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Faculté qui fassent des cours (1) ». Dans la même ville, en 1687, ce sont les chirurgiens eux-mêmes qui viennent se plaindre de ce que le collège de médecine n'a pas, cette année, désigné deux des siens pour faire le cours à eux et aux apothicaires (2). Le cours fait aux chirurgiens était un cours d'anatomie, celui des pharmaciens, un cours de botanique (3).

Un collège de médecins était tellement bien une école, doublant une association professionnelle, mais une école, qu'à Bordeaux encore, en 1707, les membres du collège de la ville furent appelés, conjointement avec les professeurs de la Faculté, à donner leur avis au sujet d'une vacance de chaire (4).

J'insiste sur ce caractère enseignant des anciennes associations professionnelles de médecins, parce qu'il a été généralement méconnu. Nulle part, cependant, plus que dans la science médicale, le côté professionnel et le côté théorique ou enseignant ne sont plus unis. Gavarret reconnaissait d'ailleurs ce service rendu dans nos vieilles provinces, par leurs collèges de médecine, lorsqu'il disait (5) : « Avant 1789, il existait dans un certain nombre de villes, des collèges ou sociétés de médecine et de chirurgie, établissements d'enseignement de second ordre, qui comprenaient des cours d'anatomie, de chirurgie, d'accouchements, de pharmacie et de botanique... Lorsque la loi du 18 août 1792 supprima ces anciennes institutions d'enseignement médical, avec toutes les corporations enseignantes, la plus complète liberté d'exercice de la médecine se trouva établie ».

J'ai tenu à montrer qu'à Grenoble, à une époque plus reculée encore que le pensait peut-être Gavarret, le collège des médecins faisait des cours d'anatomie et de ce que nous nommerions aujourd'hui la matière médicale

Il est peut-être regrettable qu'on ait brusquement supprimé ces anciens collèges comme les corporations, qui ont disparu avec eux, ils avaient en eux de bons éléments, qu'on eut pu utiliser, sans faire table rase, pour avoir ensuite tout à recommencer dans nos provinces, où une centralisation excessive avait tout détruit.

Il n'en fut pas de même en Angleterre, ce pays classique de l'initiative individuelle et de l'autonomie : une foule d'associations locales, purement professionnelles au début, sont devenues, chez nos voisins, la base de fa

(2) Pery: Histoire de la Faculté de Bordeaux.

(1) Pery loc. cit.

(2) Pery: loc. cit.

(3) Pery loc cit.

(1) Gavarret: Rapport sur l'enseignement de la médecine. Recueil de Beauchamp, tom III août 1883, p. 739.

cultés et d'universités la Faculté d'Edimbourg, par exemple, n'était d'abord qu'un collège de médecins qui ne donnait pas de grades. Encore aujourd'hui, une foule de collèges médicaux continuent à conférer des grades, sans être des corps enseignants. Ils sont restés de véritables corporations, ce qui ne les empêcha pas cependant de devenir célèbres. Il suffit de citer le collège royal de médecina de Londres; le collège des chirurgiens d'Angleterre ; celui des médecins d'Edimbourg; le collège de médecine en Irlande; la société des apothicaires de Londres. Le diplôme de membre, comme jadis ici, n'est délivré qu'après examen ou justification des titres acquis dans une université ou dans un autre collège; les fellows se recrutent parmi les membres et ne sont que les administrateurs du collège. Chez nous les collèges de médecine étaient de même des corps examinants, conférant une maitrise locale; ils étaient, par surcroit, et dans beaucoup de villes, à Grenoble par exemple, des corps enseignants. L'enseignement qu'ils donnaient formait des chirurgiens et des apothicaires; on peut donc dire, étant donnée la situation des chirurgiens à cette époque, qu'ils instruisaient déjà ceux que nous nommerons plus tard les officiers de santé.

J'ai dit que les collèges de médecine jouèrent en outre le rôle de nos syndicats médicaux. Ils faisaient plus : ils constituaient ce qui nous manque et ce possèdent les avocats, une sorte de conseil de l'ordre.

Les articles suivants en sont la preuve et peuvent passer pour un véritable code de la bonne confraternité.

VIII.

Nullus Doctor Medicus in Aggregatorum numerum relatus, nec alius quisquam Medicus ægros, alteri commissos, interviset, sivè per se, sivè per interpositas personnas, nec de nomine famaquè detrahet ut per illius dispendium rem suam faciat.

IX.

Si duo aut plures Medici ad ægrum accersiti fuerint, non poterit ullus illorum præscriptionibus aliquid addere absquè mutuo consensu.

X.

