porte. Sans vouloir soutenir qu'à ce point de vue la perfection ait été atteinte, on doit reconnaitre que l'on n'en est pas trop éloigné : garantir les droits des auteurs, artistes et inventeurs au lieu de l'apparition de leur œuvre est déjà beaucoup, mais non suffisant. Toute œuvre, par sa nature même, est appelée à se répandre dans le monde entier; tout homme, en quelque lieu que ce soit, peut en retirer toutes les jouissances, toute l'utilité qu'elle renferme; partout donc, respect et rémunération sont dus aux produits du travail intellectuel (1). La loi ne doit connaître ni nationaux ni étrangers; elle ne doit connaitre que des auteurs, des artistes, des inventeurs. Sous ce rapport, les progrès, pour être constants, ont été assez lents à se réaliser : c'est donc au point de vue international qu'il est plus utile d'étudier la matière des droits intellectuels. Aussi, indiquer ce qu'ils furent, ce qu'ils sont, ce qu'ils devraient être dans les rapports internationaux, tel est le but de ce travail. A notre époque, il offre un évident intérêt d'actualité. Deux Unions récemment signées ont augmenté, dans de notables proportions, les garanties accordées en pays étranger, aux auteurs, aux artistes, aux inventeurs (2). Entre l'objet de chacune de ces unions existe une affinité (1) « C'est un des caractères principaux du droit de propriété littéraire que d'être essentiellement international; c'est aussi une des principales raisons du développement qu'a pris ce droit dans les dernières années. Comme les Lettres elles-mêmes, il ne connaît pas de barrière et comme elles il doit contribuer à détruire les derniers vestiges d'égoïsme national qui peuvent encore séparer les peuples. Les nations, mises en communication par les Lettres, par les Arts et l'Industrie, sont aujourd'hui solidaires sous le rapport de la protection qu'elles accordent aux auteurs et aux artistes. » (Laboulaye, Étude sur la propriété littéraire en France et en Angleterre, p. 86.) « La propriété littéraire et artistique a un caractère cosmopolite comme la pensée elle-même. » (Léon Renault, Arch. dipl., 2o série, t. XVI, p. 23.) Comp. Picard, Code général des brevets d'invention, Introduction, p. vi. (2)« On peut s'attendre à ce que l'une et l'autre prennent un développement très considérable, non seulement sous le rapport du nombre des adhé très intime; pour certains même, il devrait y avoir une complète confusion. Il existe néanmoins un assez grand nombre de différences de détail. Aussi, commençons-nous par faire paraitre séparément la partie de notre travail relative aux droits des auteurs et des artistes. Dans un avenir prochain, nous comptons mettre au jour le complément de cette première publication. Le droit des dessinateurs, inventeurs, etc., est tout aussi digne d'intérêt que celui des auteurs et des artistes: il a sollicité notre attention. Nous n'avons point la prétention d'avoir découvert une idée nouvelle ; notre mérite sera, nous l'espérons, d'avoir coordonné en un tout compact des matériaux disséminés en mille endroits. En notre temps où la protection internationale s'accroit de jour en jour, il sera peut-être utile aux intéressés d'être exactement renseignés sur l'importance de leurs droits dans les différents pays du monde. Mais toute pratique suppose une théorie (1). Aussi nous avons cru bon de placer au début de notre étude un aperçu des difficultés théoriques que notre sujet soulève. En agissant ainsi, nous faisons pressentir dès l'abord les différentes réformes indispensables pour la sauvegarde des droits intellectuels. Bien que parfois aride, cette partie de notre travail ne sera pas sans quelque utilité. Il serait à souhaiter que tous les législa teurs aient ainsi fait dans les exposés des motifs des lois relatives à notre espèce. L'obscurité dont celles-ci sont entourées rents, mais aussi à l'égard de l'unification du droit. » (Droz, Bibl. univ. et Rev. suisse, 1885, 3a période, t. XXVIII, p. 253.) << Lorsqu'on recherche historiquement quelle a été l'origine de ce développement considérable (du droit international privé) on ne tarde pas à reconnaître que ce sont ces droits spéciaux, mal définis, qu'on a coutume do réunir sous la dénomination très critiquable de propriété intellectuelle. » (Picard, J. D. I. P., 83, 565.) (1) Comp. De la propriété intellectuelle, par MM. Passy, Paillotet et Modeste, p. 3. et l'impossibilité pour les juges d'en combler les lacunes en se conformant à leur esprit, ont leur raison d'être unique dans cette négligence fâcheuse des législateurs eux-mêmes (1). Quand on ne sait d'où l'on vient, quand on ne sait où l'on va, comment pourrait-on se diriger au milieu de la route? (1) « C'est parce qu'on se laisse aller à éluder la discussion des principes fondamentaux que les questions restent confuses, que les lois rédigées comme au hasard et saus une pensée d'ensemble se prêtent à toutes les argumentations, que la jurisprudence flotte sans boussole.» (Renouard, Traité des droits d'auteur, t. Ir, p. 140.) «... Si la loi reste muette dans bien des cas qu'elle n'a pu prévoir, il est nécessaire que le jurisconsulte et le juge puissent, en suppléant à son silence, connaître avec précision la direction à donner à leurs études. » (V. Janlet, Étude sur la propriété artistique et littéraire, 1886, p. 4.) -Comp. Drone, A treatise on the law of property in intellectual productions, préface, p. v. Voy. pourtant Droz., J. D. I.P.,85. 