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ma salive lorsque je m'éloigne des malades; 3o de ne jamais les approcher étant parfaitement à jeun; 4o enfin (et c'est un des moyens auxquels j'ai le plus de confiance) de vivre avec la plus parfaite indifférence sur les événements auxquels nous sommes exposés et d'attendre, en remplissant nos devoirs avec le calme et la fermeté de la vraie philosophie, le sort que la Providence nous a réservé ». On voit que Berard-Trousset avait toutes les qualités du médecin.

Sa thérapeutique avait la prétention bien hardie, décevante et aventureuse, surtout à cette époque, de s'attaquer à la nature du mal : « Malheur à celui dont la médecine turbulente, agissante sans motif, chasse au symptôme et poursuit, à outrance, le premier qu'il aperçoit ». L'expression est jolie, mais nous ne faisons encore que chasser aux symptômes toutes les fois que nous n'avons pas le spécifique encore à trouver pour la plus grande partie des maladies. Aujourd'hui même que nous connaissons, pour quelques maladies, le microbe et la toxine spécifiques, nous n'avons pas toujours ou ne pouvons pas employer le microbicide ou l'antitoxine spécifiques et nous sommes bien forcés de chasser au symptôme.

Cette théorie idéale ne l'empêchait pas de mettre des vésicatoires entre les épaules, procédé qui n'avait rien de spécifique et qui, dans l'espèce, n'était pas sans inconvénient. Il est probable que ce fut Trousset qui fit appliquer à son confrère, le docteur Chanoine, ce vésicatoire si intempestif que la garde-malade agrémenta d'oignons, car il paraît tenir à ce moyen : il en parle souvent et raconte ainsi, non sans une pointe de malice hautaine à l'endroit d'un jeune confrère, l'étonnement produit sur ce dernier par ce mode d'intervention: « Un jeune chirurgien, appelé avec moi près d'un malade, ne dissimula point son étonnement de ce que je faisais appliquer des vésicatoires dans un état, qui lui paraissait voisin de la mort; c'était le citoyen Bilon fils, dont les talents égaleront un jour l'intelligence et le zèle ».

Voici les formules qu'il recommandait contre la prostration des forces:

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Faites bouillir dans 10 onces d'eau et réduire à 8. Sur la fin de la décoc

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A prendre par cuillerée de demi-heure en demi-heure.

La Société de Santé apprécia, comme il convenait, ce rapport fort bien fait et prit, après son audition, la résolution suivante, qui se trouve imprimée à la suite du volume de Trousset:

Extrait des registres de la Société de Santé du 1er pluviose an VIII.

La Société de santé, assemblée aux formes ordinaires dans le lieu de ses séances, lecture ayant été faite du mémoire du citoyen Trousset, concernant l'histoire de l'épidémie régnante à Grenoble pendant les mois de vendémiaire, brumaire, frimaire et nivôse derniers, déclare l'avoir entendu avec beaucoup d'intérêt et en arrête l'envoi aux sociétés correspondantes. GAGNON, président. CHANOINE, secrétaire.

La Société des sciences et arts (Académie delphinale) ne voulut pas demeurer indifférente à la propagation d'un mémoire, qui intéressait hautement l'intérêt général et qui émanait d'ailleurs de son Président. C'est là un trait particulier qui peint bien la solidarité pour la pratique de la philanthropie propre à cette époque, où personne n'eut voulu rester confiné dans son église, et où tout le monde cherchait à concourir au bienêtre général. Elle prit la résolution suivante, également mentionnée à la suite du mémoire :

Extrait des registres du Lycée des sciences et des arts de la commune de Grenoble.

Séance extraordinaire du 23 nivôse an vIII.

Un membre a dit que le citoyen Trousset, professeur de chimie, officier de santé à Grenoble et président du Lycée, vient de faire un mémoire historique sur la fièvre épidémique qui s'est manifestée dans nos murs. Il observe que rien n'est plus intéressant que de répandre dans le public un ouvrage déjà connu très avantageusement par la lecture qu'en ont faite des personnes instruites dans l'art de guérir, qui l'ont jugé infiniment utile, surtout dans les circonstances actuelles Qu'ainsi, il paraîtrait convenable que le Lycée voulut s'inscrire pour un certain nombre d'exemplaires.

