tances, se développant ou disparaissant suivant que le milieu leur est favorable ou non, mais, à l'inverse des Ecoles modernes, aucun pouvoir ne les crée, aucun ne les modifie ou ne les supprime à son gré. Pandulfe, maître Jean, Pierre de Boenc et deux ou trois autres médecins, attirés par la munificence du Dauphin Humbert avaient autour d'eux quelques jeunes apprentis, qui profitaient de leurs leçons et de leurs conseils: telle était l'Ecole de Grenoble au XIVe siècle. Plus tard, les maîtres-praticiens sont plus nombreux et, autant par intérêt que par un sentiment de dignité très légitime, ils pratiquent une sorte de sélection, n'admettant dans leur corporation qu'après certaines formalités, moyennant certaines garanties, après de réels examens. Les Collèges de médecine ainsi constitués sont la seconde forme que revêtent nos Ecoles; ce sont des corps examinants qui confèrent le privilège professionnel après avis donné par tous les agrégés au Collège : la Faculté de Paris de la rue de la Bûcherie n'était autre chose que le Collège des médecins de Paris; chaque affilié avait droit d'interroger le récipiendaire et de formuler le Dignus intrare. Quelques membres de ce Collège étaient en outre chargés par leurs collègues de faire des démonstrations publiques: c'était le côté enseignement du Collège; c'est l'origine directe de la Faculté de Médecine de Paris. Il en était de même à Grenoble; nous connaissons même quelques-unes des questions posées au candidat par les membres du Collège de notre ville au XVIIe siècle et nous savons que parmi ces agrégés au Collège, quelques-uns étaient désignés par leurs collègues pour faire des démonstrations publiques, des lectures, aux apothicaires et aux barbiers. Lorsqu'un gouvernement a voulu, à diverses époques, organiser cet enseignement médical spontané, il n'a eu qu'à tailler dans les éléments que la force des choses avait déjà rassemblés : Humbert n'a eu qu'à prendre les médecins de sa petite cour pour remplir dans son Université le cadre de la médecine; il en fut de même au XVIe siècle, lors de la réorganisation de l'Université de Grenoble, Mais l'étude de la Médecine était alors trop exclusivement professionnelle, pour vivre de la vie universitaire. Privée des sciences naturelles, sur lesquelles elle s'appuie aujourd'hui et dont elle décuple la puissance en se les assimilant et en les mettant en quelque sorte à son service, elle se bornait à d'insipides commentaires de Galien. Aussi son foyer fut-il à Grenoble, et cela pendant longtemps, l'Hôpital. C'est là que, dès le xvII® siècle, les Pères Saint-Jean-de-Dieu fondèrent, pour l'usage de leurs novices, une petite Ecole de chirurgie qui devint publique en 1771 et qui, jusqu'à la Révolution, représenta, avec le Collège des médecins, le véritable enseignement de la médecine à Grenoble. Lorsque les corporations furent détruites et que le Collège des médecins cessa d'exister, l'Hôpital devint le seul refuge d'un enseignement, que les guerres, qui allaient ébranler l'Europe pendant vingt ans, devaient rendre plus nécessaire que jamais. C'est à l'Hôpital que la Société de médecine, en l'an XII, fit revivre un instant l'ancienne Ecole de chirurgie; c'est là, qu'en 1806, Napoléon institua les Cours pratiques de médecine et de chirurgie; ils furent, jusqu'en 1815, une pépinière de jeunes chirurgiens, qui munis à la hâte du bagage scienti fique indispensable étaient de suite expédiés aux armées. Cette spécialisation de nos cours de chirurgie ne fut pas sans nous nuire, car c'est dès le début qu'il importe pour une Ecole de de prendre position pour avoir fabriqué rapidement de jeunes praticiens à l'usage des armées, nous fûmes regardés pendant longtemps comme indignes de l'enseignement supérieur et l'Empereur ne nous fit pas l'honneur de nous admettre dans son Université. Ce n'est qu'en 1820 que ses portes nous furent ouvertes, date mémorable, car c'était le seul moyen, tout en laissant à l'enseignement de la Médecine le caractère professionnel et pratique qui lui est plus nécessaire encore qu'à toute autre science, de l'ennoblir en le forçant à évoluer dans les hautes sphères de l'Enseignement supérieur; mais une tare nous restait encore, car nous n'étions qu'Ecole secondaire. L'année 1841 fut pour la date nous un progrès nouveau: nous devinmes Ecole préparatoire. Mais, depuis lors, organes éloignés du centre universitaire, vouées à une fonction modeste, l'émission de médecins d'ordre inférieur, les Ecoles de médecine et en particulier la nôtre, ont, à plusieurs reprises, vu la mort de près; maintes fois elles ont failli succomber, étouffées par la centralisation et dégénérées par l'habitude d'un rôle secondaire. Cette fonction subalterne, les Ecoles tenaient cependant à la conserver, car c'était leur raison d'être et elles craignaient que la suppresion des officiers de santé entraînat la leur à brève échéance. Ces craintes avaient leur point de départ dans l'inconscience où elles étaient de leur propre vitalité et dans l'oubli de leur origine. Les Ecoles de médecine médecine méconnaissaient, en outre, leur intérêt, qui était non pas de faire des médecins secondaires à titre d'Ecoles secondaires, mais de préparer et de développer pleinement des médecins instruits et complets; elles n'ont jamais eu intérêt à constituer