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On voit que l'enseignement de la pharmacie ne comportait pas deux degrés inégaux, comme celui de la médecine. L'exposé des motifs (1) dit même expressément: « La réception des pharmaciens a du rapport avec celle qui a été fixée pour l'art de guérir. Il y aura deux genres de réception: l'un aura lieu dans les six Ecoles et par leurs professeurs réunis et deux docteurs de l'Ecole de médecine; l'autre, dans les jurys de médecine de chaque département, auxquels seront adjoints quatre pharmaciens. Cependant les examens seront les mêmes dans les uns et dans les autres de ces établissements, parce que les pharmaciens doivent également savoir préparer partout les médicaments usuels. » Etrange inconséquence, qui admettait le demi-savoir chez le médecin et qui le redoutait chez le pharmacien.

Les jurys départementaux avaient aussi la mission de délivrer des diplômes aux sages-femmes (2).

Enfin, ils délivraient également, dans les villes où n'existait pas une des cinq Ecoles, des diplômes d'herboriste (3).

Ces mesures de réglementation de l'exercice de la médecine ne pouvaient que stimuler le zèle, encore bénévole, de l'Ecole de chirurgie de Grenoble; c'est ce qui se produisit en effet; d'ailleurs, à cette époque, un mouvement intellectuel marqué se manifestait dans notre ville.

On venait de fonder le Lycée. Un emprunt de 60.000 francs, par souscription de 200 actions de 300 francs chacune, remboursables sans intérêt sur le produit des octrois, avait été fait pour son établissement: nous voyons même le citoyen Berard-Trousset s'inscrire pour trois actions. Le goût des Grenoblois pour les lettres et les sciences n'avait pas d'ailleurs échappé au Préfet, qui disait l'année même (1803) à l'occasion du Lycée (4): <«<L'empressement avec lequel la ville de Grenoble a sollicité cette disposition du Gouvernement en sa faveur, le prix qu'elle a toujours attaché à l'instruction et le goût naturel de ses habitants pour les sciences et les beaux-arts, me font espérer qu'elle va redoubler de zèle, pour accélérer la mise en activité

(1) Exposé des motifs sur la loi et sur l'organisation de la Pharmacie. Germinal an XI.

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(2) Loi du 20 prairial an x1 (9 juin 1803): ART. 42. Les élèves sages-femmes seront soumises, dans les jurys, à un examen dans lequel elles répondront aux questions qui leur seront faites et exécuteront, sur le fantôme, les opérations les plus simples des accouchements. Il leur sera délivré gratuitement un diplôme, suivant le modèle joint au présent arrêté. (3) Arrêté du 25 thermidor an XI (13 août 1803) :

ART. 44. — Dans les jurys, l'examen des herboristes sera fait par l'un des docteurs en médecine ou en chirurgie et deux pharmaciens adjoints au jury. Cet examen aura pour objet la connaissance des plantes médicinales, les précautions nécessaires pour leur dessiccation et leur conservation

(4) Pilot de Thorey: Notes pour servir à l'histoire de Grenoble.

d'un établissement qui la place au centre d'un arrondissement d'instruction publique composé de quatre départements (Isère, Drôme, HautesAlpes, Ardèche) ».

A peu près au même temps, Grenoble (1) avait sa part dans l'institution des Ecoles de droit (2). Elle la devait à l'ancienne renommée de son Parlement, à l'état d'esprit de ses habitants et à l'activité de sa municipalité, qui avait fait tous ses efforts pour aboutir à cette bonne fortune (3); elle était, enfin, une des trente-six « Bonnes villes et lieux insignes de France (4) comme telle elle était toujours, à cette époque, parmi les villes privilégiées.

(1 Décret du 21 septembre 1804.

(2) Les autres Ecoles de droit, créées par une loi du 22 ventôse an XII, étaient, avec Grenoble Paris, Dijon, Turin, Aix, Toulouse, Poitiers, Rennes, Caen, Bruxelles, Coblentz et Strasbourg.

