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mélange où entrent le piper methysticum avec la noix de l'areca catechu, la muscade, la cannelle, le girofle, le camphre et le cachou. Elles évitent ainsi la diarrhée de Cochinchine et même, dans certains cas, le choléra.

Il est curieux, sous ce rapport, de voir toutes les populations se rencontrer pour trouver les mêmes ressources, dans la matière médicale, dont elles disposent et de constater combien nos prédécesseurs du XVIIe siècle avaient eu la main heureuse.

Ils n'étaient pas moins habiles dans le choix des désinfectants employés pour parfumer les maisons.

Lorsqu'un cas de peste s'est déclaré dans une maison, il faut parfumer l'habitation depuis 10 heures de nuit jusqu'à 4 heures du matin, pendant trois nuits de suite ». Voici le mélange dont on se servait :

Foin bien odoriférant arrosé de vin
et du vinaigre.

Feuilles d'absynthe.

- d'hyssope.

Feuilles de marjolaine.

Souphre.

Encens.

Poudre à canon.

Le tout dans un ou plusieurs chauderons ou posles, puis mettez-y le feu. Faut premièrement avoir bien clos les portes et fenestres ».

Le souphre» était un excellent désinfectant et il avait l'avantage de se répandre un peu partout, même dans les rues de la ville, l'occlusion des portes et fenêtres étant sans doute imcomplète, ainsi que nous en donne la preuve une observation faite par Davin, qui n'en n'a pas d'ailleurs saisi le sens, car il attribue le phénomène observé à je ne sais quelle cause occulte.

Parlant de l'épidémie de peste qu'il a observée à Embrun et pendant laquelle on faisait partout des fumigations de soufre, il ajoute : « On notera une chose remarquable, qui arriva lors: c'est qu'au clocher de NotreDame y a une grosse pomme de cuyvre au pinacle, qui se voit par dehors; ainsi que la peste commença, la dite pomme commençait à se noircir: augmentant sa noirceur à l'égal de la violence, la dite pomme se rendait toute noire; ce que je fis voir et remarquer aux notables de la dite ville, qui estaient demeurez avec moi; et, comme elle avait creu, comme la dicte peste, aussi lorsque nous commençâmes à nous bien porter, la dicte pomme commença à s'éclaircir par le plus haut et ainsi décroitre de noirceur, comme la peste diminuait, et lorsqu'il n'y eut plus de peste dans la dite ville, la dite pomme se rendit toute claire et luisante, comme aupa

ravant; chose miraculeuse et toutefois très vraye, j'en suis témoin oculaire, et remarqueur certain, avec tous les sus dits, tous gens d'honneur ».

C'est là un nouvel exemple de la différence qu'il y a entre l'observation simple et l'interprétation. Il est fort possible que le fait soit exact; mais dans ce cas, il est très probable que la « chose miraculeuse » n'est autre que le sulfure de cuivre qui se formait sur la boule, d'autant plus vite qu'on sulfurait davantage, autrement dit que l'épidémie était plus violente.

L'épidémie de 1628-1629 fut d'ailleurs l'occasion de mesures beaucoup plus rationnelles et plus méthodiques que les précédentes:

<< Aussitôt, dit Davin, qu'on aura bien avéré que quelqu'un est atteint ou mort de peste, en une maison, on le doit sortir et porter hors de la ville (mais faut que ce soit de nuit), à l'Isle, ou autre lieu destiné pour les pestiférez, et là enterrer fort profondément le mort au cimetière là ordonné, et conduire le malade en une chambre là, pour y être secouru selon sa qualité, tant d'aliments et antitodes que d'un bon et docte chirurgien. >>

Quant à la maison: « Aussitôt qu'on aura sorti le mort ou le malade et les meubles infects (hormis ceux de bois et de cuisine), on fera exactement nettoyer la dite maison ou habitation. Quand aux meubles de bois, qu'on y aura laissés, on se conduira ainsi, c'est qu'on débastira les licts, chalicts et couchettes, après on démontera les tables et buffets ou dressoirs et cabinets, mais non pas les bancs, les chaises, les scabeaux ni placets; on lavera tout cela avec le mélange suivant :

Cendres de chêne.

pin.

genieure.

sarments.

