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papier aux fenêtres; par qui? c'est là ce qui nous intéresse pour le moment, par Barthelemy Reynier, barbier. La dépense n'était pas énorme : 22 sous 3 deniers (1)

A peine réorganisée, la pauvre Université joue de malheur. En vain avaiton fait venir, pour le droit, des professeurs étrangers fort en renom (2), le Drac, lorsque la peste laisse les Grenoblois tranquilles, rompt ses digues que tous les consuls, qui se succèdent, passent leur vie à réparer; la ville n'a plus d'argent pour payer les étrangers et les professeurs grenoblois continuent seuls à faire des lectures jusqu'à la fin de 1546.

Les cordeliers refusent en outre, et cette fois positivement, de loger encore l'Université; la petite bataille universitaire, où des bancs et des tables volèrent en l'air et blessèrent le frère Fiquet, a été souvent racontée (3); la ville fait payer par les moines les bancs cassés, décide, comme suprême vengeance, qu'une enquête sera faite « super mala versatione,vita et moribus d'iceulx », et on reprend, tant bien que mal, la vie universitaire un moment troublée. Elle ne sera plus distraite que par des fêtes.

En 1547, le duc de Guise François de Lorraine, nouveau gouverneur, fait son entrée solennelle à Grenoble. L'Université est fermée pour cause de fête. Réjouissances publiques. Naturellement, c'est Pierre Aréoud, le médecin à tout faire, qui dirige tous les préparatifs: on joue une sorte de mystère allégorique « l'Histoire », par M° Pierre Aréoud. Les jeunes filles qui jouent l'Histoire sont habillées de taffetas de Lyon rouge et incarnat; l'une d'elles, Anne Aréoud, est la fille de l'auteur. Ce dernier touche d'ailleurs un mandat de 20 écus d'or pour la composition « des dictons que l'on jouera» (4).

A peine les fêtes pour l'entrée du gouverneur sont-elles terminées, que le roi Henri II vient à son tour (10 août). Pierre Aréoud se charge encore de régler le détail des fêtes et le conseil adopte « son invention » (5). Il s'agit d'une vaste composition allégorique, où Noblesse présente les clefs au roi. Elle est suivie de Sapience, de Renommée, et, je ne sais pourquoi, Jupiter et Prometeus se trouvent mêlés dans « l'invention ». L'auteur, devenu fabricant de décors pour la circonstance, traite avec un serrurier pour dresser une pyramide d'après ses propres dessins.

Les gouverneurs se succédaient en vérité comme pour donner de la

(1) Archives municipales, C C, 636.

(2) Mathieu Gribald.

(3) Archives municipales, B B. 13. versité.

(4) Archives municipales, B B, 14. (5) Archives municipales, B B, 14.

Berriat Saint-Prix: Histoire de l'Uni

besogne à Maitre Pierre. Nous le voyons encore sur la scène faisant répéter, en 1564 et en 1565, pour l'entrée de M. le prince de la Roche-sur-Yon, nouveau gouverneur, et recevoir 70 écus d'or pour les deux cérémonies.

On pourrait croire Pierre Aréoud suffisamment occupé, tout au moins détourné des choses sérieuses? il suffisait à bien d'autres choses encore ! Surintendant des écoles avec Pierre Buchicher et Girard Servient, docteurs en droit (1), il est encore chargé, en 1555, de rédiger les statuts de ce que nous nommerions l'enseignement primaire (2). En 1557, avec Nicolas, médecin, il interroge un régent de Romans, qui se présente pour remplacer le recteur des Ecoles (3).

Sans quitter encore Pierre Aréoud, revenons à l'Université.

La médecine y semble encore assez délaissée. Les professeurs de droit, dont quelques-uns sont attirés de loin (4), semblent seuls occuper la scène ; cependant si les médecins étaient moins bruyants, moin sexigeants surtout sur le chapitre « salaire » que leurs collègues étrangers du droit, ou même de la théologie, ils semblent avoir montré plus de zèle et d'abnégation que l'histoire de cette Université ne leur en accorde généralement. Pierre Aréoud nous surprendrait, s'il n'avait pas appartenu à l'Université et si, ayant l'honneur de lui appartenir, il n'eût pas rempli ses fonctions, avec l'activité qu'il apportait dans tout.

En 1558 (5), le 2 septembre, Pierre Aréoud et Nicolas Allard, docteurs en médecine, exposent en effet que, pour l'augmentation de l'Université, ils ont fait par ci-devant lectures publiques, « sans avoir heu aulcung payement, toutes foys l'estranger en a le proffict ». Une compensation était bien due à Pierre Aréoud, personnage à coup sûr sympathique: il demande pour lui et pour son fils André Aréoud, avocat, l'exemption des tailles, « attendu qu'ils sont nobles, ainsi qu'il résulte d'une enquête faite à Forcalquier, leur ville natale (6) ». Je ne sais s'il fut fait droit à cette demande, mais le 17 février 1559, une décision du conseil fixe pour l'avenir les « gages » de Pierre Aréoud et de Nicolas Allard, professeurs à l'Université

(1) Archives municipales, B B, 13. (2) Archives municipales, B B, 15. (3) Archives municipales, B B, 16.