(3) L'Ecole de droit de Grenoble fut créée, en 1804 (21 septembre), par décret impérial, en exécution de la loi du 22 ventôse an XII. MM. de La Valette, adjoint au maire et Didier, membre du corps municipal (Pilot de Thorey: Notes pour servir à l'histoire de Grenoble) s'étaient rendus à Paris pour faire valoir les droits de Grenoble. Le maire Renauldon avait également publié un mémoire sur cette question (Mémoire sur l'établissement d'une Ecole spéciale de Droit à Grenoble, présenté par le Conseil général de cette commune). Grenoble, est-il dit dans ce mémoire, gagnera beaucoup à une Ecole de Droit et cette Ecole y acquerra une grande considération.... Ici se présentent les rapports vraiment décisifs pour le placement des Ecoles, le succès des études, l'utilité et la gloire de ces établissements. ».

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« Si l'on objectait que Grenoble n'avait pas d'Université, nous répondrions qu'elle en eut une sous son Conseil delphinal, qu'elle fut transférée à Valence où elle eut même le plus grand éclat,..... mais il est vrai de dire, qu'avant la Révolution, elle avait péri, après avoir altéré toutes les dispositions d'une ville si heureusement placée pour le commerce.

A ces époques, l'ancien gouvernement n'avait cessé de reconnaître la nécessité de la rétablir à Grenoble, mais les évêques de Valence en étaient chanceliers nés et cette prérogative fut toujours un obstacle à un changement sollicité par tous les motifs possibles d'intérêt public.

<«< De pareilles considérations n'arrêteront plus aujourd'hui. L'utilité publique sera seule consultée et la ville de Grenoble réunit des avantages que nulle autre ne saurait lui disputer.

« Sa Cour d'appel jouit, à juste titre, d'une grande réputation; c'est, de toutes les Cours de France, celle qui a eu le moins de ses jugements annulés par la Cour de cassation »>.

Le 2 novembre 1805 (10 brumaire an XIV), un décret du quartier impérial nomme directeur de l'Ecole Didier, qui, plus tard, fut condamné à mort et exécuté comme fauteur de la célèbre conspiration orléaniste qui porte son nom. Mais, en 1806, non encore arrivé à cette transformation, il fait un éloge dithyrambique de l'auguste souverain, qui « enchaîne les événements à sa gloire, à sa fortune, commande à la victoire, qui est maître du temps et qui tient dans la même main l'épée de la victoire, la balance de la justice et le gouvernail de l'administration ».

(4) Sénatus-consulte du 28 floréal an XII. Voir: Pilot de Thorey: Notes pour servir à l'histoire de Grenoble.

Notre ville ne pouvait donc être laissée de côté, au moment où, à défaut d'un but plus élevé, on pouvait au moins réclamer pour elle l'enseignement régulier et officiel de ces officiers de santé, qu'on venait de créer. Plusieurs villes qui, comme Grenoble, avaient institué dans leur hôpital de petites écoles, demandèrent également à entrer dans le cadre officiel Marseille et Rennes demandèrent les premières.

Le 20 novembre 1806, un décret daté de Berlin, établit dans l'Hospice civil de Grenoble des cours pratiques pour l'instruction des candidats à la profession d'officier de santé (1).

Voici la teneur de ce décret :

ART. I.

Il sera établi, dans l'Hospice civil de Grenoble, des cours pratiques de médecine, de chirurgie et de pharmacie, pour l'instruction de ceux qui se destinent à la profession d'officier de santé.

ART. 2. Six professeurs au plus seront chargés de faire des leçons sur les différentes parties de l'art de guérir, et le service médical de l'Hospice leur sera, en outre, confié exclusivement. Ils seront présentés par la com. mission administrative de cet établissement, approuvés par le Préfet de l'Isère et nommés par le ministre de l'intérieur.

