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Tout cela n'empêche pas ces deux médecins d'être nommés directeurs en 1769.

IX

Le collège des médecins, l'Hôpital, la petite école fermée des Pères de la Charité constituaient, en somme, l'unique apprentissage de la médecine à Grenoble. C'était peu! Aussi nos concitoyens pensaient-ils toujours, avec d'autant plus de raison, au rétablissement de l'Université. Cette idée fermenta pendant tout le XVIIIe siècle, car tout le monde désirait voir alimenter les besoins intellectuels de Grenoble.

En 1720 (1), sous l'action de l'opinion publique, mais en particulier sur la prière de Jean-Pierre Moret de Bourchenu, marquis de Valbonnais, premier Président de la Chambre des Comptes de Grenoble, nous voyons des lettres patentes du roi établir dans notre ville une chaire, dont je n'aurais pas à parler ici, s'il n'y avait là une manifestation de ces besoins intellectuels de la population, d'Histoire sacrée et profane. Le professeur sera nommé pour trois ans et une rente annuelle de 500 livres est affectée à cette fondation. Il devra faire deux leçons par semaine, le mardi et le samedi, de 4 à 6 heures (2).

Nous voyons une autre manifestation du même genre en 1728 : animés par le désir de soutenir une thèse en public, comme cela se fait dans les Universités, Benoît Bozonnat, fils du pharmacien, et Ennemond Santerre proposent de dédier à la ville une thèse générale de philosophie, qu'ils soutiendront dans l'église des Pères jésuites (3). Les consuls assisteront en robe à cette soutenance. La ville offre aux deux candidats les Essais de morale de Nicole et l'Histoire de France de Daniel (4).

En 1732, sur la sollicitation de personnages influents du Parlement, on fait faire une enquête sur la situation des deux universités d'Orange et de Valence. Il en résulte cette conclusion qu'on supprimera l'Université d'Orange et qu'on tranférera l'Université de Valence à Grenoble. On n'en fit rien. Mêmes et nouvelles tentatives, tout aussi infructueuses, en 1738, 1742, 1744 (5'.

(1) Archives municipales, B B, 120.

(2) Archives départementales, B, 2472.
(3) Archives municipales, B B, 121.
(4) Archives municipales, C C, 1093.

(5) Pendant tout ce temps, les critiques contre Valence ne manquaient pas à Grenoble. On accusait les élèves d'y être dissipés et on citait même des vers latins du chancelier de l'Hôpital où il dit : « Et toi, ô Valence illustre, je ne te passerai point sous silence dans mes vers. Je n'oublierai pas tes eaux limpides, tes prés charmants;.......... mais les esprits faciles des jeunes gens sont trop sou

En 1752, le fils du médecin Ravix Dumas passe à son tour sa thèse de philosophie dans la chapelle des jésuites, sous la présidence des consuls. C'était bien encore un effet de la tendance universitaire de Grenoble, mais, dans l'espèce, les jésuites n'étaient pas fâchés de détourner le mouvement de leur côté,

En 1755, on supprime à Valence une des deux chaires de médecine: nouvelle occasion pour revenir à l'assaut de l'Université; les médecins la désiraient plus que tous les autres. Le Parlement, en 1764, tenta donc un nouvel effort (1). Un rapport favorable est adressé à Paris; une commission, réunie sous la présidence de l'archevêque de Reims, propose même le transfert, à Grenoble, des deux universités d'Orange et de Valence; mais l'affaire en demeure-là !

Seule la modeste création d'une école ouverte chez les Pères de la Charité allait empêcher, pour la médecine au moins, le mouvement scientifique de s'éteindre à Grenoble.

CHAPITRE VI
(1771-1792)

I. L'Ecole publique de chirurgie des Pères de la Charité. — Police et règlement de l'Ecole. Mme Ducoudray. sage-femme.

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Cours d'accouchement du Dr Héraud.Villars. Liotard. Le Père Ovide (Claude Lallemant).

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Le Père Dominique (Durand).
Nicolas, conseiller et médecin du roi
Ordonnances relatives aux épidémies.
Les eaux de la Motte,

Ecoles vétérinaires. La grippe. La fièvre typhoïde.

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d'Auriol et du Monestier, et le Dr Nicolas. Bilon. Blanc. Duchadoz.

Souscription pour l'Hôpital.
Grenoble.

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Nouvelles tentatives en faveur de l'Université de

III. L'esprit philanthropique de la fin du xvIIIe siècle : Villars, botaniste; médecin ; philanthrope; philosophe; décentralisateur; novateur en questions sociales. Suppression de l'Ecole de chirurgie des Pères de la Charité. vention nationale pour la création d'une autre Ecole de chirurgie.

