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LE CENTENAIRE

DE LA RÉVOLUTION

La lettre suivante a été adressée à plusieurs journaux :

MONSIEUR LE RÉDACTEUR,

Je lis dans votre honorable journal que le Temps essaie de créer une vaste association de propagande démocratique sous le titre de « Association républicaine du Centenaire de 1789. »

Certes, j'applaudis de tout cœur à cette idée; elle peut donner, au profit de la République, les meilleurs résultats: j'y applaudis d'autant plus volontiers que j'ai moi-même, il y a six ans, avec le concours de mes amis Henri Martin, Carnot, Eugène Pelletan, Edouard Charton, Anatole de la Forge, Clamageran, Colfavru, Brelay, Giard, Etienne Charavay et Louis Blanc, fondé une association ayant le même but que celle dont le Temps propose la création.

Cette association, en pleine activité et en plein succès, a pour la représenter une revue: La Révolution Française (qui est dans sa cinquième année d'existence); elle a organisé de nombreuses conférences et créé, dans plusieurs villes, des comités du Centenaire.

J'ai pensé qu'elle méritait au moins un souvenir, et je me suis permis, au nom de mes illustres collaborateurs et au mien, de vous adresser cette lettre que je vous prie d'accueillir avec mes remerciements.

5o ANNÉE - I.

AUGUSTE DIDE,

Sénateur,

Directeur de la REVOLUTION FRANÇAISE.

25

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Charles-François d'Orlodot naquit à La Chalade (Meuse) le 19 septembre 1756, d'une famille noble. Il fut ordonné prêtre à Reims et nommé, le 26 août 1785, curé d'Authon (Eure-et-Loir).

Instruit, élégant, distingué, spirituel, excellent musicien, il obtint rapidement l'estime et l'affection de ses paroissiens. Sa bonté et son libéralisme le rendirent si populaire qu'à la Révolution, il fut élu maire de la commune. Il n'usa jamais de son influence sur la population que pour y maintenir la paix. On raconte qu'un jour, apprenant qu'une troupe d'exaltés allaient incendier le château de Charbonnières, il courut à leur poursuite, les harangua et fut assez heureux pour leur faire abandonner leur dessein.

Le 14 juillet 1790, il célébrait solennellement la messe

sur l'autel de la patrie, élevé au milieu de la place de la Fédération, et bénissait ensuite, l'aube ceinte de l'écharpe tricolore, les drapeaux de la garde nationale (Piolin, VII, 267).

Le mois suivant, quand on apprit qu'il venait d'être élu curé de Saint Vénérand, à Laval, ce fut un deuil général parmi la population, qui « fit de nombreux efforts pour le retenir », et son départ fut l'objet de « démonstrations de douleur » (Boullier, 75).

Après avoir prêté le serment civique, d'Orlodot fut installé à Laval, le 21 août 1790. A partir de ce moment, il se consacra entièrement au devoir de sa charge, se bornant << aux fonctions du ministère pastoral, dont il était seul chargé dans une aussi vaste paroisse », et dans lesquelles il apportait «< de la régularité, même du zèle ». (Ibid., 280, Piol., VII, 267.)

En 1792, quand l'évêque Villar, nommé député à la Convention nationale, eut quitté le diocèse, l'administration fut remise aux mains de ses grands vicaires, qui étaient entièrement dévoués à la Révolution et aux idées de tolérance et de liberté proclamées par la philosophie nouvelle. On peut en juger par les instructions que l'un d'eux (Rabart) donnait aux prêtres qui l'avaient consulté au sujet de leur dépossession du monopole des actes de l'état civil: Citoyens, collègues et amis, je n'ai d'autre réponse à vous faire qu'à vous inviter à l'exécution scrupuleuse de la loi. Elle est sage, cette loi qui rend à César ce qui appartient à César, c'est-à-dire aux magistrats du peuple, ce que les prètres avaient usurpé!... Faites tous vos efforts pour propager les lumières parmi tous les bons villageois. Extirpez de leur cœur le germe du fanatisme et des préjugés. Prêchez l'amour des lois; soyez des professeurs de morale et les apôtres de la liberté.

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« Je finis ma lettre en vous adressant les paroles du vertueux Roland au pontife de l'église romaine. Ayez la profession de ces principes évangéliques qui respirent la plus pure démocratie, la plus tendre humanité: les siècles d'ignorance sont passés, les hommes ne peuvent plus être soumis que par la conviction et la vérité. » (Piol. loc. cit.)

Un clergé animé de telles idées ne devait pas tarder à se dépouiller tout à fait de ses préjugés corporatifs, et à rejeter ensuite les dogmes surannés et les superstitions ébranlées par le ridicule ou l'indifférence. Il est curieux de suivre cette évolution dans la correspondance suivante échangée entre un curé de campagne et son ami Julliot Lerardière, administrateur du département.

Voici d'abord la lettre du curé:

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(29 nivôse an II)

Républicain et ami... Demain je dois dire une grande messe avec toute la pompe sacerdotale en l'honneur de la reprise de Toulon surnommé le Port de la Montagne, et de la décade, fête nationale, et en même temps les pérorer un peu, en leur faisant connaître les droits de l'homme et combien ils se trouvent heureux d'êtres libres et de n'avoir plus de tyrans à leur tête. Ainsi, comme républicains, ils doivent respecter les lois, chérir la république et aimer la patrie telle doit être leur devise; et, d'après ce que nous sommes, de vrais républicains, nous irons nous divertir et chanter des hymnes relativement à la fète, et des chansons républicaines, et puis trinquer ensemble, comme de bons amis et à la santé des sans-culottes. Quoique j'exerce toujours mes fonctions, tu dois voir que je ne les fanatise pas; d'ailleurs, tu me connais, je ne t'en dirai pas davantage... Salut et fraternité. » (Boul., 179.)

Voici maintenant la réponse de l'ami:

« Laval, 30 nivôse, 2o année républicaine.

<«< Mon ami,... lorsque tu me dis que tuchantes des messes, c'est m'annoncer que tu veux toujours en imposer à tes esclaves de l'ignorance et de la superstition... Je sais que leur ayant donné les impressions, tu ne voudrais pas en avoir le démenti et revenir sur tes pas, mais un homme vertueux doit toujours dire la vérité, c'est la morale de l'honnête homme. Prêche la Constitution, amène les ignorants à la raison, fais-leur voir que le Dieu que nous révérons ne doit avoir de temple que dans un cœur pur. Instruis-les dans le bien et pour le bien: voilà les armes qui doivent renverser l'idole du fanatisme et faire évanouir tous les préjugés superstitieux... chante des hymnes à l'honneur de la Divinité suprême et de la liberté... Ne tyrannise donc plus la conscience des habitants: plus de confession... Au surplus, arrangez-vous tous ensemble sur cet article, vivez en bons frères et en bons amis, voilà la vertu républicaine. Salut et fraternité.

« JULLIOT-LERARDIÈRE, président. » (Boul., 180.)

On comprend, par cette transformation successive des idées, comment une partie du clergé français fut amenée à abandonner les préceptes du vieux catéchisme pour la morale du vicaire savoyard et l'enseignement des vertus républicaines.

C'est le développement de ce culte humanitaire et patriotique que les autorités vont essayer de favoriser dans le règlement concernant les cultes, promulgué à Laval, le 9 janvier 1794, à la suite d'une proclamation du conventionnel Lequinio.

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