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de fontaine qui brûle, qui ferait croire à tort que l'eau et le feu sortent ensemble, et se rend parfaitement compte que la fontaine n'est là qu'accessoire, l'eau découlant du rocher situé au-dessus et encore pas touiours! Il voit parfaitement que lorsque l'eau recouvre l'orifice de sortie du gaz, il se forme des bulles qui la traversent. « Vous la voyez, dit-il, toute bouillante, à grosses bulles, et cependant elle n'est pas chaude », il a donc bien vu. Il est du reste allé souvent sur les lieux et a rencontré, comme de nos jours, les promeneurs faisant cuire des œufs ou du poisson à la flamme qui s'échappe de terre. Bref, réfutant l'explication de Montuus sur les pores de la terre, et celle d'Aréoud plus éloignée encore de la vérité, sur l'action du soleil et des autres corps célestes sur cette << exhalation combustible », il conclut à un feu souterrain. C'est à peu près tout ce qu'ontrouve dans ce livre, sur cette « merveille du Dauphiné »>> qui sert à point le désir d'adulation de l'auteur pour le Connétable de Lesdiguières « Monseigneur, lui dit-il en effet dans sa dédicace, c'est à bon droit que je vous présente une des plus grandes merveilles qui soit dans la nature, puisque vous êtes une des plus grandes merveilles qui aye paru dans l'Etat ». A cette époque l'énormité dans la flatterie n'effrayait pas plus celui qui donnait que celui qui recevait.

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A son tour, d'ailleurs, Tardin reçoit sur son œuvre les sonnets les plus flatteurs, qu'il publie, avec une entière bonne foi, après la dédicace à Lesdiguières; ils sont signés de Jean-Antoine de la Baume, bachelier grenoblois; De Franciscus Deponat logicus gratianopolitanus; de Petrus Franconus, rhetor, gratianopolitanus; de Paulus Aymon, rhetor, gratiano politanus; de Philippe de Laube Rivière, humanitatis auditor, gratianopolitanus.

On parle toujours de temps à autre de la peste, car en 1617 nous voyons Théophile Raphaël et Guillaume Cuvellier, médecins assistés de Grégoire Dutruc et de C. Mayance, chirurgiens, toucher 21 livres (1) pour être allés à la Grande-Tronche faire l'autopsie d'un hôtelier, que l'on disait mort de la peste. Ce ne sont encore que des avertissements; mais elle éclate tout à fait en 1628, à Lyon, à Bourgoin (2), à la Tronche, à Voiron, à Grenoble où elle dure encore en 1629.

En 1628, l'Hôpital de l'Isle recommence à recevoir ses tristes pensionnaires et un chirurgien nommé Rochefort est désigné pour être interné (1). On achète même pour lui un costume de couleur amaranthe (3).

(1) Archives municipales, CC, 743.
(2) Archives municipales, B B, 95.
(3) Archives municipales, C C, 771.

Les circonstances vont mettre maintenant en évidence un médecin que nous connaissons déjà, le médecin et conseiller du roi Davin, le médecin de Lesdiguières. Nous ne l'avons vu jusqu'ici qu'à l'armée du connétable, mais ce n'est pas la première fois qu'il se trouve aux prises avec la peste : Il l'a déjà vue plusieurs fois, ainsi qu'il nous l'apprend dans un très bon et très curieux traité, qu'il écrivit en 1629 (1). Il l'a vue à Hedelberg, au Palatinat » ; à Aix en Provence, où il avait souvent consultation <«< avec messieurs Bertrand, Grassi et Eymond, très doctes médecins ». A Forcalquier, «ma patrie (2) » ; à Embrun, « où la peste fut portée en des bas de soye par un soldat, qui les avait pillés à Guillestre, lorsqu'elle fut prise par monseigneur de Lesdiguières ». Enfin, il la voit à Grenoble, « où il consulte souvent avec son très docte collègue Monsieur de Villeneuve. »

Sa reconnaissance pour Lesdiguières l'a naturellement porté à dédier son livre « à très illustre, très haut et très puissant seigneur, messire François de Bonne, de Créquy, d'Agoult de Montlor...., lieutenant-général pour le roy en Dauphiné ». « Monseigneur, lui dit-il, ayant cet honneur de vous cognoistre et servir toujours, dès l'instant que la chaste Lucine vous fit voir la clarté du jour, j'ay creu estre de mon devoir (pour arrhe de la continuation de mes vœux à votre service) de faire voir la clarté (sous vos auspices) à ce mien petit traité de peste par lequel j'enseigne le moyen d'empescher que son venin meurtrier des esprits et du cœur, ne glisse traitreusement dans ce lieu, qui au GRE des gens de bien porte le nom de NOBLE ». Etrange jeu de mots qui nous parait aujourd'hui d'assez mauvais goût, mais qui fit sans doute sourire le vaillant lieutenant-général.