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En 1771, la misère était grande : le pacte de famine faisait sentir son poids jusque dans les campagnes, où les malades étaient nombreux et

vent épris dans ta ville et embrasent éperduement les tendres jeunes filles, trompant honteusement l'espoir de leurs parents ». Hospitalii carmina epist., lib. 5. Ad Johannem Fabrum. Et Pilot: Recherches sur les anciennes Universités du Dauphiné, 1855).

(1) Prudhomme: Histoire de Grenoble.

mouraient faute de soins nécessaires : touché de cette situation et animé déjà de cet amour du bien public qui fut plus fréquent qu'on le pense généralement, chez un certain nombre d'hommes appartenant aux classes élevées, mais qui vint trop tard pour prévenir la Révolution, qui s'approchait, l'intendant du Dauphiné, M. de Marcheval, obtint des Pères de la Charité, que le petit enseignement, qu'ils donnaient déjà à leurs novices, profitât à la Province: il les engagea à ouvrir une Ecole publique de chirurgie destinée à former des praticiens pour la campagne.

Les Pères acceptèrent: un religieux fut chargé d'enseigner l'anatomie ainsi que la chirurgie théorique et pratique, la philosophie et la thérapeutique chirurgicale; un autre la pharmacie pratique. La médecine et la botanique furent enseignées par un médecin laïque de l'Hôpital. Les études devaient d'abord durer trois ans ; on les fixa plus tard à quatre ans. Les campagnes de la province, à l'exclusion des bourgs et des villes, devaient envoyer à cette Ecole 8 élèves qui, recrutés par un concours préalable, s'instruiraient gratuitement, mais pour lesquels le gouvernement paierait annuellement 500 livres de pension. Si plus tard le boursier s'installait dans une ville de plus de 3.000 habitants, il devait rembourser les frais de son instruction à raison de 500 livres par an. Pour plus de précautions, le père de l'élève devait même signer l'engagement suivant (1): « Je m'engage envers le Roi et Monseigneur l'intendant, l'intention des administrateurs, en fondant une Ecole de chirurgie, étant de n'y admettre que les élèves nés dans la province et sous la condition expresse de s'établir dans la campagne..... »

Parmi les premiers boursiers de l'Ecole de chirurgie figure un garçon de vingt-sept ans, marié, admis par exception malgré son âge, et destiné à dépasser le but unique qu'il se proposait d'abord modestement, qui était d'être utile à ses voisins, dans son village; c'est Dominique Villars (2). Son inscription sur le tableau des élèves est ainsi conçue (3): « Dominique Villars, natif du Noyer en Champsaur, fils d'un laboureur, excellent sujet, qui annonce les plus grandes dispositions, ayant déjà des connaissances étendues dans la botanique. Entré le 1er janv. 1772, sorti le 1er août 1774 ».

Il raconte lui-même par quelles vicissitudes il était arrivé à vingt-sept ans élève à l'Ecole : « Pour me dégoûter de la botanique, on me maria; pour nepas être consul je me suis fait chirurgien, et les menaces d'un

(1) Archives départementales. cahiers de l'intendance.

(2) On écrit parfois Villard, parfois Villars ou Villar. Lui-même écrivait souvent Villar. (Armand Rey: Notice sur Villar).

(3) Pilot: Histoire municipale de Grenoble.

apothicaire vont faire de moi un médecin (1) ». En réalité, une visite qu'il fit à Grenoble à ses amis Clappier et Liolard fut l'occasion de sa présentation à M. de Marcheval puis au Père Dominique, qui le présenta à son tour à l'évêque Caulet. Tous ces hauts patrons, émerveillés de ses aptitudes, le firent entrer à l'Ecole de chirurgie.

Outre les boursiers, l'Ecole recevait un assez grand nombre d'élèves libres, environ une vingtaine par an, aux frais de leurs familles (Villars). Les accouchements n'étaient pas d'abord enseignés à l'Ecole de chirurgie; mais en 1772, la ville, s'associant au mouvement humanitaire qui avait inspiré M. de Marcheval, fit venir de Paris, pour quelque temps, une dame Ducoudray, « maîtresse sage-femme de la ville de Paris, brevetée et pensionnée du roy, pour démontrer les accouchements dans tout le royaume ». On lui acheta « le modéle d'une machine par elle inventée pour la démonstration des accouchements, lequel modèle elle a remis et déposé en l'Hôtel de Ville, pour y avoir recours au besoin, pour en faire de semblables, et ce en exécution des ordres de M. l'intendant ». On lui paya en outre pour son logement, pendant trois mois et huit jours (18 avril au 26 juillet 1772), la somme de 421 livres (2).

