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Dans le cas où les lois spéciales sont muettes, quelle durée doit avoir la garantie? La question est assez vivement débattue; sans entrer dans le détail de la controverse, nous proposerions, pour les pays où la vie de l'auteur est un élément de la durée du droit, nous proposerions de déclarer la jouissance perpétuelle; on admet que l'État, la commune, les corps savants, peuvent bénéficier de certains avantages; on les considère donc comme des auteurs; les droits qu'on leur reconnaît ne peuvent disparaître avant eux: tel est en effet l'esprit général de la législation; mais s'il en est ainsi, leurs privilèges doivent être perpétuels. (Comp. Pouillet, nos 150-4.) 356. Au cas d'œuvres anonymes, les législations, d'après lesquelles la vie de l'auteur doit être une première période de jouissance, se sont crues, comme vis-à-vis de l'État, des communes, etc., dans l'impossibilité d'appliquer leur système ordinaire; elles se sont prononcées en faveur de la même modification que dans l'hypothèse précédente; croyant ne pouvoir prendre la mort d'aucune personne comme terme de la première période, elles ont employé un moyen violent elles n'ont reconnu, aux œuvres anonymes, qu'une protection restreinte au second élément de la durée ordinaire. Le prétendu motif de cette restriction dans la garantie est l'impossibilité dans laquelle on dit se trouver de déterminer la longueur de la 1re époque; si l'auteur se fait connaître (1), cet obstacle dispa

(1) Pour cela, il doit parfois employer certains procédés d'avertissements déterminés par la loi. Ainsi, en Finlande, l'intéressé doit indiquer, durant le cours du premier délai, son véritable nom sur une nouvelle édition ou par un avis trois fois inséré dans les journaux généraux du pays.

En Hongrie, la déclaration doit être faite sur un registre tenu à cet effet au ministère de l'agriculture, de l'industrie et du commerce § § 42-44.

En Norwège, le nom de l'auteur d'une œuvre anonyme ou pseudonyme est considéré comme officiellement connu du moment où il figure sur une nouvelle édition ou qu'il est annoncé dans le journal officiel norwégien (Norske Rigstidende) ou dans le journal de la librairie du Nord (Nordiske boghandlertidende) 7, 1876. Une loi du 20 juin 1882 a créé le registre d'édition; les mentions qui y sont faites sont assimilées aux faits sus rappelés.

rait; aussi, ces mêmes législations décident-elles que dans ce cas, les droits intellectuels reprennent leur longueur normale. (Danemark, 1857, § 6; 1866, 4; 1868, 3; - Finlande, 1880, 3 § 2; - Hongrie, 1884, § 13; - Norwège, 1876, 9; Portugal 583 C. C.; Suède, 1877, 8; -Allemagne, 1870,

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La commission anglaise de 1875-8 s'est montrée sympathique à ce système (V. Bowker, p. 16, col. 2).

Certains gouvernements soupçonneux craignent les œuvres anonymes telle est la véritable et unique raison à donner pour expliquer cette limitation dans la durée des droits intellectuels. On prétend que si l'on agit ainsi, c'est parce qu'il est impossible de faire autrement cette affirmation manque de base pour déterminer l'importance de la première période, il est nécessaire de s'en rapporter à la longueur d'une existence; cela est vrai pour certaines législations, mais au cas d'œuvres anonymes, le nom de l'éditeur figure sur la publication: pourquoi n'en pas tenir compte et ne pas prendre le moment de la mort du libraire comme point de départ de la seconde période? Quelques lois, conçues dans un esprit libéral, ont été rédigées dans ces idées au regard des tiers, l'éditeur a été considéré comme le véritable auteur; Belgique, 7, 1886; — adde, Mexique, 1259, 1278-9, C. C. ; — Espagne, 26, 1879; Hollande, 3, 1881; comp. p. 135.)

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Au cas de silence de la loi, ce dernier système, appuyé sur un fondement rationnel, devrait être adopté par les tribunaux. (V. pour la France, Pouillet, n° 147; pour la Suisse, Delalande, Ann. lég. étr., 83, 574, note 2, comp. art. 391, Code des obligations.)

(1) Le congrès de Bruxelles s'est montré très antipathique aux œuvres anonymes; d'après lui, les productions parues avec nom d'auteur devraient être protégées cinquante ans après la mort de celui qui les conçut et réalisa; mais au regard des autres publications, non contente de proposer la suppression du premier terme de la jouissance, la conférence a jugé bon de restreindre la seconde à trente ans,

357. - Les œuvres posthumes ont été durement traitées par presque tous les législateurs; on leur a appliqué soit le système imaginé pour les productions de l'État, etc., et pour les œuvres anonymes, soit une théorie plus rigoureuse encore: on les a toujours privées du bénéfice du premier élément de la jouissance ordinaire, et quant au second, au lieu de le faire courir du jour de la publication, on s'est parfois retourné vers le passé et on a pris comme point de départ le moment même où l'auteur était mort. Il est impossible de justifier cette pratique (V. p. 136). Sans doute, étant donné qu'ordinairement on tient compte de la durée de la vie de l'auteur, on s'exposait, si l'on considérait les héritiers comme de véritables auteurs et si l'on s'attachait à la longueur de leur existence, on s'exposait, disons-nous, à commettre de véritables injustices envers le public; c'est qu'en effet très souvent il y a plusieurs héritiers et ceux-ci sont plus jeunes que ne l'était le défunt; or, le résultat auquel on serait arrivé aurait été de reculer d'autant l'exercice des droits du domaine public. (Comp. Charpentier, p. 9); cette considération peut avoir quelque valeur à l'époque actuelle; mais il est fâcheux que pour éviter une injustice au détriment du public, on ait organisé une véritable spoliation des héritiers. Il n'en pourra être autrement que du jour où les législations changeront leur système général et s'attacheront, pour toutes les questions de durée, au moment même de la publication de l'œuvre.

