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INTRODUCTION

Lorsqu'en 1881 la ville Lyon fit l'acquisition d'une partie de l'ancien claustral des Carmélites, pour établir un groupe scolaire monumental en façade sur la place Morel et la rue de Flesselles, la démolition du côté ouest du cloître fut décidée dans le but de faciliter l'aménagement des cours ¡ntérieures du nouvel édifice.

L'idée nous vint alors de compulser les annales lyonnaises (manuscrits et imprimés), dans l'espoir d'y trouver la relation historique de ce monastère, réputé au siècle dernier l'un des plus beaux monuments de la ville, et surtout célèbre par la régularité et la piété des religieuses qui l'ont habité.

Le Gallia Christiana, Severt, Bullioud, Saint-Aubin, Lamure et Menestrier ne donnent que quelques détails de peu d'importance sur sa fondation, mais par contre Clapasson a laissé une description complète et minutieuse de l'église et des tombeaux qui ornaient la chapelle de Villeroy, description que nous reproduisons textuellement dans la deuxième partie de notre travail comme étant le seul document faisant connaître l'importance de ce monument et des

richesses artistiques qu'il renfermait. Tous les historiens postérieurs à Clapasson, qui en ont parlé, n'ont fait que reproduire plus ou moins correctement la description de cet auteur; et nous ne faisons pas d'exception, même pour Collombet, lequel a seulement ajouté à sa notice sur les Carmélites, un extrait de la conversion de Mlle Gautier, d'après les mémoires de Duclos (Revue du Lyonnais, septembre 1844).

Toutefois, nous signalerons les nombreuses erreurs que renferme l'article sur les Carmélites inséré dans le tome V de l'Histoire monumentale de Lyon, par Monfalcon, imprimée en 18661.

Jusqu'à ce moment nos recherches étaient peu fructueuses, mais il nous restait encore à explorer les dépôts publics. dont les terriers, les plans de directe, les registres consu-laires, les actes des anciens chapitres religieux de la ville, les pièces qui composent les divers fonds des anciennes archives des communautés supprimées en 1790, et surtout les documents que les Révérendes Dames Carmélites ont bien voulu nous communiquer nous ont permis de recueillir les matériaux nécessaires pour reconstituer l'histoire du monastère de Notre-Dame de la Compassion.

Mais avant d'aborder notre sujet, on nous permettra de présenter, dans un exposé rapide et succint, les origines de l'Ordre auquel appartiennent les filles de sainte Therèse.

Au nord-ouest de la Palestine, entre Tyr et Césarée, près de Saint-Jean-d'Acre (la Ptolémaïs des croisades), s'élève la haute et puissante montagne du Carmel qui domine les plaines de Saaron, d'Esdrelon et de Mageddo, se déroule et vient en s'abaissant projeter un hardi promontoire sur la

1 Cet auteur confond le monastère des Carmélites avec celui des Annonciades ou Bleus-Célestes, puis, ignorant que le claustral des Annonciades a été cédé par décret du 3 février 1808 aux Religieuses de Saint-Charles, pour l'établissement de leur noviciat, il le fait occuper en 1865 par les Carmélites, dont la seule communauté établie à Lyon est située rue du Juge-de-Paix, à Fourvière.

mer de Phénicie. Ce fut sur son sommet qu'Élie confondit les faux prophètes de Baal et rétablit l'autel du Seigneur autrefois érigé en cet endroit.

Le souvenir d'Élie se conserva dans ce lieu, témoin de ses prodiges, et à la grotte où il se cachait pour se soustraire aux persécutions d'Achab et de Jézabel, qui est encore honorée de nos jours non seulement des chrétiens mais aussi des musulmans, a été adossée une chapelle qui est regardée comme la plus ancienne de toutes celles qui ont été érigées en l'honneur de la sainte Vierge elle porte le nom de Notre-Dame du Mont-Carmel.

Une tradition très ancienne et fort respectable nous montre, soit sur le Mont Carmel, soit dans les lieux voisins, une succession non interrompue de solitaires, disciples des saints prophètes Élie et Élisée. Le Carmel n'étant situé qu'à quelques milles à peine de Nazareth, la tradition veut aussi que Marie, la mère du Sauveur, ait visité les pieux habitants de la sainte montagne. Tel est, d'après les auteurs, le berceau de l'Ordre du Carmel.

