en public. On a présenté néanmoins contre cette idée de spirituelles observations (M. Delalande, dans son excellente Étude sur la propriété littéraire). On a dit : ce joueur ne donne point une représentation publique, puisque chacun voudrait ne pas l'entendre il n'y a pas rétribution, puisqu'on paie pour ne point entendre ces orgues de barbarie. Il n'est pas nécessaire de produire une réfutation de cet (1) Les Cours allemandes, que ne gêne pas un texte arbitraire, ont abouti aux mêmes décisions que les nôtres avant 1866. (V. J. D. I. P., 86, 433.) (2) Ce texte n'a pas été déclaré exécutoire aux colonies. (V. no 228.) aperçu trop ingénieux. Dans l'hypothèse controversée, il y a évidemment représentation publique, puisque tous peuvent et doivent entendre; cette simple constatation suffit pour que le délit existe. La loi de 1866 avait soulevé, même au moment du vote, des critiques très graves. Aussi, en 1879, le projet alors déposé supprimait indirectement les dispositions de la loi de 1866. (V. art. 6, 3o et Ch. Lyon-Caen, p. 14) (1). En présence de ce danger éventuel, les pouvoirs suisses hâtèrent le vote de la loi fédérale (1883). Son article 11, 11o, déclara que ne constitue pas une violation du droit d'auteur: « la reproduction de compositions musicales par les boites à musique et autres instruments analogues. >> Il semble résulter de ce texte, que ce qui est permis, c'est à la fois la reproduction des airs du domaine privé et leur piquage sur les rouleaux des boîtes à musique. (V. Delalande, Ann. lég., Étr., 83, 586.) Cette aggravation est absolument fâcheuse ; elle ne se remarque point dans le traité franco-suisse de 1882 (art. 14), qui a copié presque textuellement les termes de notre loi de 1866; malheureusement aussi les intéressés sont parvenus à faire consacrer leurs prétentions lors des conférences de Berne (protocole de clôture, 3°). Au surplus, cette spoliation est uniquement relative à la fabrication et à la vente des instruments de musique (2). Même ainsi restreinte, il est fâcheux que cette mesure ait trouvé place dans des accords diplomatiques et spécialement dans les textes qui régissent l'Union nouvelle. 380. Les adaptations ou dramatisations publiées, représentées ou exécutées portent atteinte aux droits légitimes des auteurs aussi, théoriquement, elles doivent être traitées. (1) En sens contraire, le rapport Bardoux proposait le maintien du statu quo. (Off., 29 mars 1881, Ch. des dép., Ann., Doc. Parl., p. 403.) ... (2) « Vu la difficulté qu'il y a à régler la question de la reproduction sonore, la commission propose que la conférence ne se prononce pas sur la question de savoir si l'exécution publique d'une œuvre musicale, au moyen d'un des instruments mentionnés au chiffre 3, est ou non licite. (V. Rapport de la commission de 1885, p. 17.) comme de véritables contrefaçons; cette assimilation formelle se rencontre même dans certaines législations. (Italie, 3, § 3, 1882; Espagne 24, 1879). En l'absence de texte spécial, cette solution doit évidemment être maintenue. (V. supra, no 75). En France, la jurisprudence est unanime en ce sens : Paris, 27 janvier 1840, aff. Alf. de Musset, Dall. V° Prop. litt., n° 187; — Paris, 6 novembre 1841, off. Victor Hugo, Blanc, p. 178; -Paris, 30 janvier 1865, Scribe, Pat. 65, 5; V. aussi, Rej., 15 janvier 1867, même affaire, Pat. 67, 63.) Il y a lieu toutefois de signaler certaines dérogations inscrites dans quelques lois; aux États-Unis, la section 4932 St. Rev. déclare que les auteurs peuvent se réserver le droit de dramatisation; il a déjà été question de cette mesure au sujet de la traduction. (V. n° 373.) Il semble que, pour le cas où une réserve expresse n'a pas été faite, la représentation d'une pièce ainsi adaptée n'est point permise. (Tinsley c. Lacy, 1, Hem. et M., 747; Drone, p. 456.) Les tribunaux n'ont pas encore eu à s'occuper de sa publication; ils adopteraient vraisemblablement une solution analogue à celle admise en Angleterre; or, d'une déclaration faite à la troisième conférence diplomatique de Berne, par un délégué de la Grande-Rretagne, il ressort que, dans ce pays, on peut représenter sur la scène un roman dramatisé sans le consentement de l'auteur, mais qu'on ne peut pas publier la dramatisation comme livre. (Comp. Actes de la troisième conférence internationale, etc., p. 17; adde, Drone, p. 457 et suiv.; Toole c. Young, 26 mai 1874, Cour du banc de la Reine, Law Rep., 9, Q B, 523.) Des décisions judiciaires, il semble résulter toutefois que l'auteur qui publie une nouvelle, un roman etc., peut obtenir le privilège des dramatisations en devançant ses confrères, sur ce point (V. Tinsley c. Lacy. 1, Hem. et M., 751, les observations du vice-chancelier Wood); même avec cette atténuation, cette théorie mérite les critiques qui lui ont été adressées. |