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liages ou sénéchaussées, dans la seule tie du royaume soumise, en 1614, à la domination française, est aujourd'hui considérablement augmenté; que les provinces réunies au royaume depuis cette époque, en y comprenant les trois évêchés, qui n'eurent point de députés aux Etats-Généraux, représentent aujourd'hui près de la septième partie du royaume; qu'ainsi, la manière dont ces provinces doivent concourir aux élections pour les EtatsGénéraux, ne peut être réglée par aucun exemple; et la forme usitée pour les autres provinces peut d'autant moins y être applicable, que dans la seule province de Lorraine, il y a trente-cinq bailliages: division qui n'a aucune parité avec le petit nombre de bailliages ou sénéchaussées, dont plusieurs généralités du royaume sont composées; que les élections du clergé eurent lieu d'une manière très-différente, selon les districts et selon les diverses prétentions auxquelles ces élections donnèrent naissance; que le nombre respectif des députés des différens ordres ne fut pas déterminé d'une manière uniforme dans chaque bailliage, ́en sorte que la proportion entre les membres du clergé, de la noblesse et du tiersétat, ne fut pas la même pour tous; qu'enfin, une multitude de contestations relatives aux élections, consumèrent une grande partie de la tenue des derniers Etats-Généraux, et qu'on se plaignit fréquemment de la disproportion pour la répartition des suffrages.

Sa Majesté, frappée de ces diverses considérations, et de plusieurs autres moins importantes, mais qui, réunies ensemble, méritent une sérieuse attention, a cru ne devoir pas resserrer dans son conseil l'examen d'une des plus grandes dispositions dont le Gouvernement ait jamais été appelé à s'occuper.

Le Roi veut que les Etats-Généraux soient composés d'une manière constitutionnelle; que les anciens usages soient respectés dans tous les réglemens applicables au temps présent, et dans toutes les dispositions conformes à la raison et aux vœux légitimes de la plus grande partie de la nation. Le Roi attend avec confiance des Etats-Généraux de son royaume, régénération du bonheur public, et l'affermissement de la puissance de l'empire français. L'on doit donc être persuadé que son unique désir est de préparer, à l'avance, les voies qui peuvent conduire à cette harmonie, sans laquelle toutes les lumières et toutes les bonnes intentions

la

deviennent inutiles. Sa Majesté a done pensé qu'après cent soixante-quinze ans d'interruption des Etats-Généraux, et après de grands changemens survenus dans plusieurs parties essentielles de l'ordre public, elle ne pouvait prendre trop de précautions, non-seulement pour éclairer sûrement ses déterminations, mais encore pour donner au plan qu'elle adoptera, la sanction la plus imposante. Animée d'un pareil esprit, et cédant uniquement à cet amour du bien qui dirige tous les sentimens de son cœur, Sa Majesté a considéré comme le parti le plus sage d'appeler auprès d'elle, pour être aidée de leurs conseils, les mêmes notables assemblés par ses ordres, au mois de janvier 1787, et dont le zèle et les travaux ont mérité son approbation et obtenu la confiance publique.

Ces notables ayant été convoqués la première fois, pour des affaires absolument étrangères à la grande question sur laquelle le Roi veut aujourd'hui les consulter, le choix de Sa Majesté manifeste encore davantage cet esprit d'impartialité qui s'allie si bien à la pureté de ses vues. Le nombre des personnes qui composeront cette assemblée, ne retardera pas leurs délibérations, puisque ce nombre même affermira leur opinion par la confiance qui naît du rapprochement des lumières; et sans doute qu'elles donneront leur avis avec la noble franchise que l'on doit naturellement attendre d'une réunion d'hommes distingués, et comptables uniquement de leur zèle pour le bien public. Sa Majesté aperçoit, plus que jamais, le prix inestimable du concours général des sentimens et des opinions; elle veut y mettre sa force; elle veut y chercher son bonheur; et elle secondera de sa puissance, les efforts de tous ceux qui, dirigés par un véritable esprit de patriotisme, seront dignes d'être associés à ses intentions bienfaisantes.