Comme son collègue Tardin, il ne dédaigne pas la reproduction des louanges en vers, qui lui sont adressées et qui le représentent comme le destructeur de la peste.

Pestifugis clarent tua scripta, Davine medelis,
Quae merito post hac nomen ad astra ferent;
Nam patriæ afflicto tam recte consulis, ut non
Dira lues pestis sit nocitura diu.

Signé: ALVISIUS, medicus.

(1) Très singulier traité de la générale et particulière préservation de la vraye et asseurée curation de la peste, par noble Antoine Davin, docteur et médecin ordinaire du roy. A Grenoble, chez Richard Cocson, MD C X X I X. Bibliothèque de Grenoble, 0, 3825.

(2) M. Prudhomme fait naître Davin à Aix (Inventaire sommaire des archiv. municipales, note, B B, page 109). L'affirmation de Davin lui-même me semble trancher la question. Il était donc du même pays que Pierre Aréoud et peut-être ce médecin n'avait-il pas été étranger à la venue de son compatriote à Grenoble, où l'attirait en outre Lesdiguières.

Et cet autre morceau :

Alcides rediit, fugiant cito monstra, Davinus
Contundit diro dira venena luis.

Urbis et Orbis honos, onus hoc atlanta fatigans
Det deus, invicta et perpeti mente feras.

O. MONSENGLARIUS, divionensis.

Son collègue, André d'Audibert, dont nous avons déjà fait la connaissance au collège de médecine, lui écrit de son côté :

Quis novus exanimes animans Epidaurus artus
Exsurgit? Stygios tollat ut arte deos?

Nescio ni supera forsan descenderit arce, ut
Antidotis patrum solvere jura negit.
Cresce, salutares quoniam timet Eacus artes;
Vive diu umbrosæ ut corruat urna domus.

Un autre admirateur lui dit en français :

Ne tarde plus, docte Davin,
Mettant à ton silence fin,

ANDREUS DAUDIBERTUS.

Nous faire voir les rares cures
De la peste. Ce tien traité

Est de chacun si souhaité

Qu'on le demande à toutes heures.

D'autant que ja de longue main ]
Ce venin de peste inhumain

Saisit, frappe, rue par terre,

Grands et petits, en maintes parts

Et nous contraint de vivre épars
Pour fuïr sa mortelle guerre.

On voit, que tout médecin du roi qu'il était, il ne dédaignait pas ce que nous nommerions aujourd'hui la réclame; au besoin il la faisait lui-même.

L'autheur:

Qui de la peste veut se préserver du fléau

Qu'il pratique ce qui est en ce traité nouveau,

Qui veut pour un chacun trouver un prompt secours

Contre la peste, icy doit avoir son secours.

Qui sent l'avant coureur de ce mal furieux

L'antidote cercher icy soit curieux,

Y trouvera moyen de sa santé défendre

Sans qu'il faille d'ailleurs autres secours attendre,

Croy ce conseil, ami: Je suis à ton service;

Mais nettoye dévant de ton âme le vice

Car l'honneur que les vicieux font aux dieux

Aux dieux volontiers n'agrée.

Sa situation, la jalousie de ses confrères lui suscitèrent évidemment des envieux, mais il compte sur l'amitié du lecteur « pour clorre la bouche à tous ces momes envieux ». Aussi bien a-t-il conscience d'accomplir un devoir, en écrivant ce traité de la peste, « contre laquelle absent j'ay

combattu par conseils; mais par six fois, présent, je l'ay attaquée main à main et desfaicte. Telle grâce de Dieu me fait croire qu'il me punirait si je cachais le talent qu'il luy a plu me donner ».

