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168. La France avait néanmoins réussi à signer avec d'autres puissances quelques traités relatifs aux œuvres de l'intelligence. C'est ainsi que le Portugal avait conclu, dans cette même année 1851, une convention avec notre pays.

Trois mois après, le Portugal réorganisa sa législation par la loi du 8 juillet 1851 celle-ci, dans son article 32, contenait ce qui suit au point de vue du droit international : « L'auteur ou le propriétaire d'un ouvrage imprimé originairement en pays étranger, qu'il soit Portugais ou étranger, sera considéré comme régnicole en ce qui concerne le droit de poursuivre judiciairement la contrefaçon de son œuvre, portugaise ou étrangère, pourvu que le délit ait été commis sur le territoire portugais. La présente disposition ne s'appliquera qu'aux sujets des États qui, par leurs lois intérieures ou par des traités, assurent la même garantie aux ouvrages publiés en Portugal. >>

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169. Toutes ces manifestations successives de l'esprit nouveau prouvent que l'idée de la reconnaissance internationale était, en 1852, essentiellement populaire. Le président de la République, dans son exil, avait eu le loisir de s'occuper de nos questions (1); il promulgua, le 28 mars 1852, un décret dont l'importance n'échappera à personne; par lui est interdite, en France, d'une manière absolue, la contrefaçon des œuvres publiées à l'étranger.

Loin de nous l'intention d'en rabaisser le mérite; mais nous devons néanmoins dire que, dans notre pays, la question des étrangers avait été débattue depuis longtemps et que depuis longtemps leurs droits avaient été affirmés (2).

(1) Nous avons eu l'occasion de citer le passage d'une de ses lettres à M. Jobard de Bruxelles. (V. p. 28, à la note.)

(2) Comme on le verra dans la suite, nous considérons le décret de 1852 comme purement interprétatif. L'importance en est donc diminuée, si l'on se place au point de vue abstrait. Mais, comme la jurisprudence de cette époque était unanime pour dénier tout droit aux œuvres parues à l'étranger, sous ce rapport, le décret nouveau conserve tout son intérêt.

Sans examiner pour le moment la législation qui devait alors être appliquée aux étrangers, nous devons signaler quelques faits capables de montrer quel était, à ce moment, l'état de l'opinion.

La commission instituée, sous la présidence de M. Villemain, pour chercher à détruire les effets désastreux de la contrefaçon étrangère, avait proposé d'inscrire dans nos lois le principe de réciprocité. On avait même été dans le sein de cette commission jusqu'à conseiller la proclamation pure et simple du droit des auteurs étrangers.

Il ne faudrait pas croire d'ailleurs que parfois les idées saines n'étaient point obscurcies; la commission de 1836 s'était prononcée pour la règle de la réciprocité; celle du projet de 1839 (Chambre des pairs) considéra sans doute que cette pratique aurait été trop généreuse. Il est curieux de connaître les motifs mis en avant par son rapporteur Siméon. Pour ne rien enlever de leur saveur à ces prétendues raisons, nous croyons bon de transcrire cette partie de son travail: « Le gouvernement avait eu la pensée de l'étendre (la protection) même aux auteurs qui les cultivent (les lettres) en pays étrangers. C'est ainsi que les bienfaits de Louis XIV allaient chercher le mérite dans les diverses parties de l'Europe. Le but de l'article 18 du projet de loi était d'assurer à tous les ouvrages en langue française ou étrangère, publiés pour la première fois en pays étranger, soit du vivant de l'auteur, soit après sa mort, pendant un espace de temps qui serait déterminé par des traités, la protection qu'on garantit à des publications faites en France. Il ajoute ensuite que cette disposition ne serait applicable qu'à l'égard des États qui auraient accordé à la France une complète réciprocité. On voit, dans le beau rapport de l'éloquent M. Villemain adressé au ministre de l'instruction publique, au nom de la commission chargée de l'examen des questions relatives à la contrefaçon étrangère des livres français, qu'on avait été jusqu'à penser

qu'il serait digne de la France de faire à l'égard de la contrefaçon ce qu'elle a fait en 1819, pour le droit d'aubaine; de l'abolir chez elle, sans attendre de profiter elle-même au dehors de cette abolition. La commission ne tarda pourtant pas à reconnaître qu'il n'y avait que peu d'États intéressés à l'adoption de ce principe; qu'il n'y aurait à le proclamer sans condition et sans réserve, qu'une générosité apparente, qu'il valait mieux l'offrir comme gage de réciprocité et en faire la base de conventions diplomatiques sur un point qui exerce la sollicitude de toutes les nations civilisées.

<<< On se borna donc à proposer l'article 18 du projet. Votre commission l'a examiné avec d'autant plus de soin qu'elle avait à se défendre de l'entraînement des sentiments généreux qui l'avaient inspiré. Elle a considéré que la réciprocité offerte par la France ne serait acceptée que par les États qui auraient avantage à la faire et nous serait refusée par les autres.

« Le grand atelier de contrefaçon des livres français est en Belgique. Elle ne peut se dissimuler que ce commerce lui procure de gros bénéfices auxquels elle ne renoncera pas pour obtenir une réciprocité qui n'aurait aucune application à son égard. Car on n'imprime en France aucun ouvrage au détriment des auteurs ou des imprimeurs belges.

