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défectueuses où il observait, pratiquait des autopsies dans le but de compléter sa description, qui annonce un clinicien d'ailleurs très bon obser

vateur.

«Ayant fait ouvrir la tête, j'ai trouvé les vaisseaux du cerveau gorgés de beaucoup de sang et d'une matière ichoreuse; ensuite la poitrine et les poumons étaient engorgés d'une matière puriforme... Les intestins grèles étaient un peu enflammés, les reins plus gros qu'à l'état normal, les glandes du mésentère engorgées. La thérapeutique était moins bonne que l'observation clinique; elle est néanmoins intéressante à titre documentaire : « Voici, dit-il, les formules des potions que je prescrivais : Potion antiphlogistique.

R

Eau d'oseille...
Eau de sureau

Sirop d'épine-vinette.

Esprit de sel dulcifié...

de chaque, 3 onces.

1 once.
15 gouttes.

Pour prendre de quatre en quatre heures par cuiller.

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On voit que la médecine s'élevait progressivement à Grenoble et que nous sommes bien loin des anciens physiciens.

Le rôle des empiriques et des charlatans n'était cependant pas fini

VII

On donnait aux empiriques de pays, rebouteurs, renoueurs, détenteurs d'un secret de famille..., le nom de Mèges (1). L'espèce n'en est pas encore perdue aujourd'hui, mais tous ne sont pas aussi habiles que l'ont

(1) Cette appellation dérivait d'un certain empirique nommé Mège, qui s'occupait particulièrement de la chirurgie des os et dont Celse fait mention (Fodéré).

été parfois quelques-uns d'entre eux (1). Quelques-uns avaient une réelle habileté, et dans plusieurs villes les règlements les protègeaient (2). Certaines opérations! eur étaient complètement réservées (3), mais il n'en n'était pas de même d'une foule de charlatans, que la crédulité des consuls encourageait souvent à Grenoble, au commencement du XVIIe siècle, au mépris des statuts du collège de médecine, les consuls accordent, en effet, une permission à un nommé François de Folsa, opérateur, pour faire dresser un théâtre et vendre des médicaments (4).

En 1621, un charlatan, Désiré Descombes, vend un antidote contre toutes sortes de venins et poisons, morsures de vipères, aspics, chiens enragės; une ordonnance du baillage prévient le public qu'il fera l'expérience de son antitode en présence du Procureur du roi.

Les charlatans abondaient, à cette époque, en province comme à Paris.

En 1653, une nommée Marguerite Sesel « de vers le Bœuf » reçoit de

(1) A Sillans, dans l'Isère, une famille du nom de Jollans a exercé, pendant près de deux siècles, le métier de rebouteur. En 1817, un de ces Jollans étudiait la médecine à Strasbourg, où Fodéré l'a connu.

Entre Plombières et Luxeuil, une famille Nardin a fait, pendant 200 ans, la trépanation de père en fils. Les Bottentuit étaient également des rebouteurs justement renommés dans ce pays. On peut citer également les Fleurot dans les Vosges. Fodéré prétend qu'il était de tradition, dans ces familles, de donner, aux enfants mâles, pour amusement, en guise de jeu de patience, des os humains, qu'ils passaient leur temps à monter et à démonter.

(2) A Orléans, les herniaires, étaient comme les rebouteurs, à peu près autorisés. Ceux qui exerceront la partie de la chirurgie appelée herniaire dit une ordonnance, à cause des hernies ou descentes pour les quelles ils fabriquent des bandages, se feront recevoir par nous, lieutenants greffiers, prévot, doyen et receveurs, après avoir été interrogés sur les maladies qui demandent le secours des bandages. S'ils sont jugés capables, ils payeront la somme de 45 livres ». Cela concernait spécialement les herniaires. Quant aux raccommodeurs d'os, dans la même ville, le règlement des maitres chirurgiens dit : « Les bailleurs ou renoueurs d'os présenteront une requête signée d'eux et à laquelle ils joindront leur extrait baptistaire, leur certificat de vie et mœurs, de religion catholique, apostolique et romaine, et services en la pratique de chirurgie, que nous nommons fractures et luxations. Après les avoir interrogés sur les dites maladies, s'ils sont jugés capables, ils payeront 150 livres ». (Renard: Documents pour servir à l'Histoire de la chirurgie. Gaz des hôpitaux, 1881). A Bordeaux, des opérateurs spéciaux pour les calculs, la cataracte et la cure des hernies pouvaient être admis, s'ils étaient appelés par le malade, après avoir été approuvés par deux médecins agrégés et le lieutenant des chirurgiens, en présence desquels ils devront opérer. (Pery: Histoire de la Faculté de Bordeaux).

