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médecine, le détermine à se faire chirurgien. Son voyage à Grenoble, où il arrive avec un herbier de 300 plantes des Alpes, son admission à 1 Ecole de chirurgie, le décident tout à fait. Il commence par faire à ses camarades un cours de botanique, dans la salle de la pharmacie. Sorti de l'Ecole, il parcourre les Alpes avec le naturaliste Guettard; arrive à Paris, où il compulse les herbiers de Tournefort, de Guettard, d'Isnard; revenu à Grenoble, il publie son grand ouvrage sur la Flore du Dauphiné, et se consacre à la médecine en même temps qu'à l'enseignement, jusqu'au jour où, sur les vives instances du gouvernement, il quittera Grenoble pauvre comme il était venu, pour aller occuper la chaire de botanique à Strasbourg, et remplir dans cette Faculté les fonctions de doyen. Dans toutes ces situations, il «< conserve toujours, dit M. de Ladoucette, ses habitudes pastorales: il allait chez les grands avec ses cheveux courts, son habit gris de bouracan, ses souliers arrondis et ferrés, tel qu'il revenait de ses herborisations ». Mais malgré ce négligé, « telle était sa réputation, qu'il ne passait pas à Grenoble un homme de haut mérite, national ou étranger, sans rechercher M. Villars. M. de Malesherbes monta à son quatrième étage pour lui proposer une course botanique, et ce fut un spectacle attendrissant que de voir, côte à côte sur les Alpes, le paysan du Noyer, qui prouvait que le talent rapproche toutes les distances, et l'ancien ministre qui venait se faire berger comme lui.

Durant cette lutte incessante, il avait acquis, sur toutes choses, des connaissances étendues et ses réflexions l'avaient amené à la plus large compréhension du rôle élevé de la médecine: il la regardait comme l'ensemble des connaissances variées, qui sont relatives à l'homme. « La médecine embrasse (1), dit-il, tout ce qui constitue l'homme physique et moral; l'ensemble des trois règnes de la nature, la physique entière de ce vaste univers, tous les êtres qui ont ou qui peuvent avoir avec l'homme un certain rapport », voilà pour le savant; quant à la pratique même de la médecine, il pense, devançant encore son époque sous ce rapport, <«< que la chirurgie et la médecine étant des branches égales de l'art de guérir, l'espèce de schisme et de rivalité qui s'est introduite entre elles n'est qu'un intérêt personnel déguisé et n'a nulle valeur aux yeux du philosophe. En vain, l'ambition les éloigne; la nature les rappelle auprès du même malade, et il est peu de maladies où ces deux arts ne se confondent et ne soient nécessaires. La seule distinction consiste dans l'habitude

(1) Rapport à l'Assemblée nationale sur les études de la médecine et de la chirurgie, l'administration des hôpitaux et les moyens d'empêcher la mendicité, 1790.

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et le goût, car leurs théories, leurs principes, leur sujet sont les mêmes ». Il est tellement convaincu de l'importance de la médecine pour la chirurgien, qu'il eût voulu, « que les étudiants ne fussent admis à faire de la chirurgie qu'après avoir reçu des principes de médecine dans les Universités en passant de la médecine à la chirurgie, on peut faire, dit-il, d'excellente chirurgie; la raison éclairée dirige la main. En passant, au contraire, de la chirurgie à la médecine, on néglige les principes ; l'habitude d'agir dégénère en une espèce de routine peu éclairée ». Ces critiques étaient fondées alors, et son désir très légitime; aujourd'hui, la distinction scientifique entre la médecine et la chirurgie n'existe plus, et les chirurgiens modernes sont forcément tout aussi médecins que les médecins proprement dits. Dans tous les cas, il veut « que l'étude du latin, de la physique et de l'histoire naturelle précèdent l'étude de la médecine et de la chirurgie », notion qui, dans ces derniers temps, tendait à disparaître, mais qui prévaudra, il le faut désirer, dans les règlements qui régissent l'étude de la médecine.

Il veut d'ailleurs, avec raison, que les sciences naturelles deviennent la base de toute éducation. « Chaque département et plusieurs villes considérables pourraient avoir une école relative à la santé publique, à l'agriculture et à l'histoire naturelle. C'est sur ces trois bases que reposent les véritables connaissances les plus utiles à l'homme ». Cette idée lui était chère: il y reviendra en 1805, à Strasbourg, dans la leçon d'ouverture de son cours de botanique : « L'anatomie, la physiologie, les sciences naturelles, la physique et la chimie sont les véritables bases de la science médicale; d'ailleurs, tout se lie dans l'univers, depuis l'astre du jour, qui nous éclaire et nous vivifie, jusqu'à l'atome, qui se balance sur ses rayons lumineux, depuis l'éléphant jusqu'aux infusoires, depuis le chêne et le baobab, jusqu'aux conferves et aux moisissures microscopiques ».