A quoi voulant pourvoir; ouï le rapport, le Roi étant en son conseil, a ordonné et ordonne que toutes les personnes qui ont formé, en 1787, l'assemblée des notables, seront de nouveau convoquées pour se trouver réunies en sa ville de Versailles, le 3 du mois de novembre prochain, suivant les lettres particulières qui seront adressées à chacune d'elles, pour y délibérer uniquement sur la manière la plus régulière et la plus convenable de procéder à la formation des Etats-Généraux de 1789; à l'effet de quoi, Sa Majesté leur fera com

parler sont celles-ci: 10 Faut-il que le nombre des députés aux Etats-Généraux soit le même pour tous les bailliages indistinctement, ou ce nombre doit-il être différent, selon l'étendue de leur population? 20 Faut-il que le nombre des députés du tiers-état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre ne doit-il composer que la troisième partie de l'ensemble? 30 Chaque ordre doit-il être restreint à ne choisir des députés que dans son ordre?

muniquer les différens renseignemens qu'il aura été possible de se procurer sur la constitution des précédens Etats-Généraux, et sur les formes qui ont été suivies pour la convocation et l'élection des membres de ces assemblées nationales, de manière qu'elles puissent présenter un avis dans le cours dudit mois de novembre; et Sa Majesté se réserve de remplacer par des personnes de même qualité et condition, ceux d'entre les notables de l'assemblée de 1787, qui sont décédés, ou qui se trouveraient valablement empêchés.

Fait au Conseil-d'Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles, le cinq octobre mil sept cent quatre-vingthuit. Signé LAURENT DE VILLEDEUIL.

Jer NOVEMBRE 1788. Arrêt du Conseil-d'Etat du Roi portant convocation d'une assemblée des anciens Etats de Franche-Comté. (L., t. I, p. 18.)

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DÉCEMBRE 1788. — Rapport fait au Roi, dans son Conseil, par le ministre de ses finances (1), (L., t. I, p. 21.)

SIRE, les notables, convoqués par vos ordres, se sont livrés avec application à l'examen des diverses questions sur lesquelles ils avaient été consultés par Votre Majesté, et à mesure qu'ils ont avancé dans leurs recherches, ils ont découvert plusieurs difficultés qu'il était important de résoudre. Leur travail a donc répandu un grand jour sur divers détails essentiels; et, en fixant ainsi beaucoup d'incertitudes, en dissipant plusieurs obscurités embarrassantes, ils ont éclairé la marche de l'administration.

Votre Majesté, qui a pris connaissance du procès-verbal des différens bureaux, a pu juger par elle-même de la vérité de ces observations. Elle a vu, en même temps, que trois questions importantes avaient donné lieu à un partage d'opinions; et, puisque l'une, surtout, fixe aujourd'hui l'attention et l'intérêt de tout le royaume, il est indispensable de les soumettre particulièrement à la décision de Votre Majesté.

Les trois questions dont je viens de

Sur la première question. La majorité des notables a été d'avis que le nombre des députés devait être le même pour chaque bailliage; mais plusieurs bureaux paraissent avoir adopté cette opinion, parce qu'on n'avait pas pu mettre sous leurs yeux des connaissances suffisantes sur la population comparative de chaque bailliage. Un travail trèsétendu, que la brièveté du temps n'avait pas permis de finir, avait été présenté aux notables dans un état d'imperfection; il est complet actuellement, et je suis persuadé que, sous cette nouvelle forme, il aurait changé le cours des réflexions de la plupart des notables. Un respect rigoureux pour les formes suivies en 1614, a fixé l'opinion de ceux qui ont pensé que les grands bailliages devaient avoir le même nombre de députés, sans égard à la diversité de leur étendue et de leur population. Cependant il est impossible de douter qu'en 1614 on n'eût fait de plus fortes réclamations contre la grande inégalité de la représentation entre les provinces, si la force de l'habitude, l'ignorance où l'on était de la population respective du royaume, quelquefois un défaut d'intérêt pour les objets qui devaient être traités aux EtatsGénéraux, n'avaient pas distrait l'attention de ces disparités; mais aujourd'hui que les lumières se sont étendues et perfectionnées, aujourd'hui qu'on est attaché davantage aux règles de l'équité proportionnelle, on exciterait les réclamations de plusieurs provinces, sans en contenter aucune, si l'on consacrait de nouveau des inégalités contraires aux règles les plus communes de la justice. Ces inégalités sont grandes, ainsi qu'on a déjà eu occasion de le faire remarquer.

