Les premiers articles du règlement pour Messieurs les médecins, chirurgiens et apothicaires de la ville de Grenoble concernent les médecins. I. Premièrement, les docteurs médecins ne s'ingéreront nullement d'exercer la fonction de chirurgien (1) soit à faire seignées, apliquer ventouses, settons, vescicatoires, soit à traitter tumeurs contre nature, ulcères, et plaïes, ainsi laisseront aux dits maîtres chirurgiens tout ce qui est de leur art, se contentant de leur assister de conseils lorsque les malades et autres pour eux le requerront; au surplus, se contiendront dans les limites de leurs charges, si ce n'est que les dits sieurs docteurs médecins se trouvassent aux champs, ou ici en quelque si urgente nécessité, qu'il n'y eut pas moien d'attendre la venue soit du chirurgien, soit de l'apoticaire, sans un évident danger en tel retardement ce qui se doit aussi entendre aux chirurgiens et aux apoticaires, tous lesquels, en ce cas seulement, seront excusés par 1 nécessité, laquelle n'a point de loy. Bien entendu, pour le regard du chirurgien, que là où il écherra la reïtération de la seignée ou ventouses et que le chirurgien qui l'aura faite sera allé dehors, ou bien qu'on ne le pourra trouver pour faire la dite reiteration à l'heure assignée ou à peu près, et que le malade (comme sonvent arrive) ne voudra pas être servi par le serviteur, en ce cas seulement les dits médecins et apoticaires, s'ils en sont priez du malade ou que ledit malade ne veüille point d'autres chirurgiens, le dit médecin ou apoticaire sera hors de coulpe s'ils sont contraints de faire telle opération. II. Les susdits docteurs médecins ne se mêleront point de faire ni bailler aux malades compositions aucunes, ni médicaments simples qui dépendent de la pharmacie, ains renvoyeront aus dits apoticaires tout ce qui est de leur profession. III. Les susdits docteurs médecins seront tenus escrire ou au moins signer les ordonnances ou receptes qu'ils feront. IV. Les mêmes docteurs, étant appelez pour secourir un malade seront tenus « Je jure de ne jamais donner à boire aucune sorte de poison et de ne conseiller jamais à aucun d'en donner, non pas même à ses plus grands ennemis. « Je jure de ne jamais donner à boire aucune boisson abortive. « Je jure de n'essayer jamais de faire sortir du ventre de sa mère le fruit, en quelque façon que ce soit, que ce ne soit par avis du médecin. « Je jure d'exécuter, de point en point, les ordonnances des médecins, sans y ajouter ou diminuer, en tant qu'elles seront faites selon l'art. « Je jure de ne me servir jamais d'aucun succédanné ou substitut, sans le conseil de quelque autre plus sage que moi. « Je jure de désavouer et fuir comme la peste la façon de pratiquer scandaleuse et totalement pernicieuse de laquelle se servent aujourd'hui les charlatans. empiri ues et souffleurs d'alchimie, à la grande honte des magistrats qui les tolèrent. « Je jure de donner aide et secours, indifféremment à tous ceux qui m'imploreront et de ne tenir aucune mauvaise et vieille drogue dans ma boutique. «Que le Seigneur me bénisse tant que j'observerai ces choses. >> (1) Ces considérations qui ne sont évidemment plus de notre temps, étaient naturelles à cette époque. Elles sont intéressantes comme document historique. lui demand-r, ou à ceux qui ont charge de lui, de quel chirurgien et apoticaire il se sert, ou se veut servir, afin de ne distraire les pratiques ni de l'un ni de l'autre. V. Lorsqu'il écherra quelque différent entre quelqu'un des apoticaires et quelqu'un du peuple pour la taxe des parties et fournitures faites par l'açoticaire, si quelqu'un des dits docteurs est requis d'une part ou d'autre, et du quel les parties conviennent, le dit sieur médecin y assistera et y rapportera ce qui sera de sa charge et avis. VI. A tout ce que dessus les dits sieurs médecins se sont soumis et juré l'observer inviolablement, à peine de six écus pour la première fois, et douze écus pour la seconde fois qu'ils seront atteints et convaincus avoir contrevenu, aplicable la moitié aux pauvres indifféremment, l'autre moitié à la bourse du corps de la médecine, pour être emploiée aux affaires qui lui pour ont survenir. Les articles qui suivent concernent les chirurgiens : VII. Les maîtres chirurgiens se contiendront aussi dans les bornes de leur vacation purement et simplement, sans se mêler d'ordonner chose aucune pour l'intérieur qui appartienne aux dits sieurs docteurs médecins et droits de leurs fonctions; et ne bailleront, donneront ni débiteront en façon aucune les drogues et compositions qui appartiennent à la pharmacie, si ce n'est que la maladie fut d'une telle espèce que le malade ne voulut point être découvert; car en tel cas les chirurgiens seront hors de