A une époque où la centralisation allait devenir de plus en plus étroite, et prendre un accroissement, dont nous souffrons encore aujourd'hui après cent ans, il est curieux de voir avec quelle précision Villars parle des avantages de la décentralisation en médecine. Les grandes et les petites villes sont moins propres pour les études médicales que celles qui renferment une population de 30 à 50 mille âmes les premières parce qu'elles présentent trop d'objets de distraction et de séduction; les secondes, parce qu'elles ne présentent pas assez de ressources pour les études en médecine ». Paroles qui sont plus vraies que jamais et dont oivent apprécier la portée les élèves qui, dans les grandes Facultés, se

pressent au lit d'un malade, sans le voir, et n'arrivent pas à pouvoir disposer d'un microscope ou d'un scalpel aux travaux pratiques ou à l'amphithéâtre de dissection.

Avec ces idées de décentralisation, Villars devait consacrer toute son ardeur au succès de l'Ecole de chirurgie; aussi, dans un autre rapport, fait-il valoir, auprès des membres du département (1), l'importance d'une Ecole qui attire, chaque année, une trentaine d'élèves venus du Dauphiné, de la Savoie, du Bugey, de la Bourgogne et du Lyonnais, ajoutant, en homme qui, tout philosophe qu'il soit, ne dédaigne pas les conséquences pratiques : « Or 25 élèves, terme moyen, versent, chaque année, au moins mille livres de numéraire dans la ville ».

Tout en s'occupant de questions générales, tout en herborisant avec ses amis, Pison du Galand et le jeune médecin Aribert, il ne dédaignait pas d'entrer dans les moindres détails de l'enseignement à l'Ecole de chirurgie, de s'occuper de l'horaire des cours, par exemple; c'est ainsi qu'il regrette (2) << de ne pouvoir concilier les ordonnances militaires, ni les règlements entre eux, pour ce qui regarde l'heure fixée pour les visites des malades et l'injonction des élèves à les suivre. Les ordonnances de 1747 et de 1781, ainsi que celles de 1788, prescrivent au médecin et au chirurgien de faire leur visite à 7 heures du matin et à 4 heures du soir; elles se font donc à la même heure et les élèves ne peuvent en suivre deux à la fois, comme le règlement le prescrit. La visite du chirurgien devrait se faire avant celle du médecin, et à une heure réglée d'après le nombre des malades, de manière qu'elles fussent finies avant la distribution des remèdes. Cet arrangement mettrait les élèves en état de les suivre l'une et l'autre ».

En outre de ses fonctions à l'Ecole, Villars était en même temps professeur à l'Ecole centrale de Grenoble pendant tout le temps qu'elle dura (1795-1803); il n'oubliait pas non plus de rehausser, le plus possible, le prestige et l'importance du Collège des médecins. Il rêvait « de voir les médecins et les chirurgiens d'une même ville ne plus faire qu'un seul collège, prendre les mêmes grades, occuper le même rang dans la société. Leur association aurait pour but la surveillance de tous les membres, et aurait à sa charge la salubrité de la ville et de la campagne ». Il voulait en outre que les examens préalables à l'affiliation au collège fussent très sérieux, afin d'élever le niveau de la profession.

Ce qui domine dans toutes les réformes rêvées par Villars, et elles sont

(1) Mémoire présenté à MM. les membres du département de l'Isère par Villars, médecin de l'Hôpital militaire, professeur de botanique. 1789.

(2) Rapport comme médecin de l'Hôpital militaire, 1789.

nombreuses, c'est une grande philanthropie : « La classe pauvre, dit-il, doit être considérée comme une maladie du corps politique. Si elle était abandonnée, elle deviendrait incurable et le ferait périr (1) ». Il voulait qu'on multipliât les hospices dans les campagnes, sans préjudice de ceux des villes et des hôpitaux militaires; il voulait que la municipalité publiât la liste des maladies dominantes dans chaque pays et dans chaque saison; il posait, en résumé, les problèmes qui sont encore aujourd'hui à l'ordre du jour, ou qui n'ont été résolus que d'hier.

Sa bonté et sa longanimité devenaient à l'occasion du courage, à une époque où l'ardeur des luttes politiques étouffait toute autre considération. Je n'en veux preuve que la lettre suivante adressée par lui à la municipalité de Grenoble et dans laquelle cette mansuétude éclate plus que ne le voulaient peut-être les circonstances:

A Messieurs les officiers municipaux à Grenoble (2),

Messieurs,

Les circonstances actuelles, les devoirs de médecin et de citoyen m'ont inspiré le projet d'envoyer, à l'Assemblée nationale et à celle du département, deux mémoires concernant l'Ecole de Chirurgie établie à Grenoble en 1772, le jardin botanique et les pépinières qui en ont été les suites.

J'ai cru, Messieurs, devoir vous addresser quelques exemplaires de ces mémoires, veuillez bien les accueillir avec bonté, c'est un hommage libre de la confiance que vous méritez et des voeux sincères que je ferai toujours pour la prospérité de votre administration et celle de vos personnes.