La sénéchaussée de Poitiers contient

Le bailliage de Gex...

(1) Ce rapport ne porte aucune dale dans la collection du Louvre.

et

692,810 ames. 13,052

Le bailliage de Verman

dois.

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Celui de Dourdan.

674,504 7,462 Il n'y a qu'une seule opinion dans le royaume sur la nécessité de proportion-, ner, autant qu'il sera possible, le nombre de députés de chaque bailliage à sa population; et, puisque l'on peut, en 1788, établir cette proportion d'après des connaissances certaines, il serait évidemment déraisonnable de délaisser ces moyens de justice éclairée, pour suivre servilement l'exemple de 1614.

Je ne m'arrêterai pas aux raisonnemens trop métaphysiques dont on s'est servi pour soutenir que les intérêts généraux de la nation seraient aussi bien représentés par les députés d'un petit bailliage que par les députés d'un grand; et qu'ainsi, les représentans de ces deux bailliages pouvaient rester en nombre égal sans inconvénient, et jouir ainsi d'une influence pareille dans l'assemblée des Etats-Généraux. Il suffit, pour faire sentir l'imperfection de ce raisonnement, de le pousser à l'extrême, et de demander si le député d'une paroisse devrait, dans une province, avoir le même suffrage, le mème degré d'influence que les représentans de deux ou trois cents communautés. Les esprits ne se prêtent point à des distinctions subtiles, quand il est question des plus grands principes et des plus grands intérêts. On peut observer, à la vérité, que, si, dans chaque ordre, aux Etats-Généraux, on opine par bailliages, et non par têtes, l'ancienne disparité, à laquelle on propose au Roi de remédier, subsisterait également; mais tout ce que Votre Majesté peut faire, c'est de mettre les EtatsGénéraux à portée d'adopter l'une ou l'autre délibération. D'ailleurs, en supposant même que les opinions se réglassent par bailliages, les plus considérables d'entre ces districts ayant une grande diversité d'intérêts à faire connaître, il serait encore raisonnable de leur accorder plus de représentation qu'aux bailliages, dont l'étendue et la population seraient infiniment moins importantes.

Sur la seconde question. Faut-il que le nombre des députés du tiers-état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre doit-il composer simplement la troisième partie de l'ensemble?

Cette question, la plus importante de toutes, divise en ce moment le royaume. L'intérêt qu'on y attache est peut-être

exagéré de part et d'autre; car, puisque l'ancienne constitution ou les anciens usages autorisent les trois ordres à délibérer et voter séparément aux Etats-Généraux, le nombre des députés, dans chacun de ces ordres, ne parait pas une question susceptible du degré de chaleur qu'elle excite. Il serait sans doute à désirer que les ordres se réunissent volontairement dans l'examen de toutes les affaires où leur intérêt est absolument égal et semblable; mais cette détermination même dépendant du vœu distinct des trois ordres, c'est de l'amour commun du bien de l'Etat qu'on doit l'attendre. Quoi qu'il en soit, toute question préliminaire qui peut être considérée sous divers points de vue, et semer ainsi la discorde entre les trois ordres de l'Etat, est, sous ce rapport seul, de la plus grande importance; et Votre Majesté doit découvrir avec peine qu'elle ne pourra prendre aucun parti sur le nombre des députés du tiers-état, sans mécontenter une partie des trois ordres de la nation; et vos ministres, que l'on aime souvent à juger avec sévérité, ne doivent pas se dissimuler les difficultés qui les attendent; mais leur devoir n'est pas moins d'exprimer leurs sentimens avec la plus parfaite vérité.