La motion mise en délibération :

Le Lycée arrête, à l'unanimité, qu'il souscrit pour cet ouvrage jusqu'à la concurrence de deux cents exemplaires, qui seront distribués à tous les membres ordinaires et envoyés aux associés correspondans, ainsi qu'aux Sociétés qui s'occupent de science et d'art.

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A côté du typus, règne en l'an VIII une épidémie de grippe, qui nous

vaut une assez bonne description de Laugier.

<< Depuis environ quatre décades (1), (le dixième jour du mois de fri

(1) Laugier Constitution épidémique à Grenoble, p. 157.

....

maire, il régne épidémiquement dans cette commune (1) et les environs, une fièvre catharrale, assez semblable à celle qui, désignée sous les noms de grippe, follette, coquette, influenza, se répandit dans toute la France en 1760 et 1761, et ensuite dans toute l'Europe en 1782. Cette maladie, qui semble respecter l'enfance, se compose des symptômes suivants: frissons, lassitude générale, mêlée souvent d'engourdissement, découragement, douleur de tête généralement gravative, quelquefois néanmoins aiguë, somnolence ou sommeil agité, enchifrenement, esquinancie tonsillaire, douleurs de dents, d'oreilles et autour du cou chez les uns, engorgement des glandes cervicales chez les autres; enrouement, toux incommode avec une excrétion plus ou moins abondante de mucus guttural, et qui ne présente, dans aucun temps, des signes de coction; langue blanche, bouche pâteuse, inappétence, fièvre souvent très légère, avec redoublement le soir Il n'est pas rare que sa durée ne soit que de quatre à six jours; plus fréquemment elle s'étend à une décade. Les symptomes graves, dont elle s'accompagne quelquefois, ne sont pour l'ordinaire que produit de la droguo-manie (2), fille de l'ignorance et du charlatanisme. Le repos, la chaleur, la tranquillité, la diète végétale, des lavemens, des pédiluves, même sinapisés, selon les circonstances, une large boisson pectorale, anodine et légèrement diaphorétique, telle qu'une infusion de fleurs de bouillon blanc, ou de mauve, et de celles de coquelicot, suffisent le plus souvent pour la dissiper. On a recours aux sangsues appliquées sur le trajet de veines jugulaires, lorsque la violence des douleurs de tête, la gravité de l'esquinancie l'exigent. Les vésicatoires à la nuque diminuent l'excès de l'éréthisme guttural; dans ce cas on administre de plus, comme dans celui de trop grande chaleur, l'eau de poulet ou de grenouilles avec les navets, les gargarismes et les fumigations ensemble, les loocks tempérans, adoucissans, même narcotiques. Trés généralement, après le quatrième jour, on se trouve bien de quelque béchique stimulant, comme l'oximel scillitique, ou bien le camphre, uni à une très petite dose de kermès minéral, de placer un minoratif dans le déclin de la maladie, et de terminer la cure par des fortifiants, le quinquina, le cascarille ».

En 1800, la sollicitude des médecins, comme celle des Sociétés savantes toujours en éveil et désireuses de faire bénéficier le public des bienfaits de la science, trouva un nouveau champ dans l'apparition d'une

(1) De Grenoble.

(2) Cette opinion de Laugier montre que la grippe était alors moins grave que celle que nous observons ici et dans presque toute la France depuis quelques années.

épidémie de fièvre puerpérale, assez peu grave en réalité quant au nombre de cas, mais qui n'avait pas moins ému l'opinion publique. Le premier Préfet de l'Isère, qui vient d'arriver, est un homme actif, ami du bien public, désireux de centraliser le bien dans son département: il s'adresse de suite à la Société de Santé pour lui demander son opinion. Celle-ci charge une commission, composée des citoyens Gagnon, Laugier, Trousset et Bilon, d'étudier la situation et de lui faire un rapport. Ce document (1) aujourd'hui en dehors de la science, n'a plus pour nous d'autre intérêt que de prouver une fois de plus de quelle façon large et humanitaire les médecins comprenaient leur rôle et avec quelle curieuse attention ils étaient consultés par l'opinion. I attribue la fièvre puerpérale « au transport du lait, cette liqueur douce et bienfaisante >> dans l'abdomen: « L'ouverture des cadavres prouve, dit-il, que l'épanchement qui se fait est de nature laiteuse; on a souvent trouvé dans le capacité, une ou deux pintes d'une liqueur semblable à du petit lait qui n'est pas clarifié et sur la surface. extérieure des intestins, une substance ressemblant parfaitement à du lait caillé ».