ART 3.

Il sera payé par chaque élève une inscription annuelle de 100 liv., dont le produit sera affecté à l'acquittement des frais des cours et aux indemnités des professeurs; en cas d'excédent, il en sera fait emploi au profit de l'Hospice.

Le rôle qu'on nous assignait était des plus modeste, étant donné le portrait idéal tracé par Fourcroy de l'officier de santé qu'il rêvait, « ayant quelques lumières supérieures à celle du commun des hommes ». Pour une ville qui avait eu une Université, qui depuis plusieurs siècles en sollicitait le rétablissement, qui, du moins, avait toujours eu un collège de médecine important, qui avait eu une école de chirurgie active, qui avait compté des hommes comme Aréoud, de Villeneuve, Tardin, qui avait encore Villars, Trousset, et tant d'autres, qui avait une Société de Santé active, pour une ville qui avait tout fait pour entretenir le feu des études, c'était peu! surtout au moment où on venait de créer chez elle, pour le droit, une Ecole destinée à faire des juristes complets et non des demi-juristes.

La nouvelle destination de l'ancienne Ecole de chirurgie avait en outre, cet inconvénient grave, de nous vouer pour longtemps, à titre de sous-école, à je ne sais quelle fabrication de sous-médecins et de limiter la carrière qui s'ouvrait devant nous : le mérite des professeurs, l'émulation et le nombre des élèves ne pourront plus de longtemps élever l'Ecole de Grenoble, vouée par son origine à un rôle inférieur. La suppression des officiers de santé a pu seule nous rendre, avec l'espérance, désormais légitime, de nous

(1) Une mesure semblable avait été prise, le 7 août 1806, pour Besançon. Amiens et Poitiers vinrent ensuite, puis, en 1808, Nantes, Reims, Caen et Marseille.

élever, la liberté de la science complète et intégrale. Du reste lorsqu'on a l'honneur de former des médecins, il faut savoir faire abstraction des titres et de tout sentiment de vanité; ceux qui ont cette mission doivent songer uniquement à préparer des hommes instruits et capables de rendre à la société le plus grand et à l'occasion le plus recherché des services, sans se soucier de l'ordre hiérarchique qui résultera pour eux de la plus utile et la plus noble des fonctions.

Ce role important n'était pas à cette époque, considéré comme digne de donner entrée dans l'enseignement et dans l'éducation publics.» La loi du 10 mai 1806 annonçant la création d'une Université Impériale, n'avait pas en effet pensé à ceux qui allaient former ces médecins de campagne. Celle du 17 mars 1808, qui organisa définitivement l'Université, n'y pensa pas davantage et nous fùmes, pendant longtemps encore, relégués dans les services accessoires de l'administration des Hospices. Humbert II nous avait fait plus d'honneur !

Certains esprits se déclarèrent cependant satisfaits. Nous verrons même en 1831, Billerey s'écrier: « C'est un beau et intéressant spectacle pour le philosophe, que celui de Napoléon, décrétant à Berlin, de sa main encore palpitante de la victoire d'Iéna, un enseignement médical à l'Hôpital de Grenoble ». Il est vrai qu'à l'époque où parlait Billerey, ce n'était pas faire acte de courtisan, que parler ainsi. Il le vit bien!

Quoiqu'il en soit, voici l'arrêt pris par le Préfet de l'Isère, conformément à la loi:

Programme des cours pratiques de Médecine, de Chirurgie et de Pharmacie, établis à Grenoble par décret impérial daté de Berlin le 20 novembre 1806.

La loi du 19 ventôse an II, sur l'exercice de la médecine, réduisait l'enseignement médical, dans toute l'étendue de l'Empire, à six grandes écoles spéciales, chargées de la réception des docteurs, et les sources de l'instruction semblaient être taries pour ceux dont la fortune ne leur permet tait pas d'aller passer plusieurs annees dans ces écoles; delà la nécessité de créer des établissements secondaires.

