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naient prendre chez nous les connaissances nécessaires pour entrer dans cette carrière, alors très courue (1). Après de rapides études à l'Ecole, les jeunes gens désireux d'être employés au service des armées passaient un examen à la mairie. Voici l'une des lettres de convocation (2):

DÉPARTEMENT

DE LA GUERRE

Paris, le

Les inspecteurs généraux du service de santé militaire,

A Monsieur le Maire de Grenoble,

Son Excellence le Ministre-Directeur de l'administration de la guerre, Monsieur, nous a renvoyé la demande que lui a faite le sieur d'être employé au service de santé des armées. Comme, avant que cette demande soit prise en considération, nous devons nous assurer de la capacite de ce chirurgien, nous vous prions de lui indiquer le jour auquel vous jugerez à propos qu'il se rende a la municipalité, pour y résoudre, sous votre surveillance, les questions de chirurgie ci-jointes.

Vous voudrez bien, Monsieur, n'ouvrir ces questions que ce jour là, en sa présence et au moment où il s'occupera d'en donner la solution. Il devra le faire sans désemparer, dans un lieu écarté de toute communication, sans le secours d'aucun livre et d'aucun manuscrit. Ces précautions prises, nous vous invitons à Jui accorder un temps suffisant, trois heures par exemple, pour qu'il puisse méditer ses réponses et en faire, s'il était besoin, une copie lisible et correcte.

Il faut que le sieur

remplisse deux feuilles de renseignemens, suivant les indications marginales et qu'il les signe; il faut aussi qu'il produise son acte de naissance et la preuve qu'il a satisfait aux lois relatives à la conscription.

Ayez la complaisance, Monsieur, de nous adresser, sous le couvert de son Excellence le Ministre-Directeur de l'administration de la guerre, les réponses du sieur et les pièces qui lui sont demandées. Nous avons l'honneur de vous salue. PARMENTIER. DESGENETTES.

On trouve aux archives 70 de ces pièces, toutes nominatives de 1807 à 1813. On en trouve une dizaine pour les pharmaciens.

La présence à Grenoble de tous ces jeunes élèves chirurgiens, qui allaient jouer un rôle dans l'épopée napoléonienne, la lecture du bulletin des batailles, les récits de blessures, colportés de bouche en bouche, avaient rendu populaire tout ce qui touchait à la chirurgie et à la médecine; aussi les cours étaient-ils suivis, non seulement par les élèves chirurgiens et par les aspirants officiers de santé civils, mais aussi par des personnes de la ville (3) la salle des leçons ne pouvait contenir tous les auditeurs qui se présentaient. Parmi les élèves de cette époque, on distinguait un jeune homme dont l'avenir fut brusquement brisé, André Mazet, né à Grenoble en 1793, mort à Lisbonne en 1821, victime de la

(1) A. Rey: Eloge de Billerey..
(2) Archives municipales, 9, F.
(3) Armand Rey: Eloge de Billerey

fièvre jaune, que le gouvernement l'avait envoyer étudier et combattre avec Pariset, François, Rochoux et Bailly (de Beaurepaire).

Pendant ce temps s'organisait l'Université de France et se réalisait le plan proposé par Fourcroy en 1806. « En se proposant d'établir sous le nom d'Université impériale, avait dit le rapporteur, un grand corps qui, sous plusieurs rapports, pourra être comparé à l'ancienne Université de Paris, le gouvernement entend le constituer sur un plan plus vaste. I veut faire marcher également, dans tout l'empire, les diverses parties de l'instruction. Il la veut soumise à l'influence générale d'une même administration, maintenue par une surveillance continuelle, préservée par le règlement de la manie des innovations et des systèmes » (1).

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L'Académie de Grenoble prenait naissance et comprenait l'Isère, les Hautes-Alpes et la Drôme. L'Ecole de Droit devenait Faculté ; une Faculté des Lettres, une Faculté des Sciences étaient créées et, alors qu'il était spécifié que chaque Académie comprendrait (2): 1° les facultés pour les sciences approfondies et la collection des grades ; 2o les lycées; 3o les collèges, les écoles secondaires communales; 4o les institutions ou écoles tenues par des instituteurs particuliers; 5° les pensions, pensionnats, appartenant à des maîtres particuliers; 6o les petites écoles, les écoles primaires; alors que le réseau universitaire faisait aux organismes les plus minuscules l'honneur de les saisir, la médecine, sans y gagner les avantages de l'índépendance, n'était même pas, à Grenoble, sur le même pied que les écoles primaires. Elle ne faisait même pas partie de l'enseignement public!