Les rapporteurs accordent leur confiance au traitement du Dr Doulcet, médecin de l'Hôtel-Dieu de Paris, qui consiste dans l'administration de l'Ipéca, à la dose de 12 à 15 grains et en second lieu du carbonate de potasse, « qui dissout les flocons laiteux, suivant la méthode du citoyen Quinot, recommandée par la Société de médecine de Paris, après un rapport des citoyens Allan, Deyeux, Gilbert et Delafisse ».

Quoiqu'il en soit de sa teneur, ce rapport fut adressé au Préfet, dans la forme suivante :

Extrait du registre de la Société de Santé de Grenoble
du 13 ventôse an VIII.

La Société, assemblée aux formes ordinaires dans le lieu de ses séances, lecture est faite de l'instruction sur la fièvre puerpérale, pour laquelle les citoyens Gagnon, Laugier, Trousset et Bilon avaient été nommés commis saires-rédacteurs. L'assemblée consultée ayant déclaré l'approuver, arrête : que deux copies de l'instruction ci-dessus seront dressées, l'une pour être déposée dans ses archives, l'autre remise entre les mains du Préfet du departement de l'Isère, revêtue des formalités déterminées par ses règlemen's, avec un extrait du procès-verbal de la séance.

GAGNON, président;
CHANOINE, secrétaire.
Pour copie conforme :

CHANOINE, secrétaire.

(1) Instructions sur la fièvre puerperale faites d'après l'invitation du Préfet du département de l'Isère, par la Société de Santé de Grenoble, an IX. Grenoble, chez Allier, imprimeur. Bibliothèque de Grenoble, T, 4364.

De son côté, lorsqu'il fut saisi de ce document, le Préfet prit l'arrêté suivant :

Extrait des registres des arrêtés du Préfet du département de l'Isère du 18 venlose an IX de la République française une et indivisible (1).

Le Préfet du département de l'Isère,

Ayant pris lecture de l'instruction faite par la Société de Santé sur la fièvre puerpérale,

Considérant que les signes et le traitement de cette maladie sont développés dans cette instruction d'une manière si lumineuse que la publication en sera très utile pour calmer les craintes exagérées des femmes enceintes et pour diriger les officiers de santé des campagnes dans leurs opérations;

Considérant que cette Société développe le plus grand zèle à éclairer ses concitoyens sur les maux dont l'humanité est affligée et sur les moyens de les prévenir ou de les guérir;

Arrête :

Que cette instruction sera imprimée, envoyée aux sous-préfets pour être par eux adressée aux maires et officiers de santé des communes de leurs arrondissements respectifs.

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Les séances de la Société étaient souvent consacrées à la science pure; elle écoutait même avec bienveillance de longues amplifications que lui lisait Laugier. Le 5 brumaire an VII, ce médecin, d'ailleurs plein d'activité, lui lit un mémoire sur les connaissances utiles au médecin et sur l'abus de la saignée (2), mémoire dans lequel, il faut le reconnaître, il y a peu d'idées à retenir. Le 2 messidor de la même année, nouveau discours, intitulé Examen critique de la doctrine de Brown (3). C'est une longue et prétentieuse dissertation assez difficile à bien comprendre, où l'on trouve cependant quelques bonnes pages en faveur de l'hum orisme ancien combattu par Cullen et par Brown, et où l'auteur cite avec raison, comme argument en faveur de l'humorisme, des cas « de dysurie alternant avec l'œdème, la migraine, la goutte ». Enfin, le 3 germinal, l'infatigable Laugier prononce un discours intitulé: Essai sur les forces vives du corps humain (4).

Si la Société de santé ne s'était occupée que de questions semblables, elle n'eût pas obtenu la considération dont elle jouissait.

(1) Ce document et la décision de la Société de Santé se trouvent à la fin des Instructions sur la fièvre puerpérale. Loc cit.

(2) Ce mémoire a été imprimé à la suite de la Constitution médicale de Grenoble. Loc cit.

(3) Id.

(4) Id.

1

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