Mélez-y:

Une livre de chaux.

Un quarteron de sel.

Eau de rivière.

Deux pots de vin blanc ou
clairet.

Un pot de vinaig e. »>

Les couvertures et garnitures de licts, tapis, tapisseries, chaires, formes et placets de tapisserie, broderies de couleur, seront parfumées en bruslant au-dessous d'elles, sur de la braise:

Graine de genièvre.

Mastic.

Encens.

Myrrhe.

Iris de Florence.

Storax.

Benjoin.

Tormentille.

4 à 5 poignées de roses.

Le tout réduit en poudre grossière. »

Tout cela n'était évidemment pas mauvais.

Les ordonnances de voirie voulaient : « que les places publiques, ruës, ruëttes et autres lieux reculez soient maintenus netz ». Il est défendu de jeter les ordures; il est ordonné que les bouchers fassent leurs tueries dehors de la ville; il est enjoint de défendre aux pauvres d'aller mendier par les portes. Défense de laisser entrer par la ville « aucuns colporteurs ou autres petits merciers incognus, s'ils n'ont leur bullette contremarquée du signet ou scel du notaire ou curé du lieu d'où ils viennent; de ne laisser approcher de la porte aucun étranger qui arrive, que sa bullette n'aye été par lui-même mise au bout d'un bâton fendu et puis, avant que la prendre, parfumée à la fumée de bois ou graines de genièvre, ou à la vapeur du vinaigre jeté sur une pale ardente de feu, et après, examinée... Chasser les chiens et les chats, ou commander que leurs maîtres les empêchent de sortir du logis ».

En même temps qu'on prenait ces sages précautions, on débarrassait l'Hôpital de l'Isle des convalescents et la ville traite avec un batelier (1) « qui s'engage à transporter de l'Hôpital de l'Isle en l'ile du Fournets sur la rivière d'Isère, les malades qui iront faire quarantaine en ce dernier lieu dans les cabanes construites à cet effet, et de ramener dans l'Hôpital ceux qui subiront une rechute ». On achète du pain pour les pauvres en quarantaine à Fournet, « lesquels étaient restés un jour entier sans pain »; on distribue des vivres aux Récollets, chargés d'assurer dans l'Isle la subsistance des pestiférés, enfin on construit dans ce lieu de nouvelles cabanes.

Beaucoup de gens, dont les maisons sont infectées, y sont littéralement consignés, car on donne 16 sous à une jeune fille qui portait leur nécessaire à 30 personnes enfermées dans une maison, où une femme était morte de la peste (2) ».

La plus grande surveillance était en outre exercée sur ceux qui pouvaient enfreindre ces sévères règlements: on les traquait littéralement :

(1) Archives municipales, C C, 771. (2) Archives municipales, C C, 771.

Ainsi, on envoie à Pontcharra pour avertir les consuls de cette localité << d'enfermer ung Jehan-Louis Billon, qui avait mis la peste en Royannais, avait été arquebusé se sauvant par les montagnes de Sassenage et avait passé par la ville ».

Si le conseil de santé veillait avec la plus grande énergie, une bonne partie des habitants de la ville avait émigré, et, parmi eux, beaucoup de membres du conseil (1). Les habitants adressent même une lettre au Parlement pour requérir l'élection d'un nouveau conseil et demandent aux consuls la permission de remplacer provisoirement les absents (2).

