recouvre plus; où le gazon s'en empare, il faut un siècle pour régénérer la forêt. Souvent ce n'est qu'après des alternatives de taillis, qui protègent et ombragent le sol, que les semences de sapin, très fines et très légères, peuvent prendre racines. Il faut aux semis d'arbres résineux une terre meuble, fraiche sans être humide, tempérée, a l'abri du froid et du soleil, car le gel fait souvent périr les jeunes mélèzes. La neige qui recouvre le sol pendant cinq ou six mois de l'année les défend contre le gel, en attendant que les organes de ces arbres soient assez forts pour secréter Ja térébenthine, la résine qui doivent les garantir contre le froid rigoureux de ces climats. Semblables à la classe pauvre et indigente et aux jeunes gens trop en arrière de leurs études, une sorte de désespoir semble éteindre le courage des jeunes arbres, et aucun talent, aucune mesure ne saurait réussir à repeupler les clairières, parmi les forêts des montagnes Si le sol mis à nu se trouve très en pente, les averses, les ravins, le dépouillent du peu de terreau que les débris de feuillage et les vents ont amassé pendant l'intervalle des siècles. Les rochers mis à sec n'attirent plus les nuages, la rosée ni la pluie et vont laisser tarir les ruisseaux et les sources, qui alimentaient, abreuvaicnt les plaines. Ce bouleversement de la nature, la dévastation des forêts, influera bientôt sur les récoltes, sur l'industrie et sur les ressources de l'agriculture; la santé même des hommes en souffrira, ne fut-ce que parce que lorsqu'un être vivant s'éteint, des milliers d'êtres plus petits se livrent la guerre, se disputent ses dépouilles. Comme tous les êtres vivants ont besoin d'air et d'eau pour exister, leur succession donne lieu à des combats toujours nuisibles aux grands animaux. L'homme aurait assez d'ennemis à combattre parmi les agents de la nature; déjà l'abus de son esprit et de sa raison ont émoussé son instinct; il devrait éviter les dégradations des forêts, qui le mettent aux prises avec tant de calamités présentes et futures, avec tant de nouveaux ennemis. << Rendons grâces aux rochers merveilleux qui entourent la GrandeChartreuse et qui servent de rempart à ses bois, les seules forêts qui nous restent dans ces rochers élevés de 1500 mètres au-dessus du sol de Grenoble; la hache destructive aurait rasé ces forêts, comme elle fit main basse sur les beaux peupliers qu'avait fait planter le Connétable sur les rives du Drac. Ils ont disparu ces beaux arbres, ainsi que les taillis de bois d'aulnes et d'hippophaë, saule épineux de J. Jacques, que l'on coupait tous les trois ans. Ils servaient à alimenter les usines de Grenoble, à cuire le pain. Depuis leur destruction, le bois est plus cher, les montagnes se dépouillent, les torrents se multiplient, redoublent de fureur; le climat devient plus froid en hiver, plus brûlant en été, parce qu'il est découvert, privé d'abri et d'humidité. «Serons-nous donc en Europe, au milieu des nations les plus éclairées, à la honte des lois sages qui nous gouvernent, exposés à la crainte de voir, après nous, ce beau pays manquer de bois? Espérons plutôt qu'un · gouvernement sage et puissant recevra et utilisera les accents de la philanthropie pour la protection, le repeuplement et la conservation des forêts, qui sont la plus précieuse de nos propriétés nationales. >> Nature primesautière, très en dehors, il ne dédaignait pas la contradiction, ce qui lui attira de fréquentes querelles avec les Pères de la Charité, ou même avec ses collègues. On raconte, comme exemple de sa ténacité dans la contradiction, cette fois bien inspirée, l'anecdote suivante: Le Père Elisée lui montrait un jour, dans ses salles, un pauvre soldat mourant, déjà mort à moitié, dit le Père Elisée, qui a renoncé à tout traitement et n'attend plus que le dernier soupir du malade, pour enregistrer le décès; mais, cet homme n'est pas perdu! répond Villars: il peut guérir! Faites le transporter dans mes salles. Le malade, déjà moitié classé parmi les morts, revint à la vie ; c'était