(4) Jérôme Atheneus, de Padoue'; Gribald; Govéa, en 1550; Hector Richerius, d'Udino, en Frioul; Boissonne, de Chambéry. Les professeurs étrangers étaient payés sur un don de 1.500 livres provenant de la ferme du sel, que le roi avait attribuée aux deux Universités de Valence et de Grenoble, soit 750 livres pour Grenoble. En 1558, la somme fut portée à 1.000 livres, auxquelles il faut ajouter 400 livres sur la ferme des gabelles de Pont-Saint-Esprit, soit 1.400 livres. (5) Archives municipales, B B, 17.

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(6) Archives municipales, B B, 17. Il avait été ennobli par François Jer, ainsi que je l'ai dit plus haut.

de Grenoble, à 100 livres par an (1), satisfaction purement platonique, car le 25 juin de la même année, la délibération du conseil accordant des gages aux professeurs de médecine à l'Université est rapportée, « attendu que les deniers attribués par le roi à ladite Université sont expressément réservés au traitement des docteurs étrangers (2) ».

En fait, ce qui manquait à Grenoble ce n'étaient pas les élèves ils étaient, en 1560, tellement nombreux, que les aubergistes ne pouvaient plus les loger; ce n'étaient pas non plus les professeurs, même ceux de la région; c'était l'argent! Bien que les Etats de Dauphiné donnassent une subvention, l'Université était surtout municipale: or la ville avait de nombreuses charges, et le conseil, bien différent de ses successeurs modernes, ne savait pas toujours faire à temps les sacrifices nécessaires pour assurer l'existence d'une institution, qui lui était cependant chère.

Sans doute les consuls se montraient, en toute occasion, dévoués à l'Université ainsi l'un d'eux devait toujours assister aux examens de doctorat (3); ce sont eux qui passaient avec les professeurs les lonages ou conduites (4); mais l'argent manquait et Valence, l'ancienne rivale, n'avait pas perdu tout espoir de devenir le seul centre universitaire de la région. Montluc, qui protégeait cette ville, se chargea de faire réussir la campagne. qu'on allait entreprendre.

Les querelles religieuses étaient un trop bon prétexte pour qu'on ne s'en servit pas on commença donc par dire « que l'Université de Grenoble commense fort à dyminuer et des choir (5) », que ses professeurs sont mal sentant la foi chrétienne (6) ». Il fallait se défendre! Antoine Aréoud, fils de Me Pierre, est chargé de rédiger un mémoire pour la défense de l'Université; en 1561, les quatre docteurs de l'Université, qui avaient cessé leurs cours, sont invités à les reprendre pour faire preuve de vitalité (7), bien que la guerre civile commencée ne donnât guère aux

(1) Archives municipales, BB, 17.

(2) Archives municipales, B B, 17. Il en était partout ainsi : Berriat SaintPrix constate également que les professeurs étrangers touchaient toute la somme disponible. A peine s'il restait 100 livres pour chacun des professeurs du pays même. avec un casuel modique et quelques petites prérogatives. (Berriat SaintPrix: Histoire de l'Université de Grenoble). A Bordeaux, les professeurs de l'Université ne touchaient aucun gage jusqu'en 1615. Ils touchèrent alors 200 livres. (Pery: Histoire de Bordeaux).

(3) Archives municipales, B B, 14.

(4) Berriat Saint-Prix: Histoire de l'Université de Grenoble.

(5) Archives municipales, B B, 18.

(6) Gribald est accusé, auprès du duc de Guise, alors gouverneur, de ne pas assister au « service divin» et de ne pas croire à la divinité de Jésus-Christ. (Berriat Saint-Prix).

(7) Archives municipales, B B, 18

études la tranquillité qui leur est nécessaire. Heureusement la pacification du 19 mars 1563 permit de reprendre la vic normale (1) et Pierre Aréoud, qui est toujours sur la brèche, recrute sans doute des élèves,car il présente plusieurs candidats au doctorat en médecine, entre autre Corneille de Blockland, de Montfort, près d'Utrecht (2).

Les diplômes grenoblois sont ainsi libellés : Doctorem medicinæ declaramus, Doctorum privilegiis hic et ubique frui posse testamur (3).

On fait réparer la chièse et bancz de l'auditoire de l'Université ». On se montre enfin décidé à travailler quand même; les consuls refusent aux réformés le grand réfectoire des cordeliers, qu'ils demandaient pour y tenir leurs prêches, attendu que ce local sert aux lectures de l'Université (4) »; mais ces efforts sont inutiles.