« Les seuls livres anglais réimprimés à Paris et livrés au commerce à un prix très modéré, comparativement aux éditions anglaises, offrent aux acheteurs et aux libraires français un avantage réel. En Angleterre, où la main-d'œuvre est plus chère qu'en France, on ne réimprime aucun livre français. La réciprocité entre les deux pays serait donc toute favorable aux sujets de la Grande-Bretagne et nous priverait sans aucune compensation du moyen de nous procurer à un prix raisonnable les livres en langue anglaise dont la cherté est excessive lorsqu'il faut les faire venir d'outre-mer. Votre commission s'est, en conséquence, décidée à vous proposer le rejet de cet article. Ce n'est pas sans regret qu'elle en a pris la résolution; mais

elle n'a pas dû perdre de vue qu'en opposition de ces nobles intérêts qu'elle avait pour but de protéger, il en existait de très importants, qu'un gouvernement prévoyant ne doit jamais négliger: les intérêts du commerce et du public. Nous appelons de nos vœux le moment où il sera possible de les concilier avec ceux des lettres et des auteurs de tous les pays. »

Cet enfouissement des principes n'alla pas sans susciter de grandes protestations; M. Villemain défendit vivement le projet; M. de Gérando, pour le faire adopter, invoqua l'intérêt qu'il y avait à fermer à la contrefaçon ses débouchés si l'on ne pouvait l'atteindre là où elle s'exécutait en grand; il invoqua aussi le respect dû au droit sacré des auteurs étrangers; il montra l'exemple déjà donné par certaines nations étrangères qui avaient introduit dans leurs lois le principe de la réciprocité.

Cet orateur critiqua cependant la forme donnée à cette solution par l'article 18: on le renvoya donc à la commission; il en revint légèrement modifié; il fut néanmoins rejeté : c'était d'ailleurs le sort qui était réservé à l'ensemble de ce vaste projet (V. Paquy, p. 34).

170. — En 1841, à la Chambre des députés, M. de Lamartine, rapporteur de la commission, fut d'avis de s'en tenir à la rédaction du gouvernement; d'après celle-ci, il y avait lieu de protéger sous condition de réciprocité les auteurs étrangers. On avait soulevé la question de la reconnaissance pure et simple (1).

(1) Voici d'ailleurs le passage de ce rapport qui y fait allusion. « L'Angleterre, la Russie, l'Autriche, la France, émues par des idées d'équité générale, plus que par des intérêts a peu près égaux, se montrent disposées à écrire partout ce droit public d'une propriété de plus. Le bill anglais du 31 juillet 1838 l'a déjà formellement écrit. Nous avions, nous, nation éminemment littéraire, deux moyens de hâter ce concert des gouvernements qui, pour être efficace, doit être ou devenir unanime: la rivalité ou l'initiative. La contrefa çon autorisée chez nous des nations qui nous contrefont; ou la proclamation morale et généreuse du respect de la propriété des autres chez nous, avant même que ce principe fût proclamé à notre bénéfice chez toutes les nations. L'équité naturelle dont il est toujours glorieux d'être les précurseurs, et les

Mais tout en protestant en faveur de la promulgation prochaine d'une loi internationale sur la matière, M. de Lamartine pensa qu'il était juste de s'en tenir au système de la réciprocité.

171.

La question se souleva de nouveau à l'occasion de la loi du 9 juin 1845; celle-ci avait pour but l'exécution de la convention du 23 août 1843 entre la France et la Sardaigne.

M. Vivien, dans son rapport à la Chambre des députés (Moniteur 24 juillet 1844, page 2343) disait : «On a souvent proposé de proclamer en France le droit des auteurs étrangers et de leur accorder la protection même dont jouissent nos nationaux. C'est le vœu des gens de lettres exprimé par leurs délégués et de la librairie française elle-même, bien que quelques maisons se livrent à la publication de livres étrangers; ce serait aussi notre disposition. La Belgique s'arme contre nous de notre propre législation qui ne punit point la réimpression de livres étrangers en France, et notre loi donnerait un noble exemple en consacrant spontanément et indépendamment de toute réciprocité les droits de tout auteur national ou étranger. »

172. Lors de la discussion de la loi destinée à approuver la convention franco-portugaise (Moniteur, 30 juin et 1er juillet 1851, p. 1852). M. Barthélemy Saint-Hilaire disait encore : « Je voudrais que le gouvernement français s'honorât en consacrant en France le droit des auteurs étrangers comme on garantit les droits des auteurs nationaux.

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J'ajoute que ce serait non seulement une excellente mesure et même une mesure honorable pour le caractère national; mais que, en même temps, nous porterions un tort très léger à l'industrie coupable qui vit encore chez nous de ces profits illicites et qui d'ailleurs mérite très peu de ménagement. » 173. - Ajoutons que ces idées se rencontrent aussi dans un rapport de M. Victor Lefranc. Une nouvelle convention avait intérêts les mieux éclairés sur ce qui concerne les écrivains, les imprimeurs, les libraires, étaient ici d'accord et nous demandaient avec instance et avec unanimité la proclamation même téméraire et gratuite d'un grand principe de moralité et plus élévé au-dessus des rivalités nationales... »

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