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douze Universités, puisqu'il y en a treize en Italie et nos Facultés brillent encore d'un assez vif éclat pour que Grenoble ait droit à sa place dans la décentralisation projetée. »

Naturellement ils réclament le maintien de deux ordres de médecins : on ne pouvait leur demander de se couper eux-mêmes la gorge. Les professeurs de Grenoble sont unanimes en outre pour demander le rétablissement des examens de fin d'année.

Tout cela ne nous amenait pas encore la réorganisation, et nous luttions pour ennoblir le rôle des Ecoles préparatoires, au moment même où nous allions peut-être être supprimés pour cause d'incapacité de recevoir les élèves, étant Ecole sans domicile ! Le plus pressé était donc d'obtenir un local; il serait temps plus tard de songer au meilleur mode de vivre. Mais primo vivere !

Les professeurs adressent donc à la municipalité la lettre suivante :

Monsieur le Maire,

Grenoble, le 1er mars 1890.

Messieurs les Conseillers municipaux,

Les professeurs de l'Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie se sont préoccupés du nouveau projet de loi sur l'exercice de la médecine et de la pharmacie qui va être prochainement discuté et qui comporte la suppression des officiers de santé. Cette suppression, que le gouvernement accepte, diminuera sensiblement le nombre des étudiants et amoindrira l'un de nos établissements de l'enseignement supérieur.

Nous avons l'honneur d'appeler toute votre sollicitude sur cette situation et sur la requête que nous vous adressons en vue de neutraliser les effets fâcheux de ce projet de loi.

En conséquence, considérant :

10 Qu'un certain nombre d'Ecoles moins importantes que celles de Grenoble ont obtenu le titre d'Ecole réorganisée ;

2o Que le budget exigé pour la réorganisation est voté depuis plusieurs années, et que, par conséquent, les conditions demandées par les règlements, au point de vue du nombre des chaires, ont reçu satisfaction;

3o Que plusieurs demandes de réorganisation ont été faites et que l'un des motifs de refus allégué par le ministère est l'insuffisance des locaux ; 4o Que cette insuffisance est notoire et incompatible, tant avec le bon fonctionnement des cours et conférences, qu'avec celui des exercices pratiques, dont le nombre et l'importance s'accroissent chaque année;

5o Que le bâtiment actuel de l'Ecole est indigne d'un établissement d'enseignement supérieur, surtout dans une ville où les Facultés, les Lycées et les Ecoles primaires sont parfaitement aménagés ;

60 Que les règlements universitaires ont depuis dix ans apporté un obstacle sérieux au recrutement et au maintien des élèves en doctorat, et que malgré cela l'Ecole de médecine reste aux premiers rangs, ainsi qu'en font foi les résultats des examens et les recettes de la comptabilité municipale ;

70 Que la suppression des officiers de santé diminuera le nombre des élèves;

8° Que l'atteinte qui serait portée à l'Ecole de médecine pourrait ébranler la stabilité du centre Universitaire de Grenoble ;

9° Que le seul moyen de prévenir ce danger est la réorganisation de

l'Ecole, qui permettra de conserver les élèves en doctorat en leur donnant la possibilité de passer à Grenoble deux examens ;

Nous vous prions instamment de vouloir bien décider qu'un local répondant aux exigences des services sera attribué à l'Ecole de médecine et de pharmacie, et de faire auprès des pouvoirs publics de pressantes démarches en vue d'obtenir le plus tôt possible le titre d'Ecole réorganisée. Veuillez agréer, Monsieur le Maire, Messieurs les Conseillers municipaux, l'assurance de notre respectueux dévouement.

BERLIOZ,
J. CARLET,
TUREL,

PEGOUD,

RAOULT,
Félix ALLARD,
P. JANET,
GAGNEUX,

BABOIN,
DESCHAMPS,
LABATUT.

M. Liard, qui a dirigé avec tant de sollicitude pour nos Ecoles la réorganisation générale de notre enseignement supérieur et qui a tout fait pour l'élever à la hauteur de la science moderne et de ses moyens d'investigation, vient à Grenoble, calme les esprits, mais ne cache pas l'impression fàcheuse qu'il avait forcément éprouvée en visitant les locaux de la conciergerie.