Les solitaires du mont Carmel suivirent pendant plusieurs siècles les premiers usages et pratiques de la vie cenobitique, et ce ne fut que sous le pontificat d'Alexandre III qu'ils furent érigés en congrégation, sous la direction de Berthold de Malifay, leur premier prieur.

Dès la fin du XIIe siècle, ces religieux commencèrent à passer en Europe, chassés par les Sarrasins qui répandaient la terreur dans toute la Syrie et la Palestine, et qui, en 1291, détruisirent le monastère du Carmel et massacrèrent les pieux cenobites qui s'y trouvaient pendant qu'ils chantaient le Salve Regina. Mais l'ordre des Carmes avait eu le temps de se propager et d'étendre ses rameaux dans toute la chrétienté.

Le Carmel avait compté en Orient d'assez nombreux couvents de femmes, se rattachant à l'Ordre prophétique, où se

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sanctifièrent sainte Eugenie, sainte Euphrosine, sainte Vėnérande, sainte Febronie et bien d'autres. Toutefois c'est au bienheureux Jean Soreth', élu général de l'Ordre en 1452, qu'appartient l'institution des Carmélites proprement dite.

Au XVIe siècle, Dieu suscita une fille, Thérèse de Ahumada, pour rendre au Carmel son antique splendeur en rappelant ses membres à l'observation de la règle primitive dont les rigueurs avaient été successivement mitigées. Le 24 août 1562, sous le pontificat de Pie IV, le père JeanBaptiste Rubeo étant général de l'Ordre, par le zèle et par les soins de la Séraphique Mère Thérèse de Jésus, le premier couvent de la Réforme (Carmélites déchaussées) était inauguré à Avila (Espagne), sous le vocable de saint Joseph, par la pose du Très Saint Sacrement et le retour à la profession de la règle primitive.

Une des grandes préoccupations de sainte Thérèse, un de ses plus ardents désirs était que son œuvre de la Réforme s'étendit également aux religieux de l'Ordre des Carmes : saint Jean de la Croix l'aida dans son entreprise et fonda à Durvello, en 1568, le premier monastère de Carmes déchaussés.

Les couvents de la Réforme se répandirent rapidement en Espagne du vivant mème de sainte Thérèse, et à sa mort arrivée le 4 octobre 1582, dans le monastère des Carmélites d'Albe de Tormez, elle laissait trente monastères, dont seize de Carmélites qu'elle avait fondés elle-même, et quatorze de Carmes déchaussés.

En 1585, M. de Bretigny fit la première démarche pour obtenir l'introduction des Carmélites de la Réforme de sainte Thérèse en France, mais la réalisation de ce projet fut réservée à Madame Acarie, née Barbe Avrillot, que l'Église a béatifiée et dont le Carmel célèbre la fête le

1 Né à Caen en 1420 et mort à Angers en 1471.

18 avril, sous le nom de Bienheureuse Marie de l'Incarnation.

En 1604, après deux années de négociations, le Père général de la congrégation d'Espagne consentit à envoyer en France la Mère Anne de Jésus de Lobère avec cinq autres religieuses, qui étaient les Mères Isabelle des Anges, Béatrix de la Conception, Isabelle de Saint-Paul, Eléonore de Saint-Bernard, et la vénérable Anne de Saint-Barthélemy qui avait été la compagne inséparable de sainte Thérèse. Arrivées à Paris, le 15 octobre 1604, ces religieuses allèrent d'abord prier à Saint-Denis, puis le lendemain à Montmartre. Elles s'installèrent le 17 octobre dans le prieuré de Notre-Damedes-Champs, au faubourg Saint-Jacques, qui avait été disposé pour les recevoir et devenir le premier Carmel de France.

Les sujets affluèrent et l'on compta parmi les novices: Andrée Levoix, qui fut la première admise; Mme veuve Jourdain, qui avait fait le voyage d'Espagne pour amener les Carmélites en France; Mademoiselle d'Hannivel, fille du grand audiencier de France; Hortense de Marillac, fille du chancelier; Louise de Séguier, veuve du président de Bérulle et mère du cardinal; Marie de Larochefoucauld, sœur du cardinal; Mlle de Cossé-Brissac, fille du maréchal; Mme la marquise de Bréauté, sœur de Mme d'Halincourt; Mme Du Coudray; Mlle Lancri de Bains; et Me de Boys de Fontaine Marans qui, sous le nom de Madeleine de Saint-Joseph, fut la première prieure du monastère de Notre-Dame de la Compassion de Lyon.

Les fondations se succédèrent rapidement en France, et nous les avons réunies dans le tableau suivant :

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