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VIII. Querelles entre les Pères de la Charité, les chirurgiens, les apothicaires, l'Hôpital. Le service médical. Etat précaire de l'enseignement médical.

IX. Tentatives pour le rétablissement de l'Université.

I

Le 17 juillet 1638, l'Hôpital général, celui qui subsiste encore aujourd'hui, commencé depuis longtemps, mais dont la construction avait été souvent interrompue « à cause de l'injure du temps, tant de peste que passage de gens de guerre (1) », remplaçait définitivement toutes les autres fondations hospitalières et recevait les pauvres jusque-là disséminés; leur nombre avait beaucoup augmenté ainsi que celui des malades; le service médical devient donc plus important qu'il n'était jadis, dans les hôpitaux confiés à des chirurgiens et même à des barbiers. Le sieur de Villefranche, docteur en médecine, qui figure parmi les directeurs de l'Hôpital, offre de soigner gratuitement les malades et est agréé pour trois années, à la condition de subir un examen devant une commission de médecins de la ville (1), nouvelle preuve de l'importance accordée au collège des médeeins et première ébauche de ce qui, plus tard, deviendra le concours. Mais ses confrères, jaloux de la notoriété qu'allait donner ce nouveau titre à leur concurrent, lui contestèrent, je ne sais pour quel prétexte, le droit de soigner les malades de l'Hôpital. A quoi l'administration fit la seule réponse qu'elle eut à faire: Messieurs, faites-en autant et nous accepterons également vos soins gratuits (2).

En même temps les chirurgiens sont convoqués à déléguer l'un d'entre eux pour traiter les malades également sans rémunération. Tous les chirurgiens de la ville s'offrirent. Les maîtres en chirurgie: Auzias Aymar, Hugues Clerget, Isaac Aymar, Ozias fils, Claude Mayence, Jean Detelley ou Lestelley, Etienne Dutruc et Antoine Michal, s'engagent à faire le service. chacun pendant un mois: le dernier reçu sera chargé de la visite quotidienne; il devra, pour les cas graves, s'adjoindre un ou deux confrères et le premier dimanche de chaque mois, tous, en corps, visiteront l'Hôpital pour échanger leurs avis sur les malades en traitement.

La chirurgie n'était cependant pas encore faite exclusivement par eux, car, le 26 mars 1639, on traite encore avec un opérateur de Montélimar pour « faire tailler la pierre d'une malade de l'Hôpital », prix fait : six pistoles (3).

(1) Archives de l'Hôpital, E. 4. (2) Archives de l'Hôpital, E, 5. 3) Archives de l'Hôpital, E, 5.

Quant aux médecins, mis en demeure d'imiter leur confrère de Villefranche, ils promettent de faire le service à tour de rôle (1). La liste se compose donc: MM. du Bœuf, des Grands-Prés, Bressand, Paulet, Cuvelier, de Villefranche et Mathieu.

La même année, le service des chirurgiens comprend MM. Auzias Aymard, Pigeon, Isaac Aymard, Claude Mayence, Ytier Dutrue, Antoine Michal, Jean Detelley ou Lestelley, Legay, Herard Sigaud et Jean Piat.

Nous venons de voir, parmi les médecins, un homme sur qui nous devons nous arrêter un instant, c'est P. de Vulson, sieur des Grands-Prés, docteur en médecine, aggrégé au collège de médecine à Grenoble, (2), auteur d'un livre sur les eaux minérales d'Oriol et du Monestier-deClermont.

La dédicace de son livre nous renseigne de suite sur sa situation sociale élevée et sur ses idées générales :

« A Monsieur de Vulson, escuyer, seigneur de Saint-Maurice, et de la Maison-Forte de la Touche, conseiller et secrétaire du roy, et premier greffier civil en sa cour de Parlement du Dauphiné.

« Monsieur mon cousin...

<< Comme naturellement nous chérissons les lieux de notre nativité, en ce bon rencontre, je fus meu, ces années passées, d'exalter les vertus de la fontaine ou fontaines qui se trouvent entre les Aurioles, comme étant proche de Vulson, lieu et maison de nostre naissance et de nostre nom, et situées au pied du penchant de la montagne appelée Puy de Vulson, appartenant à cet illustre sénateur, mon oncle et votre cousin, Monsieur le conseiller de Vulson, seigneur de Colet, l'honneur des nostres, et l'exemplaire de piété parmi tous.