Cette visite eut l'heureux effet de stimuler la municipalité, devant qui le Maire (22 mai 1890), fait l'exposé suivant:

Dans sa dernière inspection de nos établissements d'enseignement supérieur, M. Liard, directeur de ce service au Ministère de l'Instruction publique, nous a confirmé dans notre opinion que rien ne serait changé à notre situation universitaire malgré les bruits alarmants qui avaient circulé quelques jours avant son arrivée.

Nos Facultés sont installées convenablement dans un monument digne de l'enseignement qui y est donné par des professeurs distingués. L'esprit des élèves est excellent, et je crois que M. le Directeur a emporté de sa visite à Grenoble une bonne impression.

Seule l'Ecole de médecine fait tache dans le tableau. Son état de saleté et de délabrement est connu de nous tous. L'on n'a fait jusqu'à présent que des réparations urgentes dans le local actuel pour éviter la suppression de Ecole; mais cette situation déplorable ne pourrait pas durer indéfiniment. Il y a urgence actuellement à s'occuper de la reconstruction de l'Ecole de médecine sur un autre point, à la suite de l'Arsenal, par exemple, sur les terrains appartenant à la Ville. Cette question étant, d'un autre côté, liée à celle du transfert de l'Hospice sur un autre point du territoire de la ville et à celle du prolongement du boulevard de Bonne, le statu quo est impossible.

Si nous voulons conserver définitivement à Grenoble nos Facultés et faire consacrer l'existence de notre Ecole de médecine, qui est seulement tolérée aujourd'hui, il importe de ne point perdre de temps. C'est pourquoi, Messieurs, je vous propose de renvoyer à vos Commissions de Travaux et de l'Instruction publique l'étude de cette question que j'ai déjà fait préparer par notre Architecte municipal.

En août 1890, nouvelle lettre des professeurs :

Monsieur le Maire,

Messieurs les Conseillers municipaux,

Les projets de décentralisation universitaire actuellement en préparation auront pour effet, s'ils se réalisent, d'augmenter l'importance de certains

centres d'enseignement supérieur et cela dans des proportions telles que les centres moins bien partagés risqueront de disparaître à bref délai.

A Grenoble, l'enseignement de cet ordre se trouve particulièrement menacé et nous avons le regret de constater que la situation de l'Ecole de médecine et de pharmacie accroît encore ce danger.

Notre Ecole, malgré les efforts incessants de son Directeur, de ses professeurs et de ses élèves, se trouve dans une situation irrégulière. Elle n'est pas réorganisée conformément au décret du 1er août 1883. La ville de Grenoble a consenti cependant à faire les sacrifices nécessaires. Il nous manque malheureusement quelque chose de plus, un élément indispensable de réorganisation, un local, et M. le Directeur de l'Enseignement supérieur nous le répétait encore, en présence de M. le Maire, lors de sa récente visite à Grenoble.

Nous ne pouvons ne pas reconnaître cependant que bien des progrès ont été réalisés. Il y a 20 ans, tous les cours se faisaient dans une salle de l'Hôpital militaire; la bibliothèque n'existait pas, pas plus que les laboratoires. Nous avons aujourd'hui salles de cours, bibliothèque, laboratoires pleins, on pourrait dire encombrés d'appareils précieux; mais le tout se trouve caché dans l'Hôpital et renfermé dans une masure sordide presque en ruines. C'est là que nous devrons recevoir prochainement M. le Ministre de l'Instruction publique.

Puisque d'une installation nouvelle dépend notre réorganisation, c'est-àdire notre existence, nous croyons devoir insister auprès de vous pour que cette amélioration indispensable soit faite ou ait reçu au moins un commencement d'exécution dans le plus bref délai possible. Dans quelques mois il pourrait être trop tard.

Dans une situation intermédiaire entre les grandes et les petites villes, Grenoble, en tant que centre universitaire, doit grandir ou tomber. Nous comptons, certes, beaucoup sur le renom de nos Facultés, renom qu'une tradition fidèle a si glorieusement conservé, mais encore ne faut-il pas qu'il existe, dans ce brillant ensemble, des taches trop noires et notre installation actuelle en est une.