Ce ne fut pas sans dépit que les médecins, qui se sentaient aptes à l'enseignement et qui avaient fait leurs preuves, virent se construire au-dessus de leur tête cet immense mécanisme universitaire. Ce fut sans doute un des motifs qui déterminèrent les membres de la Société de Santé, encore

(1) Décret du 17 septembre 1808. TITRE II, Art. 2. A dater du 1er janvier 1809, l'enseignement public, dans tout l'Empire, sera confié exclusivement à l'Université.

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ART. 74.

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- Il n'y aura point de Faculté de théologie.

ART. 75. L'Ecole de droit de Grenoble sera la Faculté de droit. Le directeur prendra le titre de doyen.

ART. 76.
ART. 77.

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Il n'y aura point de Faculté de médecine.

Les Facultés des sciences et des lettres seront formées près du ycée de Grenoble.

(2) Décret du 17 mars 1808, portant organisation.

sous le coup de l'insuccès de leur ancienne Ecole de 1802, et naturellement jaloux de la petite chaire mise à la disposition des nouveaux professeurs des Cours de médecine et de chirurgie, à ouvrir, cette fois à profusion, des cours publics. «En 1809, dit Armand Rey, la Société de Santé fut transformée en une espèce d'enseignement libre, où chaque médecin eut une chaire à son gré; mais les professeurs improvisés, n'ayant écouté que leur ambition, trouvèrent leurs aptitudes en défaut et cet essai malheureux dura quelques mois à peine (1) ».

Un seul professeur de l'Ecole de Médecine entra dans l'Université comme professeur de physique et de chimie à la Faculté des Sciences, ce fut Bilon fils (François-Marie-Hippolyte). Il remplissait, en outre, à la Faculté des Sciences, les fonctions de secrétaire.

III

Si Napoléon ne se montrait pas favorable à l'enseignement de la médecine et de la pharmacie à Grenoble, il se rattrapait au moins par une distribution inattendue de médicaments: tandis que nous demandions à faire des médecins et des pharmaciens, l'empereur envoie à Grenoble... du quinquina.

Le lyrisme du maire Renauldon ne pouvait manquer d'éclater en des circonstances auss: touchantes et les murs de Grenoble furent couverts de l'affiche suivante :

Nouveau bienfait de Sa Majesté l'Empereur et Roi (2).

Le Maire de la ville de Grenoble s'empresse d'annoncer aux habitans de cette commune un nouveau trait de la bienfaisance paternelle dont sa Majesté l'Empereur et Roi vient de les honorer.

Son attention et ses soins paternels, constamment occupés de la gloire et de la prospérité de l'Empire, embrassant tout ce qui tient au bonheur et à l'avantage de ses sujets, se sont portés sur les moyens de leur assurer des secours nécessaires à leur santé et de leur procurer abondamment le spécifique le plus précieux, dont les circonstances les avaient privés, contre des maladies graves qui renouvellent chaque année leurs ravages dans la plupart de nos provinces.

La lettre suivante, que M. le Maire vient de recevoir de S. Ex. le Ministre de l'intérieur, comté de l'Empire, nous dispense de toute réflexion. Un bienfait si utile et si important, sans ajouter à notre reconnaissance, à notre zèle et à notre dévouement, ne peut que les entretenir. RENAULDON, maire.

Copie de la lettre de S. Ex. le Ministre de l'intérieur, comte de l'Empire,

A Monsieur le Maire de Grenoble,

Paris, le 3 janvier 1809.

Monsieur le Maire, je m'empresse de vous informer que Sa Majesté a

(1) A. Rey: Eloge de Billerey.
(2) Archives municipales, 5, J, 1.

ordonné la distribution de 150 quintaux kilogriques de quinquina à ses quarante deux bonnes villes et que la vôtre est comprise dans ce bienfait pour 150 kilog. (environ) ou 300 livres.

Il m'est agréable d'avoir à vous annoncer que la volonté de Sa Majesté est que les maires et adjoints, les membres des conseils municipaux et les citoyens des quarante deux bonnes villes qui ont part à cette distribution, voient dans ce souvenir un témoignage de la satisfaction et de l'amour que leur porte le Souverain.

Vous employerez les moyens nécessaires pour donner à cet acte, d'une bienfaisance si attentive et si touchante, la publicité convenable; chacun, dans de pareils soins, reconnaîtra la sollicitude d'un père pour son heu reuse famille.

Je vous adresserai ultérieurement une instruction sur le mode qu'il conviendra de suivre pour la distribution et l'emploi du quinquina. Recevez, monsieur le Maire, l'assurance de ma sincère amitié. Signé CRETET.

Malheureusement l'impartiale histoire a le regret de rapprocher de cette assez plate effusion, le rapport beaucoup moins enthousiaste des spécialistes chargés de recevoir le précieux cadeau.