Si jurgium aut dissidium aliquod inter Doctores Medicos inciderit, res ad Decanum referetur, ut ille per se vel ex Collegij consilio litem componat.

XI.

Si quid, præter decorum, ab aliquo Collegarum commissum fuerit, is, cui primum innotuerit, illum benevole et amicè officij admonebit; et si admonitus non ut decet se gerat, id toti Collegio deferet, et tanquàm Refractarius ab eo mulctâ aliquâ in pauperes eroganda mulctabiter.

Si Collegio lis mota fuerit, aut Col tare ad suam authoritatem tutandan

XII

judicari

eam intenlegij violare

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ausus fuerit, omnes reliqui Medici conjunctis sumptibus illum in judicio persequentur, prout toti Collegio visum fuerit.

Enfin :

XVII.

Si Medicorum aliquis Curam susceperit, et ægro placuerit alterum vocare, qui secundó vocatus fuerit, nihil inconsulto primo aggredietur, nisi summå urgente necessitate, aut renuente ægro, aut absente altero.

Faut-il conclure que nos pères étaient bien mauvais confrères, pour avoir besoin de ces règlements, ou faut-il regretter que nous ne les ayions plus en France?

Les pauvres n'étaient pas oubliés, et les membres du collège prenaient leurs précautions pour leur assurer le bénéfice d'une consulation.

XIII.

Si pauper aliquis, obscuro et difficili morbo laborans, non possit sumptus consultationis ferre, Doctor Medicus, qui illius curam geret, alijs Doctoribus morbi naturam, causas, signa, Prognosim, et quæ in curâ præstiterit, et quæ facienda judicet exponet.

C'était en même temps constituer en principe ce que nous faisons aujourd'hui dans nos sociétés scientifiques de médecine, où les cas rares et curieux sont soumis à l'expérience des confrères.

XIV

Enfin, comme nos syndicats, le collège faisait la guerre aux charlatans et à l'exercice illégal de la médecine.

Nec Decanus, solus, nec cum alio junctus, poterit attestatorium Libellum concedere Circumforaneis, Circulatoribus, nec alijs hujus farinæ hominibus,qui compitatim sua Chimica, vel alia Pharmaca, sive simplicia, sive composita venditant; etiamsi à judice ad eum relegati fuerint: Verùm totius Collegij erit illud munus, aut ejus erit pensum cui Collegium commiserit.

XV.

Ab hoc Cotu et Collegio, ab omni consultatione, mutuà ægrorum visitatione, Prophani, Infames, qui aliquâ pænâ aut infamâ mulctati, inter Reos habiti, Empirici, Fumivenduli, et non aggregati procul arceantur.

La dernière clause, non aggregati, est peut-être un peu dure! Lorque le récipiendaire, ses visites faites, ses papiers montrés, son examen passé, avait entendu la lecture de ces statuts, il ne lui restait plus qu'à prêter le serment solennel.

Juris-Jurandi formula.

Ego N. Deum Hominesque testor, vobisque meis Symmystis ingenuè polliceor me nunquam à Dei cultu, et Collegij nostri consensu, nec a cujusquam vestrum amicitia discessurum, et quæ ab hoc Cætu nostro statuto fuerint, pro-virili servaturum, senioresque vestrum, non secûs ac parentes, debito honore prosecuturum, indefessoquè obsequio reliquos meos Collegas promeriturum, patefacturumquè ea quæ audivero, videro, et cognovero

sacro huic Ordini interesse, Nec minûs Artis et Doctoratûs decus ubiquè sartum tectum pro viribus præstituturum, Nec consultationem initurum cum ijs qui in Medicorum prædictorum Societatem non fuerint asciti et comprobati, eâque, quæ in mei Doctoratus initatione, promisi juramento, inviolate servaturum; Statutaquè hujus almi Conventûs. quæ mihi nunc prælecta fuerunt, non minori studio, quam vitam ipsam, custoditurum. Id si præstitero, ut ego N. sincerè et ex animo spondeo, coëptis meis benedicat Unus et Trinus: Si verô pejeravero, et illa violavero, his penitùs contraria mihi contingant, et tunc à vestro omnium Consortio prohiberi, et ab omni consultatione interdici, ex Collegarum albo deleri, et exauctorari, tanquàm perfidus, non renuo. Gratianopoli iij Calendas Decembris, millesimo sexcentisimo octavo. »

On voit que le collège de médecine faisait des médecins de la ville un groupe compact et qu'il servait à la fois les intérêts de la profession, comme ceux de la science et par conséquent des malades. Fidèle aux principes qui régnaient à cette époque dans les provinces, il conservait son autonomie médicale et cherchait, autant que possible, à éviter l'ingérence de l'administration centrale. Aussi le sieur Fougerolles, qui avait été chargé par le roi de favoriser le mouvement d'organisation fait par les médecins, en 1608, fut-il assez mal reçu, lorsqu'en 1609 il demanda la vérification des lettres patentes, qui lui donnaient le droit d'inspecter les drogues des apothicaires et des médecins. Le conseil protesta contre cette innovation (1).