En vertueux et charitable républicain, vous aurez à gré, que sous votre titre, ce petit œuvre profite à austruy. »>

Comme cela arrive encore parfois aux médecins qui s'occupent spécialement des eaux minérales, Vulson parait considérer le maniement des bienfaisantes sources comme un véritable sacerdoce: il cite des exemples d'abus ou d'usage intempestif propres à terrifier « certains riches avares et taquins, lesquels abusivement, sans conseils ny ordre de médecin, plaignent plus un quart d'écu ou deux que leur propre vie ou santé,

(2) Archives de l'Hôpital, E, 6.

(1) Ce sont les titres qu'il prend dans son livre intitulé: L'Ordre qu'il faut observer en l'usage des eaux minérales acides et surtout de celle des Aurioles en Trièves et du Monestier-de-Clermont. Se vend chez Edouard Raban, place Saint-André, à l'Enseigne du Navire, 1639.

s'estant jettez dans l'usage de ces dites eaux et mal pour eux, les blàmèrent, ne les cognaissant pas eux-mêmes, pour s'accuser, et maudissaient (misérables), non leur taquinerie, mais les eaux bénites de Dieu très excellentes pour la santé, ainsi qu'il appert journellement par leurs effets très merveilleux. » Il est vrai qu'il met, peut-être à tort, sur le compte de l'eau, le cas d'un personnage qui, ayant bu sans son autorisation, « receut des obstructions si grandes des voyes urétaires, qu'à peine pouvait-il uriner, pour la quantité de mucosités que ces eaux charriaient, m'ayant fait voir, dans trois fois qu'il avait uriné, une écuelle pleine des dites mucosités, si fluantes, que, sans quitter le fond du pot de chambre ny se rompre, elles filaient de la seconde étage de son logis jusques en la rue. »

Il faut lui savoir gré, du moins, d'avoir un sentiment très élevé de la dignité médicale: il serait désolé «d'amoindrir les droits de la profession», et critique vertement ceux qui ne manifestent pour les avis du médecin aucune reconnaissance, se donnant à eux-mêmes tout le mérite,« s'attribuant nos cures par vanité, et disant, les uns, j'ay fait cecy, j'ay fait cela et tout a bien réussy, et quelques autres, se voyant guéris, j'ay fait un tel vœu et j'ay été rétabli. Je vous déclare tout haut, ravisseurs de la gloire de Dieu et de notre honneur, que si vous vous enquieriez, nous vous rendrions raison des événements, sans miracle, et vous ferions voir les points infaillibles des crises et la puissance de Dieu! >>

Au surplus, il a, non sans raison, le plus profond mépris pour la médecine des bonnes femmes, pour tous ces conseils que se donnent les uns aux autres ceux qui ne connaissent rien à la médecine, « femmelettes, crache-receptes; en pardonnant pitoyablement à la légèreté de leur esprit il les abandonne à leur barbouillerie ».

:

Il faut reconnaître que Vulson maniait l'eau minérale d'Oriol un peu lourdement il en ordonnait jusqu'à 10-12 verres par jour, ce qui était évidemment beaucoup trop pour le malade, sans doute arthritique et gravelleux, qui atteint de cystite, était I objet de l'étrange expérience de l'urine filant << de la seconde étage jusques en la ruë ».

Notre auteur a, en outre. le tort de confondre dans la même admiration, et ce qui est plus regrettable, dans les mêmes applications, I eau d'Oriol, qui est une eau très ferrugineuse (1), à l'égal, de celle d'Orezza et celle du Monestier-de-Clermont, qui est bicarbonatée calcique, moins ferrugineuse et susceptible d'être bue en beaucoup plus grande quantité; mais l'hydrologie n'était pas encore née, ou du moins, pas encore sortie de l'empirisme.

Avec P. de Vulson nous n'avons pas quitté le nouvel Hôpital, puisqu'il (1) Elle contient 08,074 de sels de fer par litre.

y fait le service à son tour depuis 1631. Le nombre des malades augmente, par suite d'une épidémie de fièvre maligne que de Villefranche signale à l'Hôpital Saint-Antoine, encore subsistant à cette époque, où elle a été apportée par les soldats blessés. Il est, à ce propos, décidé que tous ceux qui se présenteront désormais aux portes de la ville seront renvoyés à la porte Très-Cloitres, où ils seront visités. Ceux, qui seront reconnus atteints d'une maladie contagieuse, seront internés à l'Hôpital de l'Isle, où M. de Villefranche s'installera pour les soigner.

