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action les prérogatives, les honneurs de l'ancien medicus pecuniarius, de l'ancien médecin municipal sont attribués en partie au médecin du roi, titre qui implique celui de conseiller d'Etat ; c'est le médecin et conseiller ordinaire du roi.

Primitivement, les médecins du roi étaient ceux qui soignaient le roi; ils ne le quittaient guère et il y en eut naturellement de tout temps(1) mais les médecins, qui soignaient le roi chaque jour, n'étaient plus seuls à porter ce titre ni à jouir au moins de la plus grande partie de ses privilèges. Dans les provinces, ce titre était donné à un certain nombre de médecins qui, le cas échéant, eussent pu soigner le roi, mais qui ne l'avaient peut-être jamais vu. Ces médecins du roi étaient, sinon les princes de la science, du moins les princes de la médecine professionnelle dans leur province.

Or, en 1550, Lesdiguières avait amené avec lui un médecin du nom de Davin (2), qui ne le quittait jamais. En reconnaissance de ses nombreux services, il le fit nommer conseiller et médecin du roi « pour avoir l'œil et tenir exactement la main, en ce qui sera à l'assistance et secours des malades et blessés », moyennant quoi Davin « recevra, sur tous les butins qui se feront sur l'ennemi, tant par les gens de cheval que de pied, de quelque qualité et condition qu'ils soyent, ung sol par livre, revenant à cinq pour cent. >>

Ces honoraires sentent un peu le brigandage de l'époque et le connétable faisait payer Davin plus militairement que royalement; mais lorsque les troubles seront finis, les médecins du roi auront des prérogatives d'une origine plus pacifique. En tous cas, ce médecin se montra toujours plein de

(1) J'ai déjà parlé des archiatres, c'est le nom par lequel Galien désigne Andros maque médecin de Néron. Grégoire de Tours parle de l'archiatre ou primu medicorum. Le mot était, depuis cette époque, tombé en désuétude, lorsqu'il fut repris, sous la forme de comte des Archiatres, par Marc-Miron, seigneur de l'Hermitage, médecin de Henri III, en 1574. L'appellation ne dura pas, mais les privilèges restèrent; les médecins du roi jouissaient un peu des prérogatives que le Code théodosien assigne aux professoribus medicis, médecins du palais, « qui in sacro palatio, inter archiatros militarunt, nulla senatoria vel glebali collatione, nulla municipali, nulle curialium conventione rexandos ». À l'époque où nous sommes, les médecins du roi jouissaient encore d'une foule de prérogatives: ils prenaient les premiers, à l'église, le pain bénit et l'eau bénite, et, dans un autre ordre d'idées, pouvaient pratiquer la médecine à Paris sans passer par la Faculté de cette ville. Lorsqu'ils venaient à l'Ecole couverts de leur robe de satin, emblême de leur titre de conseiller d'Etat, ils devaient être reçus au bas de l'escalier par les docteurs-régents. Plus tard, en 1606, Henri IV leur accorda, pour André du Laurens, son médecin, le droit de commettre, par tout le royaume, un ou deux chirurgiens charges des rapports judiciaires, et en 1611, Louis XIII leur attribua l'intendance sur la medecine, la chirurgie, la pharmacie, avec le droit d'approuver, de recevoir et de graduer les barbiers-chirurgiens et les apothicaires.

(2) Maignien: Esquisses dauphinoises, Davin.

sollicitude pour son client, dont il connaissait, sans doute à fond, le tempérament: Videl raconte, en effet, que, lorsqu'en 1598, Claudine Bérenger, première femme de Lesdiguières, tomba malade, il conseilla à son illustre maitre de faire venir près de lui Marie Vignon « l'y exorthant et lui remontrant, par des raisons tirées de sa complexion naturelle, que sa santé se pouvait altérer dans cette sorte de vie, le fit résoudre d'appeler auprès de lui une jeune femme, nommée Marie Vignon, qu'il possédait depuis quelques années en secret » (1).

:

Aussi bien, une autorité médicale supérieure aux autres devait devenir nécessaire, car la peste était toujours menaçante.

En 1542, le bruit court qu'elle est à Chambéry; on envoie aux renseignements et défense est faite de laisser entrer dans Grenoble toute personne venant de cette ville (2. Elle est à Vienne, à Lyon; à Grenoble même des cas de fièvre grave (?) apparaissent; on fait des processions pour que toutes gens, tant d'église que aultres, s'amendent et corrigent des péchés tant publicz que aultres, comme des usures, fornications, adultères, blasphèmes, jeux privez et publicz, de toute paillardise » (3).