Bernadotte, le futur roi de Suède (1). Il nous faut laisser Villars pour suivre le cours des événements : les médecins, chirurgiens et apothicaires étaient assez nombreux à Grenoble à cette époque: en 1790, voici les noms qu'on rencontre sur le rôle des citoyens électeurs et éligibles qui doivent concourir à la formation de la nouvelle municipalité : APOTHICAIRES. - Delong, Chabert, Faure, Girard, Plane. CHIRURGIENS. Martinais, Bilon, Jomaron fils, Joubert, Héraud, Didier, Silvy, Dumas, Giroud, -- MÉDECINS. Nicolas, Gagnon (2), Chabert, Blanc, Jourdan, Duchados, Villars, Laugier, Chanoine, Erga, Jat-des-Mailles, Jat-Belle-Isle, Frier. Nous ne parlerons plus de Villars, qui, malgré la belle situation qu'il avait à Grenoble, accepte d'aller diriger, comme doyen, la Faculté de médecine de Strasbourg, où il mourut en 1814, mais nous en retrou (1) A. Rey: Histoire de la Chirurgie à Grenoble au XVIIIe et XIXe siècle. (2) Gagnon fut rayé de la liste pour avoir refusé de prêter serment, il est le grand-père d'Henry Beyle (Stendhal). verons plus tard quelques-uns de ces noms, car un certain nombre d'entre eux vont jouer un rôle dans la vie politique. Déjà, en 1788, au conseil de la ville, les médecins ont pris la place jadis occupée par les pharmaciens; nous y voyons siéger Gagnon et Duchados; les syndics des corporations médicales ont de fréquentes relations avec la municipalité, ce sont Dumas pour les chirurgiens, Chanoine pour les médecins, et Breton pour les apothicaires. La même année, Gagnon est élu comme délégué du Tiers-Etat; Bilon est chirurgien-major de la milice nationale, qui remplace la milice bourgeoise supprimée; l'apothicaire Breton est réélu chaque année officier municipal, enfin les réunions publiques attirent, à droite comme à gauche, un certain nombre de médecins les plus écoutés dans les sociétés populaires sont Frier, médecin, et J.-B.-Gabriel Silvy, maître en chirurgie. Un médecin, Ducoin est, en 1792, arrêté comme suspect, mais on ne trouve chez lui qu'un vieux fusil rouillé; c'est alors qu'un membre de la commune s'écrie: « Ce n'est toujours pas avec cet instrument-là qu'il tuait ses malades! ». Les événements politiques vont d'ailleurs avoir leur répercussion sur l'Ecole de chirurgie. Le décret du 18 août supprime les Universités, les corps savants, les corporations, les maîtrises, les collèges de médecine, et les Pères de la Charité se dispersent; les cours de l'Ecole de chirurgie sont supprimés, à l'exception du cours d'accouchement et l'Hôpital militaire des Pères de la Charité est annexé à l'Hôpital général, à condition que le prix de la journée sera élevé à raison de la dépréciation des assignats. Notre petite Ecole de 1771 a cessé de vivre. Mais les Grenoblois n'avaient pas embrassé avec ardeur les principes de la Révolution, pour voir disparaitre leurs institutions les plus chères. Ils désiraient leur amélioration, non leur démolition, et ce qu'ils voulaient, c'était une Ecole de chirurgie en rapport, par son fonctionnement et comme par son personnel, avec les idées nouvelles. Un des premiers soins de la municipalité fut donc de demander la restauration d'une Ecole de chirurgie. La lettre suivante, signée du citoyen Genissieu, député à la Convention nationale, en fait foi: Liberté Paris, 17 Germinal, l'an 2o de la République française, Genissieu, député à la Convention nationale Ses concitoyens formant le Conseil général de la commune de Grenoble. Eyalité Je reçus, le 11 de ce mois, les deux exemplaires manuscrits de votre (1) Archives municipales, 9, F. Lettre autographe. pétition relative à l'Ecole de chirurgie; j'en fis part à ceux de mes collè gues qui sont nos concitoyens et je remis un des deux exemplaires au citoïen Prunelle, qui se chargeral d'en faire faire une copie destinée au Comité de la guerre. Le lendemain 12, je fis rendre un décret en ces termes: « Le Conseil général de la commune de Grenoble adresse à la Con«vention une pétition tendante à obtenir, dans cette commune, une Ecole « de chirurgie et le cours d'enseignement