(3) La famille Norsini de Norsia, dans l'Ombrie, avait acquis une grande réputation pour la cure radicale des hernies et pour la lithotomie. En 1672, le dernier des Norsini passait pour très versé dans la connaissance des maladies des organes génito-urinaires.

En 1663, un nommé Raoux avait taillé plus de 82 personnes et gagné à Bordeaux, en trois mois et demi, plus de 12.000 livres. (Pery: Histoire de la Faculté de Bordeaux).

(4) Albin Gras: Loc. cit.

la ville 2 écus blancs pour « avoir traité une pauvre fille de la grosse

verolle (1) ».

En 1654, les consuls, en dépit des statuts du collège des médecins, accordent à un sieur de Bonlieu, « opérateur », la permission d'exposer ses drogues et médicaments (2).

Enfin on trouve, en 1670, un mandat de 40 livres à Jacques Bourelly, maître opérateur,« pour les peines par luy prinses à panser et médicamenter deux pauvres filles de mal vénérien, par ordre des consuls, les quelles ils ont remises en bonne santé (3) ». Mais le plus célèbre, du moins le plus bruyant de ces charlatans, est un nommé Pierre Dupille de Belletour, prenant le titre « d'opérateur ordinaire du roy, fils de feu Claude dit Tabarin, aussi opérateur ordinaire du roy » Il reçoit des lettres de citoyen de la ville (4), et un arrêt du Parlement de Dauphiné lui permet de vendre à Grenoble « l'orviétan dit Ottavan, l'essence de romarin, l'essence de tain, l'essence de sauge, l'huile d'ambre, un cuisinet royal propre pour les douleurs de tête, l'huile du soleil pour les blessures et contre les vers des enfants, une pierre médicale de Crolius, une teinture de corail, l'huile de baulme pour les foulures et entorses, une teinture d'aloès et une eau céleste pour les yeux, une opiate pour conserver les dents, une bague de dent de cheval marin, une emplâtre de Paracelse..... >>

L'affiche de Belletour nous a été conservée par A. Rey (5). En voici quelques extraits, qui ne sont pas indignes de soutenir la comparaison avec la réclame comtemporaine:

Aux curieux des belles choses et amateurs de leur santé.
Messieurs,

Vous serez avertis que le sieur de Belletour, opérateur du roi et de Monseigneur le duc de Lesdiguières, seul distributeur du véritable secret de l'orviétan dans toute la province de Dauphiné et habitant la ville de Grenoble, par arrêt de cette souveraine cour de Parlement, travaille à toutes les opérations manuelles, traitte toutes sortes de maladies et distribue dans sa boutique toutes les drogues, parfums, essences, pomades, eaux et autres que l'on trouvera à la suite notées et se distribue dans sa boutique: A Grenoble, à la place Saint-André, à l'enseigne du Soleil d'Or.

Suit l'énumération :

<< Des opérations manuelles et maladies particulières que le sieur de Belletour traitte et guérit moyennant l'assistance du ciel.

Fait l'opération de la lithotomie ou l'extraction de la pierre au grand et au petit appareil; celle des hernies ou descentes de boyaux en général. Il abat les catractes avec une réussite merveilleuse; guérit les nolimetan

(1) Archives municipales, C C, 785. (2) Archives municipales, B B, 110. (3) Archives municipales, B B, 110. (4) Archives municipales, B B, 113.

(5) Armand Rey: Bulletin médical du Dauphiné, 1867.

gèrez et tous ulcères. Il guérit la maladie napolitaine et tous ses accidents sans donner le flux de bouche et faire tomber le poil

...

.....

etc., etc.

En 1684, autorisation de vendre le véritable orviétan, sur un théâtre qu'il fit élever place Saint-André, est accordée au sieur Toscano, dit Chapeau d'Or, sous condition de ne représenter aucune chose qui puisse choquer la modestie; mais cela soulève toute une tempête un sieur Antoine Levantin proteste contre cette autorisation, sous prétexte que c'est lui qui détient le véritable orviétan; renvoi de l'affaire par les consuls devant la cour; procès au lieu de les renvoyer tous deux dos à dos, on laisse Toscano, Duval et Scaramouche, demander pardon aux consuls des paroles injurieuses qu'ils avaient, paraît-il, proférées,et les deux opérateurs, dit M. Prudhomme (1), purent continuer leur parade. Toscano fut le plus fort: il défia son rival de boire un poison qu'il lui présenta et qu'il avalait tous les jours, lui-même, impunément, grâce, disait-il, à son fameux orviétan. Levantin n'accepta pas. Peut-être ne fut-il pas mal avisé!