Malgré tout, le service médical continue à être mal fait en vain les directeurs font observer qu'il y a beaucoup de malades dans l'Hôpital et se plaignent que personne ne les voit; on priera bien de temps en temps M. Mathieu, médecin, de venir les soigner le lendemain, mais c'est tout. Cependant, en 1642, des offres de service sont renouvelées au nom de leurs collègues par MM. Paulet et de Bouf, docteurs et aggrégés en médecine: ils proposent de se rendre à l'Hôpital, à tour de rôle, le jeudi et le dimanche, et toutes les fois qu'ils sont requis (1); dans les cas graves, ils se réuniront en consultation dans la salle du conseil. Le service marche sans doute ainsi, tant bien que mal, pendant quelques années, mais d'une manière évidemment insuffisante qui était due au mode de recrutement, faisant gratuitement appel à une sorte de charité volontaire.

On prend une idée de la mauvaise organisation qui régnait alors dans le service médical, lorsqu'on voit en 1643 décider de chercher quelque personne experte, pour soigner les malades, « attendu que le concierge n'y peut vaquer » (2). A la réunion des Directeurs de l'Hôpital, on expose que les médecins, qui avaient promis de visiter l'Hôpital à tour de rôle, ont abandonné depuis longtemps leur service; il est même décidé qu'on présentera une requête à la cour pour obtenir une ordonnance leur prescrivant de faire à tour de rôle la visite de l'Hôpital, sous peine d'interdiction de leurs fonctions (3), Quelque partialité qu'on voulut y mettre, il est difficile de donner raison aux médecins en semblable circonstance et nous devons reconnaître que partout, aujourd'hui, nos confrères ont une plus haute idée de leurs devoirs. En attendant mieux, on fait afficher dans la salle du conseil, le rôle de tous les médecins et chirurgiens de la ville, pour connaitre le nom de ceux qui doivent faire le service (1). Enfin, en 1645 (4), le conseil de l'Hôpital décide qu'on prendra des mesures à l'avenir pour avoir des médecins, chirurgiens et apothicaires,

(1) Archives de l'Hôpital, E, 6. (2) Archives de l'Hôpital, E, 6. 3) Archives de l'Hôpital, E, 6. (4) Archives de l'Hopital, E, 6.

au service de l'Hôpital, « considéré que les médecins ne rendent aucun service à cette maison »><.

Les visites, quand elles avaient lieu, se faisaient sans doute à la hâte et furtivement, car on donne comme un progrès, la modification, qui oblige le concierge à accompagner les médecins dans leurs visites: c'est lui qui recevra leurs ordonnances et qui donnera du vin suivant les prescriptions (1).

On a toujours, d'ailleurs, de temps en temps recours aux empiriques. Ainsi, en 1648, on isolera dans une chambre « les pauvres garçons atteints de la rache vive (2) » et on les fera traiter par un opérateur de passage (3).

Il faut convenir que si les médecins faisaient mal leur service, ils se montraient fort jaloux de quiconque prétendait le faire à leur place: le sieur Bonnet, natif de Grenoble, offre en eflet de « secourir les pauvres >> de l'Hôpital, gratuitement pendant deux ans ; mais les médecins de la ville s'y opposent, parce qu'il n'a fait que cinq années de stage dans la ville de Gap, au lieu de six qui étaient exigibles ». Il offre de faire sa sixième année de stage à l'Hôpital; on refuse encore et il faut que le conseiller de la Rochette déploie toute sa diplomatie, pour faire accepter cette proposition par ses confrères (4).

C'est dans ces conditions que pour remédier à la difficulté du service médical, la ville, sur la proposition du duc de Lesdiguières, qui écrivit lui-même aux consuls pour leur signaler les Pères de Saint-Jean-de-Dieu, entre en pourparlers avec ces religieux hospitaliers et leur demande de se charger du service médical ainsi que de l'entreprise entière de l'Hôpital. Voici ce traité :

« Les religieux seront reçeus dans l'Hôpital de Grenoble pour y vivre conformément à leurs règles et constitutions, de l'adveu et consentement de Monseigneur l'évêque de Grenoble, auquel ils se soumettent.

<< Sera donné pour quatre religieux, des quels l'un sera prêtre.... 800 livres de pension annuelle pour leur vestiaire et nourriture, payable par quartier et par avance, et sera permis au provincial et vicaire général des dits religieux d'en augmenter le nombre.... mais non de le diminuer...; sera donné 6 sous par jour pour la nourriture de chaque malade ou blessé qui sera envoyé à l'Hôpital par l'ordre des consuls, sans que les dits religieux puissent recevoir aucun malade sans l'ordre des consuls...; sera donné annuellement la somme de 400 livres pour drogues et médi

(1) Archives de l'Hôpital, E, 6.

(2) Sans doute impetigo du cuir chevelu ou teigne. (3) Archives de l'Hôpital, E, 6.

(4) Archives de l'Hôpital, E, 6.

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