En 1565, le roi rend à Bordeaux un édit qui réunit l'Université de Grenoble à celle de Valence et donne à cette ville les 1400 livres de la gabelle. L'Université de Grenoble a vécu. Elle essaie vainement de lutter devant le conseil privé (1566); la procédure se continue en 1571, mais tout est inutile et, malgré de nombreuses tentatives, faites à diverses reprises, c'est à l'époque contemporaine qu'il était réservé de voir refleurir l'Université de la vieille capitale du Dauphiné.

II

L'activité des médecins de Grenoble, pendant toute cette période universitaire, n'avait pas manqué d'emploi professionnel, et les conditions au milieu desquelles ils vivaient leur laissaient en vérité peu de loisirs. Comment la Faculté de Médecine eût-elle pu prospérer dans de pareilles conditions?

Les pauvres étaient nombreux et toutes les fondations hospitalières, encore dispersées, en hébergeaient un assez grand nombre, qu'elles faisaient soigner aux frais de la ville, par des chirurgiens et même des barbiers plus souvent encore que par des médecins. Ces fondations dispersées étaient l'Hôpital de la Madeleine, fondé au XIIe siècle, l'Hôpital Notre-Dame, l'Hôpital St-Antoine, rue Perrière, et l'Hôpital St-Jacques. C'est ainsi qu'en 1539 nous voyons Me Hugues Reynier, barbier chargé

(1) On engage Loriol.

(2) Berriat Saint-Prix a présenté, à la Société des Antiquaires de France, plusieurs diplômes de doctorat en médecine délivrés par l'Université de Grenoble, en 1563. (Voir les notes de son mémoire sur l'Emploi de la langue latine dans les actes, op. cit)

(3) Archives municipales, C C, 660. (4) Archives municipales, B B, 19.

i

de soigner les malades à l'Hôpital Notre-Dame (1), moyennant 2 florins par mois (2).

En 1541, un chirurgien, Pierre Blanc, est mandaté de 30 sols pour avoir guéri un malade de l'Hôpital Notre-Dame atteint de la «< maladie de Naples ». Mais Pierre Blanc n'avait sans doute été appelé pour ce cas grave qu'à titre de chirurgien consultant, car la même année 1541 c'est encore le barbier Hugues Reynier qui est chargé du service médical à l'Hôpital Notre-Dame (3).

En 1544, le barbier n'est plus suffisant. Il s'agit d'une opération grave et il est fort probable que le chirurgien qui fut appelé à l'Hôpital NotreDame pour «coupper ung petit enfant et luy oster une grosse pierre de gravelle (4) », Me Claude Port, n'était pas de Grenoble et appartenait à cette catégorie d'opérateurs ambulants qui pratiquaient surtout la taille et sur lesquels j'aurai occasion de revenir. Du reste, si chacun des petits hôpitaux, qui existaient avant leur fusion, au XVIIe siècle, en un hôpital général, avait son barbier, il semble que les consuls avaient fini par nommer un chirurgien général, qui faisait, à titre de chirurgien des hôpitaux, le service de toutes les fondations hospitalières de la ville. C'est ainsi que nous trouvons en 1550 un mandat de 12 florins (5) en faveur de Jean Tétu, chirurgien-barbier, lequel est encore commissionnépar la ville en 1551, pour une période de trois ans, aux gages de 2 florins par mois, << à la charge que le dit Têtu debvra servir et médiciner tous les pouvres malades et ulcérés de touts les hôpitaulx de la présente cité, tous jours et à toutes heures qui sera mandé pour ce, et tant en dangier de peste, guerre et aultres dangiers, et aussi en dangier de peste aller servir en personne, à l'ospital de l'Isle, tous malades et dangereux de peste de la présente cité, en luy fournissant des drogues et onguents, et en temps de peste luy seront establis aultres gages, que seront advisés par les consuls (6) ».

A l'époque à laquelle nous sommes parvenus, et depuis longtemps déjà, le pouvoir central de Paris veut, en toute occasion, faire sentir son

(1) L'Hôpital Notre-Dame avait été fondé, en 1422, rue Chenoise, par Aimon de Chissé, évêque de Grenoble. Placé, depuis 1516, sous l'administration de la Ville, il disparut, comme tous les autres hôpitaux de Grenoble, lors de la fondation de l'Hôpital général sur le terrain de la Trésorerie en 1638. (Prudhomme: Introduction aux Archives hospitalières).

(2) Archives municipales, B B, 12. (3) Archives municipales, C C, 635. (4) Archives municipales, C C, 636. (5) Archives municipales, B B, 18. (6) Archives municipales, B B, 14.

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