La liste des charlatans qui travaillent « avec la permission des autorités » n'est pas épuisée en 1721, les consuls avertissent le public (2) du passage à Grenoble du sieur Thiorus, dit le Franc, chirurgien des hôpitaux (?) de Rennes, Milan, Montpellier, Paris et Lyon.

La même année, les consuls correspondent avec un M. de Carimiers (3), qui leur écrit de Paris pour leur offrir un « secret pour la conservationde la santé, la préservation de la peste, et la guérison de tous maux, lequel ne consiste que dans une peau de cygne, qu'il a la faculté d'apprêter ; ladite peau apprêtée est, par elle-même, miraculeuse, dont plusieurs rois, reines, princes et princesses ont fait beaucoup d'état pour sa grande propriété qui dure plus de 15 ans. Elle se porte sur la poitrine, sur la chemise, etc..... >>

Louis XIV, Jui-même, avait bien fait venir près de lui un charlatan d'Amiens. Le bonhomme, rapporte Voltaire, s'asseyait sans façon au pied du lit du grand roi, et, courtisan à sa manière, lui disait : « Voilà un gars bien malade, mais il ne mourra pas! »

Enfin, en 1770, la ville règle le salaire de 30 livres « du sieur Dachino (4), chirurgien oculiste napolitain, pour les opérations qu'il a faites aux yeux de plusieurs pauvres personnes de cette ville, ou fourni

(1) Prudhomme: Histoire de Grenoble.
(2) Archives de l'Hôpital, H, 130.
(3) Archives municipales, C C, 927.
(4) Archives municipales, C C, 1056.

ture de médicaments, attendu que ces personnes sont hors d'état de

payer ».

VIII

Nous avons vu de fréquents conflits entre les médecins. Nous venons de voir combien l'administration les protégeait peu contre les empiriques et les charlatans; d'autres démêlés surviennent entre divers intéressés : l'Hôpital, les chirurgiens, les pharmaciens et les Pères de la Charité.

L'entrée de ces religieux à l'Hôpital avait été, à certains égards, une bonne chose: ils apportaient plus de régularité dans le service, s'entendaient bien à la petite chirurgie, enfin ils avaient fondé une sorte de petite école destinéee à former des frères chirurgiens, mais recevant, sans doute, comme chez les Pères de la Charité de Paris à la même époque, quelques élèves externes (1). Ils allaient être néanmoins l'origine d'inconvénients d'un autre ordre et l'objet de réclamations fondées.

Dès 1709, l'Hôpital et les Pères cessaient de s'entendre un certain nombre de soldats malades, venant du camp de Montmélian, sont soignés dans le couvent des Pères de la Charité. Ces religieux n'ont plus de place; ils mettent leurs blessés dans les salles de l'Hôpital général,« ce que l'on ne peut refuser, attendu qu'il s'agit du service du roy»; mais l'Hôpital' tout en reconnaissant la nécessité de cel envahissement, réclame aux Pères une indemnité, d'autant plus juste qu'ils étaient payés par le roy pour chaque soldat blessé (2). Première querelle. Une autre fois, 1721, ce sont les religieuses qui refusent de recevoir certaines malades de l'Hôpital, parce qu'elles ont des plaies (3). En 1742, on se fâche tout à fait (4). Les religieux n'observent plus du tout les clauses de la convention faite avec l'Hôpital en 1681 ils refusent de laisser visiter leur maison par les directeurs de l'Hôpital général, << principalement par ceux qui sont chirurgiens ou apoticaires, parce que leurs connaissances leur auraient fait remarquer certains malades, qui ne restent que parce qu'ils sont utilles aux religieux, soit pour travailler pour eux, dans leur maison d'icy, ou à la campagne, dont l'Hôpital paye la nourriture, quoi qu'en cela mème ils fassent une chose infinime..t con

(1) A Paris, en 1761, il y avait chez les Pères de la Charité des élèves externes et des élèves religieux qui, chaque jour, faisaient les pansements, suivaient un cours d'anatomie et disséquaient dans deux amphithéâtres séparés, un pour les religieux, un pour les laïques

(2) Archives de l'Hôpital, E, 7.
(3) Archives de l'Hôpital, E, 8.
(4) Archives de l'Hôpital, B, 222.

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