coulpe. VIII. Tout ce que dessus les chirurgiens ont promis et jurent observer inviolablement, et de n'y contrevenir, à peine de cinq écus pour la première fois qu'ils y auront failli, et de dix écus pour la seconde, aplicable comme dit est. Articles concernant les apothicaires : IX. Les maîtres apoticaires de même demeureront dans les termes de leur vacation, sans se mêler en façon aucune de ce qui est de la fonction de docteurs médecins. Non plus s'entremettront-ils de faire ce qui est de l'exercice de la chirurgie, sous les mêmes peines auxquelles les dits maitres chirurgiens se sont soumis, aplicables de même. X. Et d'autant que pour couvrir leurs abus, les dits maîtres chirurgiens et apoticaires ne pourront s'excuser sur leurs serviteurs et apprentifs, car chacun d'eux, en ce qui les concerne respectivement, sera responsable pour son serviteur ou apprentif. si ce n'est qu'en le congédiant montrent n'y avoir aporté leur consentement. XI Les dits maîtres apoticaires ne feront ni recevront aucune ordonnance d'aucun médecin à eux inconnu, qui ne soit tenu, reçu et avoué pour médecin; et pour se garder de n'en prendre, lors qu'on leur aportera à aucun d'eux telles réceptes d'un médecin à eux inconnu, seront tenus de recourir au doyen des médecins, pour avoir son aveu ou désaveu, ou en son absence à un des autres plus anciens docteurs médecins. XII. Tous les susdits maîtres chirurgiens et apoticaires allant voir ou étant apelez par un malade, seront tenus de s'enquérir d'icelui qui est son médecin, et du quel il se veut servir (sans de son mouvement à leur poste en introduire un de nouveau) et tout aussitôt le faire apeler, afin que le malade soit secouru à point nommé. Enfin, viennent les statuts qui concernent les « trois branches de l'arbre médical », ou « les trois nœuds du bâton d'Esculape », suivant les anciennes expressions : XII. Tous les susdits docteurs médecins, maîtres chirurgiens et apolicaires ne faisant qu'un corps de la médecine, se joindront unanimement pour empêcher l'introduction des coureurs, charlatans, vendeurs de drogues en public et autres tels imposteurs, par les voies juridiques, civiles et honnêtes. XIV. S'il y a quelqu'un des dits maîtres chirurgiens et apoticaires, qui ne se veuille ranger à ce saint dessein, si profitable au public, ains veuille faire son cas à part, et demeurer désuni de tout le reste, il sera tenu pour perturbateur de ce Saint Ordre, ennemi du corps de la médecine, du Bien public, de l'honneur de la profession et de la paix et union d'icelle; et on veillera soigneusement sur ses actions, pour garder, selon qu'il sera avisé, que le public ne souffre dommage et la vacation deshonneur. XV. Tout le corps de la médecine s'assemblera, s'il est possible, une fois le mois, pour ouïr les plaintes, et connaitre des transgressions les uns des autres, et y procéder selon qu'il sera avise par la dite assemblée, sans acception de personne, afin que nul délinquant, quel qu'il soit, ne soit épargné. Ces statuts, qui contiennent beaucoup de bonnes choses, sont signés: Ant. DAVIN, D M DR (médecin du roi). RAPHAEL, D M. BENOIT, D M. G. CUVELIER, D M. D'AUDIBERT, D M. TARDIN, D M. MAYENCE, Me chirurgien. OZIAS EYMARD, Me chirurgien. DE SAINT-OURS, Me apothicaire. (1) P. Bérard est l'auteur d'un ouvrage en 6 volumes in folio que la Bibliothèque de Grenoble acheta en 1775. (Rochas: Biographie du Dauphiné). Il porte C'était là à peu près tout le personnel du corps de médecins à Grenoble à cette époque (1). En 1620, ce règlement fut enregistré par le Parlement, qui porta à 600 livres l'amende contre les contrevenants; mais le chiffre ne semble pas avoir été pris au pied de la lettre; le règlement fut cependant appliqué, car en 1627, un arrêt soumet Antoine Mégard, apothicaire de Grenoble, sur la plainte des maîtres chirurgiens et barbiers de cette ville, à payer une amende de 100 livres au corps de leur maîtrise, pour avoir exercé sans droit l'art de la chirurgie (1). Mégard en rappela et fit bien, car le Parlement l'acquitta après revision de son procès. Voici ce qui se trouve dans le jugement (2): « Antoine Mesgard, apothicaire de Grenoble, avait une grande capacité avec un véritable succès pour la guérison des ruptures des os, fractures et luxations, dont plusieurs personnes avaient été merveilleusement soulagées et guéries. A cause de cet emploi, il fut attaqué par les chirurgiens de cette ville, par devant le juge royal, afin que le dit Mesgard fut condamné en notables amendes, pour avoir entrepris sur leur profession, faisant des saignées, pansant des os rompus, les membres disloquez. Mais plusieurs personnes, qu'il avait soignées, déposérent à son avantage : il confessa avoir secouru et soulagé plusieurs