Mme Ducoudray fit à Grenoble un cours public (3), mais, en 1774, un cours régulier et gratuit d'accouchement fut fait, chez lui-méme, par le Dr Héraud, afin de former des sages-femmes pour les campagnes. Héraud, qui désire surtout être utile aux habitants des campagnes, fait annoncer son cours par les curés, à leur prône, et demande que les élèves sagesfemmes reçoivent, pendant leur instruction, un salaire suffisant pour leur nourriture.

En 1778, Héraud fut nommé, sur la recommandation du premier chirurgien du roi, M. de la Martinière, lieutenant du chirurgien du roi à Grenoble, et son cours rattaché à l'enseignement de l'Ecole de chirurgie, afin de servir aux élèves en chirurgie des Pères de la Charité, fut rétribué par l'Etat. Outre le professeur, cet enseignement comportait une sagefemme qui, sous le nom de prévôte, faisait répéter les leçons. La demoiselle Périer, prévôte, recevait 2 livres par accouchement (4). Le cours était suivi par 20 à 30 élèves.

Héraud a laissé une sorte de manuel d'accouchements, rédigé sous

(1) A. Rey. Un apothicaire l'avait en effet poursuivi pour exercice illégal də la médecine,

(2) Archives municipales, C C, 1055.

(3) Albin Gras: Institutions médicales de la ville de Grenoble. (3) Archives de l'Hôpital, E, 175.

forme de catéchisme, par demandes et réponses (5), dans lequel je ne trouve rien qui soit digne d'être relevé. Le titre de ce livre fait d'ailleurs assez préjuger que ce n'est qu'un manuel. Dans sa préface, l'auteur explique que:<< depuis longtemps consacré à l'instruction des sages-femmes de ce département, il a rédigé ces leçons d'après les répétitions qui leur ont été faites chaque cours. C'est autant aux yeux qu'à l'esprit qu'on y parle ; nous nous y servons de mannequins qui représentent de vraies squelettes de femmes et d'enfans, où l'on a joint des ressorts. Ils représentent, au naturel, le bassin, la matrice, le vagin et toutes les parties qui jouent un rôle dans l'accouchement ». A la fin de ce catéchisme se trouve l'explication des machines servant aux démonstrations et manœuvres rapportées dans le catéchisme des accouchemens, à l'usage des élèves sagesfemmes, présentées à l'Académie royale de chirurgie par le cit. Héraud ». On trouve la mention de vingt de ces mannequins ou planches.

En 1790, le cours d'accouchement était suivi par 30 femmes et 51 jeunes gens.

L'enseignement de l'Ecole de chirurgie était alors complet. L'institution avait, en outre, cet avantage d'intéresser tout le corps médical à ses actes: ainsi les chirurgiens, qui avaient préparé les élèves au concours préalable à l'admission, recevaient 100 livres de gratification. Certains cours de l'Ecole pouvaient même être faits par les médecins du Collège de Grenoble, qui recevait ainsi une consécration officielle d'aptitude à l'enseignement; enfin tous les agrégés de ce collège étaient invités à assister aux examens. Voici, au surplus, le règlement de l'Ecole de chirurgie, tel qu'il fut publié après quelques modifications subies par le règlement initial, par l'intendant baron de la Bove :

Ordonnance de M. l'Intendant du Dauphiné en forme de Règlement.
(16 janv. 1785.)

ÉCOLE DE CHIRURGIE

ARTICLE PREMIER.

Il ne sera admis aux places d'élèves en Chirurgie fondées dans l'école établie chez les Religieux de la Charité à Grenoble, que des jeunes gens de l'âge de seize à dix-neuf ans, domiciliés à la campagne, sains, bien conformés, d'une conduite irréprochable, et qui auront fréquenté pendant un certain temps ladite école, ou commencé à acquérir quelques connoissances chez des Maîtres en Chirurgie, soit des villes, soit des campagnes.

(5) Catéchisme sur l'art des accouchements, ou précis des leçons publiques faites aux élèves sages-femmes, sous les ordres du citoyen Préfet du département de l'Isère, par le citoyen HERAUD, D. M., professeur de l'art des accouchements. (Sans date) à Grenoble, chez J. Allier, imprimeur. Bibliothèque de Grenoble, 0.

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