Davin, médecin du roi, aussi lui, et ennobli en 1606, était seul capable de défendre les intérêts de Grenoble contre les prétentions de Fougerolles; or il semble qu'il venait de quitter notre ville, car en 1612 on décide « qu'une requête sera présentée à la cour, pour que M. Davin, médecin, soit rappelé à Grenoble, où ses soins sont nécessaires (2) ».

D'ailleurs la situation respective des médecins, des chirurgiens et des apothicaires n'est pas encore suffisamment définie pour ne pas donner lieu à des froissements.

III

Le 30 août 1614, par un groupement à coup sûr très physiologique, très fonctionnel, médecins, chirurgiens et pharmaciens déclarant qu'ils forment, à eux trois, le corps de médecine, se réunirent et commencèrent l'élaboration de statuts propres à limiter le fonctionnement de chacun de ces trois organes du corps médical (3).

<< Tout le corps de médecine assemblé, est-il dit dans le pr ambule, pour

(1) Archives municipales, B B, 76.

(2) Archives municipales, B B, 75.

(3) Albin Gras: Institutions médicales de Grenoble.

pourvoir tant à l'union et correspondance, qui doit être entre ses membres, que aux moïens nécessaires pour faire que la dite médecine soit bien et dûeme' t faite au profit du public et à l'honneur des docteurs médecins, malires chirurgiens et apoticaires de la dite ville de Grenoble, après meore délibération, a trouvé bon de mettre par écrit le résultat de la dite assemblée ou le coucher par articles, les quels leur feront loix et règlements: qu'un chacun en sa vocation séparément, puis tous unanimement, ne faisant qu'un corps mistique, doivent suivre ».

L'expression est elle-même un peu mystique, mais parfaitement juste et très heureuse. On ne saurait, en effet, méconnaître l'importance de cette synthèse, qui se fait, pendant les études dans les écoles ou facultés mixtes de médecine et de pharmacie, au grand profit de l'étude des sciences naturelles, base commune de ces trois sortes d'études.

L'école de médecine et de pharmacie de Grenoble est heureuse de trouver cette manifestation dans la bouche de ceux qui l'ont précédée et lui ont préparé le terain.

Il est bon de noter cette entente faite à Grenoble entre les médecins ou chirurgiens et les pharmaciens, car au même moment ces derniers étaient en butte, à Paris, aux vexations des premiers, qui, en 1631, leur faisaient signer un concordat humiliant pour eux, où il est question de pharmacopæorum parisiensium supplicatione, qui in gratiam medicorum redire exoptabant, et Jesmédecins s'engagent à les regarder ut filios et discipulos obsequentes. La situation respective des deux professions était déjà à Grenoble un exemple de bonne confraternité dans le corps de médecine (1).

(1) A Paris, le serment qu'on exigeait des pharmaciens se ressentait de cette ancienne lutte et était beaucoup moins digne qu'à Grenoble. Voici, à titre de curiosité, ce serment :

Je jure devant Dieu de vivre et mourir en la foi chrétienne.

Je jure d'honorer, respecter et faire service non seulement aux docteursmédecins qui m'auront instruit en la connaissance des préceptes de la pharmacie, mais aussi à mes précepteurs et maîtres pharmaciens, sous les quels j'ay appris mon métier.

« Je jure de ne médire d'aucun de mes anciens docteurs ou maitres pharmaciens.

Je jure de rapporter tout ce qui me sera possible pour l'honneur, la gloire, l'ornement et la majesté de la médecine.

Je jure de n'enseigner point aux idiots et ingrats les secrets et raretés d'icelle.

« Je jure de ne rien faire témérairement sans avis du médecin, ou sous espérance de lucre.

Je jure de ne donner aucun médicament, purgation aux malades, que je n'aie pris le conseil de quelque docte médecin.

Je jure de ne toucher aucunement aux parties honteuses et défendues des femmes, que ce ne soit par grande nécessité, c'est-à-dire lorsqu'il sera question d'appliquer dessus quelque remède.

« Je jure de ne découvrir à personne les secrets qu'on m'aura fidèlement commis.

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