L'Ecole de médecine de Grenoble, comme les autres Ecoles semblables, est municipale et ne coûte rien l'Etat, puisqu'elle lui a rapporté plus de 8.000 fr. pour la seule année dernière, la part de la ville étant encore de 18.862 francs

C'est grâce à la ville qu'elle existe, grâce à son appui qu'elle a pu vivre et prospérer. Sans insister sur ce côté particulier de son utilité, la formation avec les Facultés d'un tout homogène et solide, nous croyons qu'elle peut récompenser Grenoble de ses efforts. Déjà nos travaux se multiplient, nos publications sont connues et citées. A un point de vue plus immédiatement pratique, c'est pour la population de notre Ville une garantie salutaire que la présence d'un corps médical et pharmaceutique recruté au concours, concours sérieux devant un jury en grande partie étranger à notre Ecole et constitué dans les conditions les plus indiscutables de compétence et d'impartialité.

Les élèves sont actuellement moins nombreux qu'ils ne le seraient avec d'autres programmes; mais ces programmes ne peuvent manquer d'être modifiés et ne le seraient-ils pas, le nombre des élèves augmentera beaucoup si, comme nous le croyons, notre Ecole, résistant à l'orage, parvient, grâce à son énergie et à son travail, à conquérir bientôt un rang plus élevé.

Nous ne trouvons rien à redire aux améliorations apportées à la situation d'autres Ecoles. Plus les centres d'enseignement seront multipliés, plus s'élévera le niveau général de l'instruction pour laquelle la France républicaine a déjà fait de si grands et si utiles sacrifices. · Mais si nous ne protestons pas contre le maintien ou même la création d'Ecoles ou de Facultés rivales, nous voulons au moins faire connaitre nos droits à la lutte non seulement pour l'existence mais encore pour le progrès.

Il importe que nous ne succombions pas dès le début pour qu'il nous soit possible de rendre à la Ville, sous forme de renommée et de services, une partie au moins de ce qu'elle a fait pour nous.

Nous comptons cette fois encore sur votre appui efficace et surtout immédiat.

Tant que satisfaction ne sera pas donnée à M. le Ministre de l'Instruction publique, en ce qui concerne notre local, nous ne pouvons nous adresser qu'à vous.

On vient de réorganiser, on réorganise encore d'autres Ecoles; celle de Besançon, par exemple, ville qui ne possède que deux Facultés, ou même celle d'Angers qui n'en a point, et lorsque la nôtre seule en France n'aura pas reçu cette consécration officielle, sorte de certificat de vie, elle sera bien près d'être supprimée, entraînant peut-être dans sa chute les trois Facultés qui l'entourent.

Veuillez agréer, Monsieur le Maire et Messieurs les Conseillers municipaux, l'assurance de notre entier dévouement.

Suivent les signatures de tous les professeurs :

ALLARD, BABOin, Berger, BERLIOZ BISCH, Carlet,
DESCHAMPS, GAGNIEU. GALLOIS, GIRARD. JANET,
LABATUT, MONTAZ, NICOLAS, PEGOUD, RAOULT,
TUREL, VERNE.

Grenoble, le 6 août 1890.

Le 21 mars 1891, M. le Recteur Bizos, à qui l'Ecole de Grenoble doit être reconnaissante des efforts qu'il a faits pour elle dans cette période difficile, fait parvenir au maire une lettre signée du Directeur et des professeurs; il ajoute : « Ces messieurs m'ont exprimé le désir que cette lettre vous fût adressée par mon intermédiaire et j'y ai consenti bien volontiers, heureux de m'associer à eux dans les remerciements qu'ils envoient à la municipalité et dans le témoignage qu'ils donnent de leur dévouement aux intérêts de l'enseignement supérieur à Grenoble ». Voici cette lettre :

Grenoble, 24 mars 1891.

Les professeurs soussignés remercient la municipalité de tous les efforts qu'elle faits en faveur de l'Ecole de médecine et de pharmacie.