Malgré ces sages précautions,en 1545 la peste n'est plus douteuse; l'évêque de Grenoble part pour l'abbaye de Saint-Cernin de Toulouse, les consuls défendent aux prêtres de confesser les pestiférés; plusieurs des médecins même quittent la ville et il ne reste plus que l'homme décidément indispensable, Pierre Aréoud (4). La peste est aussi à Lyon: il est à craindre que les marchands de Grenoble, qui se rendent dans cette ville, n'en rapportent de nouveaux germes; on autorise cependant les apothicaires à s'y approvisionner des drogues de médecine(5). L'épidémie s'étend à Fontanil, à Saint-Martin-d'Hères, à Vizille, à Chirens, à Montbonnot, à Moirans, à Voiron (1546) (6). On rétablit l'usage des bulletins de santé exigibles à l'entrée de la ville et, comme on est convaincu de l'influence des astres sur l'épidémie, on défend aux habitants des communes voisines d'entrer en ville jusqu'à ce que la lune soit virée Pour plus de sûreté, une clôture est établie tout autour de la ville (7). Les marchands n'iront pas à Lyon, mais, pour ne pas paralyser complètement le commerce, il est décidé que deux marchands, de chaque corpo

(1) Maignien: Esquisses dauphinoises, Davin.

(2) Archives municipales, B B, 13.

(3) Archives municipales, B B, 13.

(4) Prudhomme: Histoire de Grenoble.

(5) Archives municipales, B B, 13.

(6) Pilot: Histoire municipale.
(7) Archives municipales, C C, 636.

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».

ration auront seuls le droit de se rendre à la foire de cette ville et qu'ils feront les achats de leurs confrères (1). On fera l'autopsie de tous les décédés, afin d'être exactement renseigné et c'est Grégoire Lyonnet, le chirurgien, qui en est chargé; quant à Pierre Aréoud, qui soigne les pestiférés de Grenoble et du Fontanil, il touche un mandat de trois écus (2).

On respire un peu: de nouvelles craintes viennent bien de Chambéry en 1551, mais on est quitte pour quelques précautions. Entre autres, on fait déloger grand nombre de garces malhonnêtes et débauchées qui sont établies près la porte de la Perrière, à cause du dangier de peste que ces filles font courir à la ville» (3).

Treize années se passent dans le calme à ce point de vue, mais, en 1564, l'épidémie est sérieuse et elle dura l'année suivante 1565, mauvaise condition pour empêcher la chute de l'Université menacée. La maladie, qui régnait en Savoie, en Suisse et à Lyon, éclate à Grenoble, rue deB eullerie. depuis rue du Boeuf (4); on mande le chirurgien-barbier que nous connaissons déjà, Lyonnet, dit le Baron (5), « pour çavoir de luy sa résolution, s'il entendait de servir la ville en ce temps de nécessité de peste, pour secourir et subvenir à ceulx qui se trouveront attainctz de la dicte maladie ». Lyonnet s'engage « pour tout le moys d'aoust à secourir les pestiférés selon son art et profession et, si besoin était, suivant l'ordonnance de maître Pierre Aréoud, pour 25 écus pour ledit moys.... et sera tenu, ledit Lyonnet, de faire son devoir, sans exiger des malades autre somme, sinon que libéralement elle lui fut offerte », mais il est bien convenu que «<lorsque ledit Lyonnet commencerait de visiter quelqu'un suspect de ladite maladie, dès lors il se serrerait, luy et son ménage, dans sa maison et que on luy ferait fournir en icelle tout ce qui luy serait besoin par ses voisins ou serviteurs de la ville; de laquelle maison ne serait loysible au dit Lyonnet sortir, si non quand il y aurait nécessité de visiter quelque malade, et en commandement et permission des dits consuls, lesquels, en ce cas, seraient tenus de bailler un serviteur de ville, qui, avec une baguette blanche, irait quérir dans sa maison ledit Lyonnet et le conduirait. là où besoin serait et le ramènerait dans sa dite maison ».

Pour être minutieuses et un peu puériles, ces mesures étaient plus humaines que par le passé; on n'expulsait plus hors de la ville les malades, les suspects et leurs voisins. Le service de Lyonnet était dùr néanmoins,

(1) Archives municipales, B B, 13. (2) Archives municipales, B B, 13. (3) Archives municipales, B B, 14. (4) Pilot: Histoire municipale.

(5) Pilot de Thorey: le Dauphiné, 1895, p 419.

aussi ne le faisait-il pas, paraît-il, d'une façon suffisante. Mal lui en prit: la Cour ordonne, en effet, et sans plus d'attermoiement, « que commandement sera fait audit Lyonnet de servir de son art et satisfaire à la convention portée par ledict rapport et pour le temps y contenu, sous peine de la vie et d'être arquebouzé impunément en cas de contravention » (1). Quant aux autres médecins, ils sont invités à ne pas quitter la ville sous peine de perdre leurs privilèges (2).