C'est dans cette vue qu'il a été établi, dans plusieurs villes, des cours de médecine, chirurgie et de pharmacie.

La ville de Grenoble, voisine de plusieurs départements qui sont éloignés des écoles spéciales, dont la population est augmentée par une nombreuse garnison, qui possède un hôpital où se présentent tous les cas pratiques de médecine et de chirurgie, et en outre un vaste jardin de botanique, et qui, enfin, réunit les hommes et les choses, a été désignée particulièrement par un decret impérial donné à Berlin le 20 novembre 1806.

Ce décret, qui charge Son Exc. le Ministre de l'intérieur de l'organisation des cours et du choix des professeurs, a été suivi d'un règlement qui ne laisse rien à désirer pour le succès de l'établissement.

Ainsi, on peut annoncer que les cours qui auront lieu à Grenoble, sous la triple surveillance des Administrateurs de l'Hospice, de M. le Préfet du département, et de Son Exc. le Ministre de l'intérieur, rempliront les vues du Gouvernement. On doit s'attendre qu'ils attireront un grand nombre

d'élèves, soit du département de l'Isère, soit des départements voisins, jaloux de participer à ce nouveau bienfait de Sa Majesté impériale.

PLAN DES COURS

ARTICLE PREMIER.

Conformément au réglement de Son Exc. le Ministre de l'intérieur, l'enseignement médico-chirurgical est partagé entre six professeurs et divisé en six cours, savoir:

1er Cours, anatomie et phisiologie.

2e Cours, pathologie chirurgicale.

30 Cours, opérations et accouchemens.

4. Cours, matière médicale et thérapeutique.

5 Cours, clinique interne, ou médecine pratique au lit des malades.

II

Ces cours, professés par MM. Billerey, Bilon fils, Bilon père, Silvy et Fournier, seront distribués chaque année en deux semestres, un d'hiver et l'autre d'été, à l'exception des cliniques qui seront enseignées toute l'année.

III

Les cours d'hiver seront les suivants :

1o L'anatomie, les lundi, mercredi, vendredi et samedi, à deux heures. 2o Phisiologie, les lundi, mercredi et vendredi, à onze heures.

3o Les principes de médecine, les mardi, jeudi et samedi, à onze heures;

il en sera fait ensuite l'application pratique au lit du malade.

40 Les principes de chirurgie, les mardi et jeudi, à trois heures.

5o La clinique externe, tous les jours à huit heures, lorsque le nombre des malades et la nature des maladies le permettront.

Quant au semestre d'été, il sera présenté au nouveau programme avant l'ouverture des cours.

IV.

A la fin de chaque semestre les élèves subiront un examen, et à la fin de chaque année il y aura des exercices publics, à la suite desquels M. le Préfet distribuera des prix d'encouragement aux élèves qui se seront distingués par leurs talens, leur zèle et leur assiduité.

V.

Il y aura, en outre, à la fin de chaque année scholaire, un concours pour la classification des élèves, parmi lesquels on en choisira trois qui seront logės et nourris aux dépens de l'Hospice, six autres destinés à devenir internes, et six expectans qui passeront successivement, suivant leur mérite, aux places d'externes et d'internes. Les élèves internes seront spécialement attachés au service de l'Hospice; les externes et les expectans participeront au même service; le reste formera la classe des étudians.

VI.

Le nombre des étudians est indéterminé. Nul ne pourra être admis aux leçons s'il n'est âgé au moins de seize ans, et s'il ne possède pas les qualités préliminaires nécessaires. (Art. 6 du réglement de Son Exc. le Ministre de l'intérieur).

Les jeunes gens qui désireront suivre les cours, se feront inscrire au secrétariat de l'Administration de l'Hospice, où ils se présenteront avec leur acte de naissance, un certificat de bonne vie et moeurs; ils seront

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