personnes accablées de grièves douleurs, dont elles avaient été parfaitement guéries, en cas de nécessité et non autrement; qu'il avait fait beaucoup de saignées, que cette faculté de soulager par ses remèdes ceux qui en avaient besoin était comme héréditaire en sa famille, que son père et son ayëul s'estaient exercés dans un pareil emploi, quoiqu'ils ne fussent simplement qu'apothicaires, comme luy, qu'ils avaient fait dans cette ville de Grenoble de fort belles et admirables cures..... » Bref, sur le rapport de M. de la Rochette, « la cour permet à Mesgard de panser et médicamenter les luxations des membres, fractures et ruptures d'os, et les nerfs tressaillis, sans abus, lui faisant inhibition et défense de faire des saignées et exercer autres arts de chirurgien, dans la dite ville, sous peine de 500 liv. d'amende ». IV Parmi les signataires du règlement du corps de médecine, qui faisaient si à propos la guerre au charlatanisme et posaient les bases de la déontologie pour titre Theatrum botanicum continens descriptiones suprâ 6 000 plantarum genera Petri Berardi pharmacopolæ gratianopolitanus. Il entre'enait, diton, une correspondance suivie avec les botanistes d'Italie, d'Allemagne et d'Espagne. Villars, qui le cite, a donné le nom de Berardia à un genre de plantes. (1) Archives du département, B, 2092 (2) Bibliothèque de Grenoble, 0, 14201. médicale, se trouvait un médecin qui semble avoir occupé, à Grenoble, une assez haute situation, c'est Tardin; il paraît avoir été, auparavant, médecin à Tournon, dans l'Ardèche. Nous le voyons, en tout cas, en 1619 déchargé des tailles pour les services qu'il a rendus aux pauvres des hôpitaux (1). Plus tard, en 1620, son rôle est tout autre: il semble jaloux de la gloire littéraire de son prédécesseur Pierre Aréoud et se fait, aussi lui, metteur en scène dans les fêtes publiques: on lui offre « ung payre de bas de soy (du prix de 18 livres) pour aulcunement le récompenser de la payne qu'il avoyt prinse de dresser des vers pour l'entrée de M. le duc de Lesdiguières (2) ». Mais là ne se bornait pas son activité: tout en soignant les pauvres de l'Hôpital et faisant des vers pour l'entrée de Lesdiguières, il s'occupait de questions diverses: c'était un curieux de la nature et il nous a laissé un traité sur la Fontaine ardente (3), semblant, encore sur ce point, vouloir imiter Aréoud. La science, il faut le reconnaître, a peu de chose à prendre dans ce livre; l'auteur fait toutefois preuve d'érudition, de littérature et d'un esprit assez généralisateur; c'était évidemment un esprit philosophique et fort au-dessus des praticiens ordinaires: «Nous avons, dit-il, deux médecins, lesquels ont proposé quelques questions sur ce subject et ont tasché de le résoudre le mieux qu'ils ont pu. Le premier est Hierosme Montuus (4), sieur de Miribel, lequel, s'en allant en Italie, vit cette fontaine. L'autre est Aréoud ». Il reproche à l'un et à l'autre d'avoir adopté l'expression (1) Archives municipales, B B, 86 (2) Archives municipales, C C, 750. (3) Histoire naturelle de la fontaine qui brusle près de Grenoble. Tournon: chez Guillaume Linocier, libraire juré de l'Université, 1618. (4) Montuus ne semble pas avoir été médecin à Grenoble; son nom n'a donc pas à figurer dans cette étude sur la Médecine à Grenoble. Je ne puis cependant pas me dispenser d'en dire quelques mots. Nous savons, par une étude de H. de Terrebasse (La vie et les œuvres de Jérôme de Monteux, médecin et conseiller des rois Henri II et François II, seigneur de Miribel et de la Rivoire, en Dauphiné, par H. de Terrebasse. Lyon, 1889), que le père de notre médecin, Sébastien Monteux, était lui-même médecin de « l'illustrissime duchesse de Bourbon (Anne de France femme de Pierre II, duc de Bourbon, veuve en 1503, morte en 1522). Il était né à Rieux, en Languedoc, ou peut-être à Beaumont-Monteux, petite bourgade du Dauphiné, non loin de Saint-Antoine. Quant à Jérôme Monteux, médecin des rois Henri II et François II. il était né en 1490 ou 1495 en Dauphiné, était docteur de Montpellier habitait Saint-Antoine et était médecin de la célèbre abbaye de ce nom. Il a aussi exercé à Lyon, à Vienne, enfin suivit la Cour à Paris et à Saint-Germain. En 1543 il fut appelé par François Ier à Fontainebleau,pour donner ses soins à Catherine de Médicis,femme du dauphin Henri, alors enceinte de son premier enfant François. « Je fus choisi par le roi votre grand-père, dira-t-il plus tard à François II. pour soigner la mère et l'enfant au moment où, dans le ventre de la reine, votre mère, germaient les premiers principes de votre existence ». Il avait acquis une grande fortune et a laissé un grand nombre d'ouvrages, les uns de médecine, les autres plus frivoles. |