Alors que les circonstances sont plus favorables que jamais à une amélioration de la situation universitaire de l'Ecole, ils seront heureux de voir mettre à exécution le projet de reconstruction conformément aux plans adoptés et sur l'emplacement choisi par la municipalité (rue Mazet). Cette amélioration considérable ne peut venir à un meilleur moment, pour l'avenir de l'enseignement supérieur à Grenoble.

BERGER, CARLET, RAOULT, MONTAZ, BERLIOZ, LABATUT, GALLOIS,
PEGOUD, DESCHAMPS, BABOIN, NICOLAS, BISCH, TURÉL, VERNE,
GAGNEUX, GIRARD, ALLARD.

Enfin l'horizon semble s'éclaicir, les Ecoles semblent reprendre pied; notre déplacement semble sur le point de se faire.

Dans la discussion devant la Chambre de la loi relative à l'exercice de la médecine, une déclaration du ministre, répondant à M. A. Rey, député de l'Isère, vient en effet à point dissiper les craintes. «Je déclare très nette

ment, dit M. Bourgeois à la tribune, que les intérêts des Ecoles secondaires nous avaient paru comme à M. Rey respectables, considérables même, et que nous devions nous-mêmes prendre toutes les mesures nécessaires pour que les Ecoles de médecine ne soient pas atteintes par les effets du projet de loi en discussion...... D'accord avec M. Rey et avec M. le Dr Langlet, qui se sont fait les organes autorisés des intérêts et des besoins de l'enseignement de la médecine, le gouvernement pense qu'il y a lieu de conserver et de fortifier les Ecoles secondaires. Elles constituent, suivant nous, des foyers d'études supérieures qu'il serait regrettable de voir disparaître et vous pouvez être assurés, messieurs, que le gouvernement fera tous ses efforts, non seulement pour maintenir tous ces foyers, mais pour les développer encore s'il est possible ».

En même temps, le conseil, sur le rapport du Dr Girard, renonce à l'emplacement choisi précédemment rue Mazet pour l'Ecole, et adopte un autre emplacement rue Lesdiguières (1). Voici le rapport du Dr Girard:

Messieurs,

Dans votre séance du 25 septembre dernier, à la suite d'un rapport présenté par notre honorable collègue, M. Marquian, au nom des commissions réunies de l'instruction publique, des finances et des travaux, vous avez approuvé le projet de construction d'une Ecole de médecine dressé par l'architecte municipal et se montant à la somme de 125.000 fr., de plus, vous avez désigné un emplacement situé sur la rue Mazet.

Ce projet a dû subir de nombreuses modifications, sur la demande des intéressés; tout dernièrement, M. le Ministre de l'instruction publique présentait quelques observations au sujet de l'installation des laboratoires. Aujourd'hui, le plan remanié selon les vœux de l'administration supérieure et complètement approuvé par elle, peut être mis immédiatement à exécution. L'administration municipale a, du reste, la certitude que la construction de l'Ecole de médecine dans ces conditions entraînera forcément avec elle le titre d'Ecole réorganisée que vous demandez depuis 1885 (Rapport du conseil municipal, 1885), mais que le ministre a toujours refusé en raison de l'état des bâtiments actuels.

Les modifications apportées au plan primitif ont élevé les devis à la somme de 200.000 fr.; c'est donc un surcroît de dépense de 75.000 fr. qui vous est demandé.

Le conseil, consulté officieusement par l'administration municipale, a reconnu la nécessité de voter ce supplément de 75.000 fr. et il a recherché les moyens de se procurer cette somme.

Il a tout d'abord reconnu que l'exécution du projet voté le 25 septembre dernier entraînerait une dépense totale de 225.000 fr., soit comme construction 125.000 fr., soit comme emplacement 100.000 fr

En effet, la valeur actuelle du terrain avoisinant la rue Mazet est de 50 fr. le mètre carré, et cette valeur ne peut que s'accroître. Or, l'Ecole de médecine située sur cet emplacement occuperait ou rendrait inutilisable une surface de près de 2.000 mètres carrés, soit à 50 fr. le mètre, cent mille francs.

(1) Séance du 18 avril 1891.

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