Après ce tribut d'éloges, où la modestie de « l'autheur» semble d'ailleurs faire preuve d'une grande impassibilité, il insiste pour montrer que les causes de la peste sont le plus souvent la guerre, la disette de vivres, la famine; Guillaume de Lérisse nous a déjà fait voir ce triste côté de l'état social à cette époque; mais avec Davin, nous allons entrer médicalement dans l'étude, que de Lérisse ne pouvait faire; il se montre, du reste, rééllement médecin et ne semble, que pour la forme, payer son tribut aux idées du temps: « Les causes supérieures ont été, dit-il, en 1628, les mauvaises constellations et conjonctions célestes; l'éclipse de la lune, qui se fit le 20 du mois de janvier, année susdite », et il ajoute: « En cette maladie dangereuse, tant le malade que le chirurgien doivent prier Dieu qu'il lui plaise bénir tous remèdes ». Autrement:

Ni deus affuerit, viresque infuderit herbis,
Quid, rogo, dictamus, quid Panacea juvent

Il termine son livre par cette oraison :

Seigneur ne permets pas que la peste
Retranche de mes ans le reste.

Je t'en suplie à jointes mains
Purge de mon ame le vice

Et en mes maux sois moy propice,
De tout mal garde les humains.

J'ai peut-être un peu longuement insisté sur ces accessoires de l'œuvre de Davin, mais il me semble que ces détails littéraires permettent de mieux juger et le caractère de l'époque et celui de l'écrivain qu'on veut mettre en lumière.

Voyons maintenant le médecin :

D'abord, la contagion qu'il observe était bien la peste. Il en décrit les bubons, qui sont des ganglions suppurés; l'anthrax, qu'il considère comme des clous, dans le dos le plus souvent, avec gangrène et décollement ; le charbon, avec sa couronne de vésicules, assez analogue à celle de la pustule maligne.

Il décrit le charbon comme une tumeur « tantost rouge, tantost brune, tantost violette, tantost plombée, ayant en son circuit de petites veines

(1) Il est assez curieux de remarquer que ces deux vers ont été copiés dans un traité de la peste postérieur à celui du médecin grenoblois, par Diemerbroeck, médecin de Nimègue, in De pestis noviomagensis principio vigore et fine, 1635. Le livre de Davin est de 1629.

de diverses couleurs, estant à son commencement petite, de la grosseur d'une lentille, entourée souvent de petits grains faisant une escare dure et sèche, laquelle, après s'ulcère », enfin les pétéchies.

La maladie commençait par « pesanteur et doleur de teste », grand assoupissement suivi de rêveries, vomissements, « puanteur d'haleine », grande soif, « urine puante », flux du ventre, pourpre ou tac bleu, violet, noir ou plombé; langue noire...

Il faisait dans les bubons une « ouverture avec le cautère actuel, qui est meilleure et plus seure qu'avec lancette et rasoir, au milieu, en figure de croix, afin qu'elle n'empêche pas la matière de fluer ».

Les médicaments internes qu'il employait étaient peu nombreux et consistaient en purgatifs; peu de saignées.

Le traitement chirurgical semble d'ailleurs tout dominer; c'étaient, en effet, des chirurgiens et des barbiers qu'on plaçait à l'Hôpital de l'Isle. Son merveilleux antidote était composé d'après la polypharmacie du temps, de la manière suivante :

R Angélique.
Gentiane.

Aristoloche.

Racine de tormentille.

Cinnamone.

Ecorce de citron.

Semences d'oseille.

Coriandre.

Chardon bénit.

Corne de cerf.

Camphre.

Conserve de rose.

Pour faire un opiat, dont on prendra la grosseur d'une châtaigne le matin, avec une cuillerée de bon vin,

Sans exagérer les vertus antidotiques de cette préparation, il est évident que, comme stimulant digestif, astringent, aromatique et désinfectant (camphre), cette préparation pouvait faire plus de bien que de mal. Une pratique, qu'il recommandait et qui était excellente, était de tenir, dans la bouche, un mélange de :

RFcorce de citron.

Orange sèche.
Cannelle.

Clous de girofle.

Les propriétés microbicides de l'essence de cannelle et de celle de girofle sont aujourd'hui reconnues.

Ce masticatoire se rapprochait d'ailleurs beaucoup de celui dont se trouvent si bien les populations de l'Inde Orientale; elles mâchent le bétel,

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