une sorte de sentier médical aboutissant à quelque impasse, mais bien à faire partie de la grande route qui conduit au Doctorat. On peut discuter sur le point de savoir jusqu'à quel grade nous conduirons les élèves, mais la direction doit être la même. La suppression des officiers de santé s'imposait d'ailleurs d'abord parce qu'il ne peut y avoir deux ordres de médecins; ensuite parce que l'éducation des officiers de santé ayant fini par être la même que celle des docteurs, il n'y avait plus de raison pour conserver un titre grevé d'infériorité et ne correspondant plus à une inégalité dans la valeur réelle des hommes. Pour les Ecoles, cette suppression équivalut donc à l'enlèvement du boulet qui nous tenait abîmés dans la médiocrité. Restait la centralisation qui nous eut certainement étouffés si la corde n'eut été coupée, avant que l'aphyxie fut complète. Il était temps ! La loi nouvelle sur les Universités, qui a été votée depuis que ce livre est écrit, permet enfin de faire circuler autour de nous l'air, la lumière et la vie. La Médecine est devenue, en effet, une science exacte; elle repose aujourd'hui sur l'universalité des connaissances humaines qu'elle met à profit et nous ne sommes plus à l'époque où le rôle d'un médecin de l'Université de Grenoble consistait à paraphraser quelque vieux texte. Notre outillage perfectionné de médecine expérimentale, nos salles d'hôpital devenues plus secourables au malade, à mesure qu'elles se transforment elles-mêmes en véritables (laboratoires scientifiques, sont aujourd'hui aussi bien aménagées dans nos Ecoles que dans les Facultés. Or, si la centralisation est funeste, l'uniformité dans le progrès est bonne. Aux élèves il appartient maintenant de se décentraliser eux mêmes, de se répandre dans la France entière, au lieu de s'étouffer dans quelques grands centres. L'Université de Grenoble est toute prête pour les recevoir et leur rendre le travail agréable et fécond. Pour ne parler que de l'Ecole de médecine, ils trouveront, avec des éléments de dissection nombreux, un enseignement complet de bactériologie, illustré par un laboratoire de sérothérapie, un laboratoire de zoologie libéralement entretenu d'animaux marins par M. le professeur Lacaze-Duthiers, des laboratoires de physiologie, d'histologie, de photographie. Ils trouveront à l'hôpital de nombreux malades formant un chiffre d'entrée considérable. Si je parle ce cette installation excellente de la Médecine à Grenoble, c'est que je tiens à en faire remonter tout le mérite à la Ville, qui n'a jamais, à aucune époque, ménagé ses deniers, à M. le Ministre de l'Instruction publique et à M. le Directeur de l'Enseignement supérieur qui n'ont jamais désespéré de nous et nous ont largement tendu la main tutélaire de l'administration; c'est que je tiens à témoigner la reconnaissance de l'Ecole aux deux Recteurs éclairés qui ont aidé puissament, l'un au début, l'autre au couronnement de l'édification morale et matérielle de notre Ecole, M. le recteur Bizos et M. Zeller, le premier Recteur de la jeune Université de Grenoble. En reportant nos regards en arrière, nous devons également, il me semble, quelque reconnaissance à tous ces praticiens courageux qui nous ont précédés; ils n'étaient pas outillés comme nous, ils parcouraient à cheval les chemins mal entretenus de nos montagnes et trouvaient encore le temps d'observer, d'écrire, d'enseigner en même temps que l'occasion toujours renaissante de se dévouer. Ces hommes avaient nom: Charvet, Billerey, Albin Gras, Bilon, Silvy, Gagnon, Villars, Beylié, Donis, Monin, Tardin, de Villeneuve, Davin le médecin de Lesdiguières et Pierre Areoud, le légendaire Maitre Pierre, de l'Ecole de Grenoble au XVIe siècle. Ce sont eux en somme qui ont fait l'Ecole de Grenoble ou du moins qui lui ont donné des fondations assez solides, pour que les modernes puissent édifier sur elles leurs laboratoires coûteux et compliqués. Je crois rendre à tous ces ancêtres plus ou moins éloignés, un hommage respectueux et je m'acquitte en même temps d'un devoir personnellement agréable, en remerciant les personnes qui, versées dans l'étude du passé, me les ont fait connaître et ont mis, avec une extrême obligeance, à ma disposition, tous les documents qu'elles possédaient: l'érudit et toujours obligeant M. Maignien, conservateur de la Bibliothèque de Grenoble ; M. Reymond, le sympathique secrétaire genéral de la mairie de Grenoble; M. Prudhomme, archiviste départemental et M. Pilot de Thorey les renseignements de l'un et de l'autre sont toujours précieux. Je souhaite que cette étude du passé de notre Ecole, qui n'a pas été sans éclat, puisse encourager mes collègues et leur rappeler, que leurs efforts et leur dévouement à la science ne sont pas des actes isolés dans l'histoire de Grenoble, que notre ville a toujours été un foyer médical ardent, qu'ils font partie d'une série évolutive à marche lente d'abord, s'accèlerant avec le temps, qui commence au Collège des médecins, se continue par l'Ecole des Pères de la Charité et les cours d'Hôpital, et se termine actuellement à notre Ecole réorganisée. qui n'est elle-même qu'une courte étape sur la route qui nous mènera bientôt, je l'espère, au titre d'Ecole de plein exercice.... en attendant mieux. Grenoble, juillet 1896. Dr A. BORDIER. |