167 : « L'essentiel est d'avoir la chose puisqu'il n'est pas possible d'avoir le mot. Devons-nous laisser souffrir les auteurs du fait qu'une controverse existe sur la nature de leurs droits? Ce serait imiter le pédant de la fable qui dissertait pendant que l'enfant se noyait ». Adde Pouillet, Traité de la propriété littéraire et artistique, p. 17. PREMIÈRE PARTIE THÉORIE DU DROIT DES AUTEURS ET DES ARTISTES 1. Toute œuvre littéraire, toute œuvre artistique porte le sceau de son auteur. Chacune d'elles est la manifestation extérieure d'une personnalité. Toute œuvre littéraire, toute œuvre artistique réclame, pour sa conception ou pour sa réalisation, un travail intellectuel (1). Chacune d'elles est le produit d'un travail sans lequel elle (1) Certains jurisconsultes partent de l'idée de service rendu pour aboutir à la légitimation du droit des auteurs (Morillot, p. 127, p. 145 ; De Borchgrave (Benoidt et Deschamps, p. 51); — Kant cité par Renouard, t. I, p. 457.) Nous préférons nous servir de l'idée de travail; c'est là l'opinion la plus souvent suivie. A son appui, on fait valoir l'impossibilité où l'on serait de proportionner la rémunération au service rendu (Massé, t. III, no 1417, p. 595; M. Woeste, Discussions de la loi Belge du 26 mars 1883, séance de la chambre des représentants du 19 novembre 1885 (Benoidt et Deschamps, p. 125; voy. aussi p. 129; — Lieber, p. 39.) Nous ne saurions accepter, en faveur de notre théorie, cette considération qui ne nous paraît point convaincante : il est tout aussi impossible de proportionner le salaire au travail fourni qu'il le serait de proportionner la récompense au service rendu. A défaut de service rendu, on ne peut cependant prendre d'autre base que celle du travail fourni.— Comp. Pouillet, no 16. - Pour rejeter l'idée de service rendu, il faut donc présenter d'autres motifs; les voici : si le droit pécuniaire avait sa raison d'être dans un service rendu, il devrait évidemment être reconnu au profit de celui qui rend ce service: au profit du publicateur qui parfois peut n'être pas l'auteur lui-même. — Comp. Dupré-Lasale, p. 117. — Au profit de celui-là seul qui fait paraître l'œuvre dans le pays et non de celui qui la fait éditer à l'étranger. Au pays d'apparition, le livre peut être très utile, mais sans aucun profit pour l'étranger. Nous lisons dans un arrêt de la Cour de Paris (22 nov. 1853, aff. Escriche de Ortega, D. 54. 2. 161) un considérant qui confirme ce que n'existerait pas. Toute personnalité doit être respectée; tout travail libre mérite salaire. Telles sont les sources du double droit reconnu aux auteurs et aux artistes: droit moral, droit pécuniaire. La première idée, à elle seule, sert à légitimer le droit moral. La seconde ne serait pas suffisante pour établir le droit pécuniaire sur une base inébranlable; le travail n'implique rémunération qu'autant qu'il émane d'un être libre. Comp. p. 33, note 1. Réciproquement on ne saurait partir de l'idée de respect dû à la personnalité pour en conclure le bien fondé du droit pécuniaire. Celui-ci repose donc sur une double considération. Ce point est important à noter, il s'en déduit pour l'organisation idéale du droit pécuniaire des conséquences nombreuses (V. n°3). Les deux droits se séparent l'un de l'autre, non seulement par leurs sources différentes, mais encore par leurs résultats opposés. 2. Le droit moral autorise l'auteur, l'artiste à retirer son œuvre de la circulation. Grâce à lui, chacun d'eux peut en modifier l'expression et même le fond; chacun d'eux peut aussi exiger le maintien de sa signature sur son tableau, sa statue, etc. (1). Quelques-unes de ces conséquences sont contestées nous les examinerons plus loin avec toute l'attention que leur importance réclame. - Comp. Morillot, p. 108 et suiv. (section intitulée: De la dualité des droits qui, etc.) nous venons d'avancer; le voici : « La propriété, juste récompense du génie et des efforts de l'auteur, est la compensation des avantages, quelquefois même de la gloire, dont la publication a doté le pays. Le système contraire causerait à l'industrie des gênes et des dangers sans dédommagement d'aucun genre pour la société. » S'appuyant sur ce prétendu motif, la Cour d'appel dénia toute protection à un livre qui, bien qu'imprimé en France, avait été publié en Espagne. (1) C'est en raison du droit moral des auteurs et des artistes que nous ne ferions pas tomber dans la communauté le droit pécuniaire qui leur est aussi reconnu. Il existe entre chacun de ces droits une solidarité tellement intime qu'exercer le droit pécuniaire sans le consentement de l'intéressé, entraîné forcément une violation de l'autre droit. (Voy. Lebret, Th. de doct., p. 178 et suiv.) |