Ces mesures radicales se comprennent aisément, quand on considère que la plupart des habitants, presque tous les magistrats, les hommes de loi, les notaires, les membres même du Conseil de la ville, avaient pris la fuite. Du 11 août au 15 décembre, le Conseil ne tint plus séance (3) et la ville était tellement déserte, qu'on ne put procéder à l'élection des consuls pour 1565 (4). On a fait venir de Gap un chirurgien nommé Nicolas Carlot; quant à Pierre Aréoud, nommé capitaine de santé, il est toujours là, encourageant tout le monde et donnant des recettes pour éviter la contagion. Son collègue Nicolas Allard se montre digne de lui; mais ce ne sont pas eux qui ont la direction administrative de la santé. Ce service nouveau et si nécessaire, pour lequel on a créé le poste de sous-intendant de la santé, est confié à un médecin qui semble être étranger et nouveau venu à Grenoble: c'est Me Antoine Charbonnel, qui veille à la santé publique, sans doute de concert avec Aréoud et Allard.

Les danses et les concerts sont interdits; défense d'acheter ou de vendre des habits ou meubles d'occasion sous peine de 10 livres d'amende et de prison; de porter des masques; défense de louer les maisons qui n'ont pas de latrines; toute personne malade doit se présenter au sous-intendant de la santé. Chacun doit nettoyer sa maison, y répandre de la chaux et du vinaigre (5), et comme bien des malades sont abandonnés même par les leurs, il est décidé que les serviteurs et chambrières atteints de la peste en soignant leurs maîtres devront être nourris pendant leur maladie aux frais de ceux-ci (6). Sous les ordres d'un état-major composé du sousintendant et de ses deux confrères Aréoud et Allard, se trouvent le chirurgien de l'Hôpital de l'Isle, Pierre Mimox, et en ville, les chirurgiens Grégoire Lyonnet dit le Baron devenu, sans doute, plus fidèle observateur de ses règlements, Jean Têtu, Jean Flachard et Jean Noël.

(1) Pilot de Thorey: loc. cit.

(2) Archives municipales, B B, 19.

(3) Berriat Saint-Prix: Histoire de l'ancienne Université. (4) Prudhomme: Histoire de Grenoble.

(5) Prudhomme: Histoire de Grenoble.

(6) Archives municipales, B B, 20.

parvint petit à pelit, quoique non sans peine, à améliorer le service médical, et que, par les secours qu'il rendra à la population, comme par l'enseignement clinique, officiel ou non, dont il sera la source, il deviendra le laboratoire où s'élaborera la future Ecole de médecine.

Pour suffire à tant d'occupations diverses, les médecins manquaient d'ailleurs; Aréoud était bien là, pour rédiger, suivant l'ordre des consuls, un règlement destiné à prévenir la contagion (1572) (1), mais Nicolas Allard venait de mourir (2); on cherchait à le remplacer.

Or, précisément un médecin, dont la réputation était venue jusqu'à Grenoble, Louis de Villeneuve, de Montélimar, « où il faisait sa résidence près du lieu de sa naissance (3), avait été appelé dans notre ville, pour soigner Mme de Gordes. En 1573, les consuls décident de le retenir et de lui fournir un logis commode durant trois ans » (4);, le Parlement de son côté lui alloue 300 livres par an (5). Cette invitation flatteuse fut acceptée, même non à la légère et sans oublier de compter toutes les dépenses accessoires, car en 1574, on trouve dans les comptes « à M. de Villeneuve, docteur médecin, 50 livres, qui lui ont été attribués pour le parfaict de 500 livres, à lui accordées pour le débris et voycture de ses meubles venant demeurer dans la présente cyté » (6). Il est vrai que la même année Louis de Villeneuve prête 200 livres à la ville (7).

A peine arrivé, il prend de suite à Grenoble une haute situation; en 1576, « on a heu advertissement qu'on se meurt en Italie, à Turin et aultres lieux, en Allemagne et à Dijon; sera bon d'adviser de prendre garde des passans de ceste ville »; les consuls lui demandent donc, en 1577, dans le cas où on le ferait demander au conseil, de vouloir bien donner son avis, « pour le fait de la santé » (8). Sur ses conseils, on prend contre les voyageurs, qui viennent de Lyon, les mesures les plus sévères : la famille de La Marche a reçu, il y a quelques jours, un de ses fils arrivant de cette ville; tous les membres qui la composent sont expulsés (9). La peste étant à Bernin, et non encore à Grenoble, de Villeneuve va (1580), lui-même, à Bernin et à Crolles, visiter les malades

(1) Albin Gras: Institutions médicales de la ville de Grenoble, 1844.
(2) Ses héritiers prêtèrent 1.000 livres à la ville.

(3) Archives municipales, B B, 65.
(4) Archives municipales, C C. 683.
(5) Archives municipales, B B, 25.
(6) Archives municipales, CC, 691.
(7) Archives municipales, C C, 683.
(8) Archives de l'Hôpital, E.
(9) Archives municipales, B B, 29.

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