Voici le procès-verbal de l'ouverture des caisses et de leur vérification, à la date du 16 août 1810 :

Du seize août mil huit cent dix, Monsieur le Maire de Grenoble ayant fait appeler auprès de lui Messieurs Gagnon, docteur en médecine, Etienne Breton et Joseph-Amédée Plana, tous deux pharmaciens jurés de la ville de Grenoble, afin de procéder à l'ouverture et à l'examen de quatre collis, soit deux caisses et deux surons kina; les susdits experts ont procédé en faisant ouvrir devant eux d'abord le suron sous le no 47. Ils ont trouvé qu'il contenait du kina jaune, loxa peruviana, de très médiocre qualité. Successivement, on a ouvert le suron numéroté 108, contenant également du kina jaune, jaune Calissaya; ce kina était d'une qualité inférieure au précédent De suite on a ouvert la caisse cotée 312, contenant du kina tirant sur le rouge à la partie extérieure, d'un jaune gris à la partie intérieure de chaque écorce, connu, dans l'envoi, sous le nom de kina nova. Ce kina, légèrement amer, est d'une qualité bien inférieure au kina rouge du com merce; enfin, le quatrième collis, sous le numéro 313, contient un mélange de kina gris et de rouge pâle, étiqueté, dans la lettre d'envoi rouge peruviana. Dans cette caisse on a trouvé quelques écorces qui avaient encore le byssus, mais en petite quantité; le reste était privé, non seulement de byssus, mais presque de l'écorce extérieure, présentant. dans la cassure, toutes les marques de la vétusté, soit par la poussière qu'il répandait en le cassant, soit par défaut du coup-d'œil résineux qu'il doit présenter lorsqu'il est frais. En général, les pharmaciens susdits pensent que ce kina peut être utile étant employé en décoction sur les parties externes du corps, soit pour prévenir ou arrêter les progrès de la gangrène; mais ils n'oseraient, dans leurs pharmacies, l'administrer intérieurement pour gué ir les fièvres intermittentes et surtout la fièvre pernicieuse.

Fait à Grenoble, les jour, mois et an que dessus.

Signé : GAGNON, PLANA, BRETON, RENAULDON, maire.

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Cette anecdote ne touche que d'assez loin à l'art de guérir; elle méritait, du moins, de figurer à titre documentaire, dans une histoire de la médecine à Grenoble.

IV

Silvy et Billerey étaient les deux professeurs des Cours de médecine alors le plus en vue :

Silvy fait de nombreuses communications aux Sociétés savantes : à la Société des Sciences et Arts, dont Gagnon était président et Champollion Figeac secrétaire, il fait un rapport intéressant pour nous, au point de vue rétrospectif, sur le galactophore du docteur Martin (le jeune), de Lyon: Les Anglais avaient imaginé, pour faciliter l'allaitement lorsque les nourrices ont le mamelon excorié, de se servir d'une véritable tétine de vache, qu'ils conservaient, entre chaque tétée, dans un vase rempli d'alcool. C'était, au demeurant, le comble de ce qu'on pouvait trouver de plus mauvais et de plus dangereux ! mais l'antisepsie était encore loin! Silvy n'a pas de peine à montrer les inconvénients d'un procédé prétendu naturel et les avantages d'une tétine en gomme élastique.

Billerey s'occupait de questions plus universitaires, et, sur ses instances, le Recteur de l'Académie de Grenoble avait, parait-il, redigé, en 1812, un rapport, où il demandait la création d'une Faculté de Médecine à Grenoble. Il avait lui-même été chargé d'aller porter ce rapport à l'Empereur, avec Repiton avocat, Dumollard député et le Dr Eymeri, chirurgien-major de la garde (1). « Rien ne prouve mieux, dit A. Rey, qui rapporte le fait, l'influence considérable qu'exerçait Billerey à Grenoble (2). Billerey, dans un rapport officiel (3) raconte lui-même, en 1831, qu'il avait été sérieusement question, en 1812, de créer une Faculté de Médecine dans notre ville. A défaut de Faculté, on se fut contenté de la réalisation d'un autre projet qui avorta, lui aussi : il affirme également « tenir d'un chef de division au ministère de l'instruction publique, qu'à cette époque (1812), l'Empereur avait pris la détermination de convertir en Ecoles secondaires de Médecine qui devaient faire partie de l'Université, 18 des Cours pratiques créés dans les Hôpitaux, et que sur la liste dressée, Grenoble occupait le troisième rang » (4). Mais les événements de 1813 et de 1814 avaient empêché de donner suite à ce projet.

Les deux dernières années de l'Empire ne sont guères favorables aux

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