En même temps que Davin et le conseil de santé répandaient leurs sages prescriptions, le public se livrait, sur la foi des voisins, à une foule de pratiques que Davin nous raconte on portait au cou des sachets remplis de poudre de crapaud, ou bien de sublimé, d'arsenic; on portait aussi un tuyau de plume rempli de vif-argent, ou un morceau de jaspe ou d'agathe. L'escarboucle, le rubis, le grenat, l'émeraude, la topaze, la turquoise, l'améthyste, la sardoine, en bague ou en pendants d'oreille, étaient réputés préservatifs. Le diamant porté à la main gauche passait pour neutraliser toutes sortes de venins. Davin ne rit pas trop haut de ces sottises; il ajoute cependant : « Hæc aliis experienda relinquo ».

V

Il est aisé de voir que le niveau intellec'uel du corps de la médecine s'était considérablement élevé depuis un certain nombre d'années.

Il allait se compléter par l'installation d'une bonne sage-femme. L'enseignement n'était encore nulle part donné convenablement aux mères-sages. Elles apprenaient où elles pouvaient, aussi n'étaient-elles pas toujours fort habiles Louise Bourgeois, qui avait accouché six fois Marie de Médicis, femme de Henri IV, a raconté elle-même qu'elle avait d'abord étudié dans A. Paré; elle s'offrit alors à accoucher la femme d'un crocheteur et l'accoucha d'un fils « qui était rouy ». Elle pratiqua pendant environ cinq ans avec les pauvres et médiocres », et se fit alors recevoir jurée à Paris. Les deux mères-sages de Grenoble, à supposer qu'elles ressemblassent à Louise Bourgeois, n'en étaient le plus souvent encore qu'à sa première manière ! En 1607, on trouve la mention faite par Alexandre la Coste, trésorier du denier des pauvres, de 30 livres par an pour la location d'une chambre appartenant aux pauvres, située rue du Pont-Saint

(1) Archives municipales, B B, 96. (2) Archives municipales, B B, 96.

Jaime, << en laquelle est logée la mère-sage appelée Bastianne» (1), En 1626, on trouve encore un mandat de 30 livres pour une mère-sage (2), plus un mandat de 50 livres pour la location « de la boutique de la mère-sage ». La population était peu satisfaite de ces matrones, lorsque Madame la Première Présidente Frère en fit venir une plus habile de Valence, en demandant << que la ville lui baillåt une chambre pour habiter, comme elle fait aux autres de sa qualité ».

Mais la ville est toujours forcée d'économiser. La peste de 1628-29 augmente ses embarras financiers; elle fait emprunt sur emprunt, a recours à des tailles exceptionnelles, mais, malgré ces sacrifices, on n'est jamais complètement sûr que tout soit fini avec la contagion: le 26 décembre 1633, le premier consul expose en effet que la veille de Noël, un horloger est mort de la peste « savoyr que avoyt ung charbon ». Pour plus de sécurité, son corps fut transporté au cimetière de l'Isle, sa famille et ses meubles à l'Hôpital de l'Isle, mais ces quelques cas isolés semblent avoir été les dernières manifestations de la peste.

CHAPITRE V
(1638-1771)

I. L'Hôpital général. De Villefranche. Médecins et chirurgiens à l'Hôpital.

P. de Vulson.

Insuffisance du service médical.

Les Pères de St-Jean de Dieu. Leur école privée de chirurgie. — Les sœurs de St-Augustin.

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- Un examen

Examens de maîtrise.

Dacquin et les

II. La communauté des maîtres chirurgiens. —François Francières. pour la maîtrise en chirurgie. Les chirurgiens et le bourreau. III. La communauté des apothicaires

apothicaires.

IV. Le collège des médecins.

Monin, médecin ordinaire de la ville.

-

Jacques Massard. - Gigard. Monin médecin du roi. — Donis, doyen du collège de médecine. Réception de Jean Francières. - Réception du sieur Durand. Ajournement de Joachim Cochet. Nouveaux statuts du collège.

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Etienne Chabert et le collège des médecins.

Nicolas

V. La peste de Marseille. Précautions prises à Grenoble contre la peste. conseil de santé.

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