Quoi qu'il en soit, on peut dire d'une manière générale, que l'on a étendu à l'hypothèse présente la solution ordinairement admise au cas de publication faite par l'État etc., et au cas d'œuvres anonymes. (Belgique, 4, 1886; - Danemark, 6, 1857; Finlande, 3 § 2, 1880; Norwège, 3, 1868; Portugal, 585 C. C.; Russie, art. 284 du Recueil des lois de

l'Empire Russe, édit., de 1857;

che, 1846; Suisse, 2, 1883.)

Suède, 10, 1876; - Autri

Quelquefois, ainsi qu'il a été annoncé, on s'attache au

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moment de la mort de l'auteur et on le choisit comme point de départ de la durée, quelque long que soit l'intervalle qui sépare cet instant de celui de la publication. (Allemagne, 12, 1870; Hongrie, 14, 1884.) (1). Telle paraît bien être la décision de la loi hollandaise (14, 1881; Comp. aussi en ce sens l'article 2 du concordat suisse de 1856, Delalande, Ann. leg. étr., 83, 573, note 2.)

En Espagne, la réponse à notre question ne se trouve point directement indiquée dans la loi pourtant si complète du 19 janvier 1879; mais il nous semble que l'éditeur d'œuvres posthumes doit jouir des mêmes droits que l'auteur lui-même et que, par suite, ses héritiers doivent bénéficier de ces avantages pendant quatre-vingts ans. L'article 27 définit les œuvres posthumes: or, l'article immédiatement antérieur donne une solution identique pour les œuvres anonymes; on peut aussi invoquer les dispositions de l'article 2 qui met au rang des auteurs les éditeurs d'oeuvres inédites, dont le titulaire n'est pas connu.

338. En France, un décret du 1er germinal an XIII a réglementé la matière des œuvres posthumes.

Quel sens faut-il attacher dans son étude à cette expression? Le premier qui se présente à l'esprit est le suivant: on doit entendre par là toute œuvre inédite, au moment de la mort de l'auteur et mise postérieurement au jour par le propriétaire du manuscrit; c'était la signification universellement attribuée à ce terme jusque dans ces derniers temps. M. Worms (t. 1o, p. 23) a proposé un autre système; il appuie sa manière de voir sur un passage du préambule; il ne considère comme œuvre posthume que celle publiée après l'expiration du droit temporaire octroyé par la législation à la famille de l'auteur.

(1) Dans ce pays « l'ouvrage qui s'édite pour la première fois plus de quarante-cinq ans après le décès de l'auteur, mais avant l'expiration de cinquante ans, jouit encore de la protection pendant cinq ans à compter de sa publication. >>

Nous ne saurions admettre cette idée toute nouvelle. Sans doute, le préambule vise uniquement le cas d'édition faite après que se sont écoulés les dix ans qui suivent la mort de l'auteur: sans doute, cette période était précisément celle pendant laquelle, au moment où fut rendu le décret, les héritiers de l'auteur avaient un droit privatif. (V. art. 2 de la loi de 1793); mais cette allusion ne paraît pas de nature à modifier le sens ordinaire de l'expression: œuvres posthumes, elle est susceptible d'une autre interprétation: le but du législateur de l'an XIII a été de favoriser la mise au jour des œuvres des auteurs morts; aussi a-t-il voulu attribuer une protection spéciale à ceux qui rendaient ce service à la société; or, ceux, vis-à-vis de qui cette promesse était particulièrement nécessaire, étaient ceux qui publiaient après l'échéance des dix ans ; les autres obtenaient de par les lois antérieures, une certaine garantie qui durait le temps restant encore à courir de cette période de dix ans; on comprend donc que la loi, en présence de la situation exceptionnellement défavorable des premiers, s'en soit spécialement occupé dans son préambule; mais les articles mêmes de cette loi ne sont pas exclusifs et, par leur généralité, s'appliquent à toutes œuvres éditées après la mort de l'auteur. (Pouillet, no 398.)

359. Pour que l'éditeur d'une œuvre posthume puisse invoquer en France le bénéfice du décret de germinal an XIII (22 mars 1805), il est nécessaire qu'il imprime séparément les œuvres posthumes; il ne peut les joindre à une nouvelle édition des ouvrages déjà parus et tombés dans le domaine public.

Dans le préambule du décret de 1852, il est fait un renvoi général à ce décret de l'an XIII; il est donc évident que cette condition sus-rappelée doit être remplie par celui qui, publiant à l'étranger des œuvres posthumes, désirerait obtenir la protection de nos lois, s'il n'y satisfaisait point, chacun pourrait les reproduire librement en France. Il en serait ainsi alors même que l'ouvrage, imprimé à l'étranger en violation de l'article

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