public nécessaire; cette pétition a est appuyée par la Société populaire, par l'administration de district et « celle de département. Un membre demande le renvoy de cette pétition à << la Commission de santé et successivement au Conseil exécutif. Cette pro << position est adoptée. Votre demande paraissant aussi conforme à l'intérêt public qu'à celui de la ville de Grenoble, nous donnerons à ceux qui doivent statuer les instructions convenables. Je vous salue fraternellement. GENISSIEU. a P. S.. Si vous n'avez pas vù, dans les précédens buletins, l'insertion en entier de la dernière adresse des autorités constituées et de la Société populaire, ce n'est point de la faute de ceux de vos concitoïens qui sont ici; le brave Chanrion me l'ayant remise dans la sale même, je la portai sur le champ au secrétaire qui faisait lecture de la correspondance; elle fut lue aussi sur le champ et entendue avec le plus vif intérêt; l'insertion en fut ordonnée, mais le Comité de correspondance a une si grande abondance de matières que souvent il ne met qu'un mot de ce qui mérite la transcription la plus exacte, cependant, Prunelle et moi avons insisté et je crois qu'aujourd'hui ou demain elle sera en entier dans le buletin. La France verra que les habitants de la cité qui fut le véritable berceau de la liberté ne se démentent point et qu'ils en sont les plus fermes apuis. [CHAPITRE VII (1792-1806) I. Efforts de l'initiative individuelle pour maintenir l'Ecole de chirurgie : bon vouloir de l'Hôpital, de la municipalité et du département. Michal, professeur d'anatomie et de chirurgie. — Offres de service de l'ancien Père Ovide Lallemant. Sa nomination à l'Hôpital. Rétribution aux élèves sages-femmes. -- Maintien du cours d'accouchement. Elèves boursiers du département instruits à l'Hôpital. — Service médical des - Duchadoz. Honoraires des méde campagnes. Victor Dumas. - Emery. cins de l'Hôpital et des élèves internes. - Société d'agriculture et d'his Laugier. Ma- III. L'éréthisme nerveux pendant la Révolution. Frier. la Société des sciences et arts et le typhus. V. La Société de santé et les questions d'hygiène. Eaux minérales. Fossés de la ville.- La gélatine des os et l'alimentation.-Changement du titre de la Société de santé en celui de Société de médecine. VI. La vaccine: Villars fils et Silvy contre Laugier. La Société de médecine. Le préfet Ricard. de l'Ecole sur l'initiative de la Société de santé, par arrété préfectoral. Société de santé désigne les professeurs. Laugier et Gagnon, directeurs. Fournier, Bilon père, Bilon fils, J.-B. Silvy, Villars père, Billerey, Trousset, Vil lars fils, Descouteau, Comte, Chanoine. Cours départemental d'accouchement. VIII. Abondance des médicastres. La loi de ventòse an XI sur l'exercice de la médecine. Création des officiers de santé. Le jury médical. Pharmaciens. Sages-femmes. Herboristes. Mouvement intellectuel à Grenoble le Institution officielle des cours pratiques de médecine. Lycée, l'Ecole de droit. de chirurgie et de pharmacie. I. La Convention nationale avait bien d'autres soucis que le rétablissement de l'Ecole de chirurgie de Grenoble. Elle avait à faire face à l'ennemi sur toutes nos frontières, et, ce qu'elle rêvait, ce n'était pas précisément une décentralisation girondine': elle voulait que la France n'eut qu'un bras pour mieux frapper l'ennemi et ne prévoyait pas que ce bras serait plus tard facilement enchaîné et paralysé. C'était donc aux Grenoblois qu'il appartenait de faire eux-mêmes leurs affaires, de soutenir, tant bien que mal, chez eux et par eux-mêmes, l'enseignement de la médecine.' C'est ce que comprirent la municipalité, l'Hôpital, les médecins, les sociétés savantes et le département. Sous ce rapport, les événements qui vont nous occuper dans ce chapitre sont une éclatante manifestation de la puissance de l'initiative individuelle. Une délibération de l'Hospice civil (1), qui prend bénévolement la place des Pères de la Charité à la tête de l'Ecole de chirurgie, désigne Michal, (1) Archives de l'Hôpital, E E, 2. |