Me serait-il permis, Messieurs, de saisir cette occasion pour vous exprimer un vœu cher à mon coeur et que font tous les médecins amis de la paix et du bonheur de leurs semblables?

Grenoble a donné le premier exemple des élans du patriotisme. Les vexations de l'ancien régime forcèrent l'aménité naturelle de ses habitants de montrer leur indignation. Ce moyen extrême, mais nécessaire, a réussi: le patriotisme le plus pur, s'y est soutenu, mais il a été peut être, osons le dire, quelquefois au-delà des justes limites nécessaires au fondement de notre Constitution. Qu'en est-il résulté: des terreurs paniques, des phantômes de contre révolution qui, s'ils n'ont pas encouragé et grossi le nombre de nos ennemis, les ont réjouis aux dépens de notre Constitution même.

La force, la raison et la justice sont pour la Révolution Cette vérité est incontestable; mais il est pénible, Messieurs, pour des âmes sensibles, de voir leurs frères émigrans fuïr au loin par la peur, la pusillanimité, affaiblir ainsi le corps politique et finir par se déclarer ses ennemis.

Comme chefs de la commune, je prends la liberté de vous demander, Messieurs, si une invitation à la paix et au retour des émigrans vers leur patrie, moyenant qu'ils y trouveront sûreté, protection et tranquilité, ne serait pas une action digne de votre loyauté et même de la bonne politique ?

Il faut savoir pardonner, Messieurs, et il en coûte peu pour une aussi bonne cause. L'Assemblée nationale nous a souvent donné des exemples de son indulgence et de sa générosité. Il me semble même qu'il ne devrait y

(1) Rapport à l'Assemblée nationale, 1790.

(2) Archives municipales, 9, F (liasse), lettre autographe.

avoir d'autres coupables punis qu'auprès de nos dignes représentants, et que ceux qui, au mépris de leurs décrets, ont volontairement et sciemment donné lieu à des complots antirévolutionnaires.

Je vous prie, Messieurs, d'excuser ces détails. Ils sont d'une âme sensible aux malheurs de tant de citoyens égarés, par leur intérêt propre, par la terreur ou par le défaut de bon conseil.

J'ose espérer que vous les rapellerez par la douceur de votre administration et par l'impossibilité où ils se verront bientôt de ne pouvoir être mieux ailleurs que parmi leurs anciens voisins. Votre indulgence, cette tolérance à leur égard, ne sauraient leur promettre l'impunité à l'avenir, ils seront même punis de leurs fautes passées, par votre générosité à les oublier. Oui, Messieurs, dans le désespoir, il est presque aussi naturel à l'homme d'invoquer la punition de ses crimes que de s'y soustraire, sa conscience sans cesse les lui reproche; il suffit que son exil volontaire ou forcé les luy ait rapellés.

Je suis avec respect,

Messieurs,

Votre très humble et très
obéissant serviteur,

Grenoble, 2 novembre 1790.

VILLAR, mdcin

Suit ce post-scriptum, qui n'a rien à voir avec l'objet principal de la lettre et où le botaniste perce derrière le philanthrope :

P. S. Le 8 mars dernier, je fis délivrer, au jardinier de la ville, sur un billet de MM. Genevois et Michal, 45 pêchers ou abricotiers provenant des pépinières de la Tronche, montant 22 ff. 10 sous. Comme le temps pressait pour planter, je ne pris pas de mandat de la commission intermédiaire; aussi, dans le compte de recette et dépense que je luy ai présenté au mois de juillet dernier, elle a laissé en soufrance et pour mon compte ces 22 ff. 10 sous. Je vous prie, Messieurs, de les faire payer ou de m'écrire un mot ostensible, par lequel vous me déclarerez vous charger de cette fourniture envers le département, à qui je remettrai votre déclaration en luy présentant mon état de recette et dépense au mois de janvier 1791.

Avec le même sentiment d'altruisme, il s'occupait des questions sociales les plus variées, par exemple des dangers du déboisement des forêts (1). Le passage suivant, empreint d'un sentiment tout moderne des lois naturelles, fait songer à Darwin: «Par un ordre admirable de la nature, ditil, qui devrait inspirer aux hommes la même réserve, les mêmes égards, la même émulation, lorsqu'une forêt dans les Alpes est bien fournie, les arbres se protègent et se garantissent mutuellement contre les orages, les neiges, le givre, le froid et l'ardeur du soleil. C'est ainsi que les plantes de blé ou de chanvre s'élèvent à l'envie de se surpasser et atteignent une hauteur égale, d'où résulte la droiture des pieds, leur égalité, leur soutien réciproque et l'exclusion du gazon et autres plantes nuisibles ou parasites. Une émulation semblable garantit les forêts des Alpes; mais le sol, ordinairement très en pente, une fois découvert et mis à nu, ne se (1) Bulletin médical du Dauphiné, 1866. Trois autographes de Villars, de la collection de M. Eugène Chaper.

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