C'était sans doute une grande tâche que d'avoir à présenter aux Etats-Généraux l'embarras des affaires et les divers moyens qui pouvaient rétablir les finan.ces; mais avec de l'harmonie, cette tâche s'allégeait à mes yeux. Faut-il, à l'aspect des désunions qui s'élèvent, commencer à perdre courage! non, doute, il s'en faut bien; mais il est permis d'être péniblement affecté de ces nouveaux obstacles.

sans

L'on compte en faveur de l'opinion qui réduit le nombre des députés du tiers-état à la moitié des représentans des deux autres ordres réunis, 1o la majorité décidée des notables; 2o une grande partie du clergé et de la noblesse; 30 le vœu prononcé de la noblesse de Bretagne; 4o le sentiment connu de plusieurs magistrats, tant du conseil du Roi que des Cours souveraines; 5o une sorte d'exemple tiré des Etats de Bretagne, de Bourgogne et d'Artois, assemblées divisées en trois ordres, et où cependant le tiers-état est moins nombreux que la noblesse et le clergé; 6o enfin, plusieurs princes du sang dont les sentimens se sont manifestés d'une manière positive.

On voit, d'un autre côté, en faveur de l'admission du tiers-état dans un nombre égal à celui des deux autres ordres réunis, 1o l'avis de la minorité des notables, entre lesquels on compte plusieurs personnes distinguées par leur rang dans la noblesse et dans le clergé ; 2o l'opinion de plusieurs gentilshommes qui n'étaient pas dans l'assemblée des notables; 3o le vœu des trois ordres du Dauphiné; 4o la demande formée par diverses commissions ou bureaux intermédiaires des ad

ministrations provinciales, demande que

ces administrations auraient vraisemblablement appuyée, si elles avaient tenu leurs séances cette année; 50 l'induction qu'on peut tirer de l'ancienne constitution des Etats de Languedoc, et de la formation récente des Etats de Provence et du Hainaut, où le tiers - état est en nombre égal aux deux autres ordres; 6o le dernier arrêté du parlement de Paris, où, sans prononcer sur l'égalité du nombre entre le tiers-état et les deux autres ordres, le parlement s'explique de la manière suivante: « A l'égard du

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nombre, celui des députés respectifs << n'étant déterminé par aucune loi, ni « par aucun usage constant pour aucun « ordre, il n'a été ni dans le pouvoir, ni << dans l'intention de la cour d'y suppléer; ladite cour ne pouvant, sur cet objet, que s'en rapporter à la sagesse « du Roi sur les mesures nécessaires à

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prendre pour parvenir aux modifica«tions que la raison, la liberté, la justice « et le vœu général peuvent indiquer. » 7o Enfin, et par-dessus tout, les adresses sans nombre des villes et des communes du royaume, et le vœu public de cette vaste partie de vos sujets connue sous le nom de tiers-état.

Je pourrais ajouter encore ce bruit sourd de l'Europe entière, qui favorise confusément toutes les idées d'équité générale. Après avoir rapproché les autorités pour et contre, et les divers appuis de deux opinions si opposées, je rappellerai, en peu de mots, à Votre Majesté, les différens motifs qui peuvent éclairer sa décision. Et d'abord l'on cite contre l'admission régulière du tiers-état dans un nombre égal aux deux premiers ordres réunis, l'exemple de 1614 et de plusieurs tenues d'états précédens : les lettres de convocation portaient, un de chaque ordre. On représente que si Votre Majesté se croyait en droit de changer cet ordre de choses, on ne saurait déterminer la mesure des altérations que

le Souverain pourrait apporter aux diverses parties constitutives des EtatsGénéraux. Votre Majesté, ayant assemblé les notables de son royaume, et leur ayant demandé leur avis, trouverait sùrement une sorte de satisfaction et de convenance à suivre l'opinion qu'ils ont adoptée, à la grande pluralité des voix ; il serait agréable à Votre Majesté de pou voir donner une marque de déférence à une assemblée composée de personnes recommandables à tant de titres, et qui, en discutant les questions soumises à leur examen, se sont livrées avec zèle et sincérité à la recherche du point de décision le plus juste et le plus conforme au bien de l'Etat. L'on ajoute qu'en ne ménageant pas les droits ou les prétentions des deux premiers ordres, l'on contrarie les anciens principes du Gouvernement français, et l'on blesse, en quelque manière, l'esprit de la monarchie.

On peut dire que ces deux premiers ordres sont liés au souverain par leur supériorité même sur le troisième, puisque cette supériorité est maintenue par toutes les gradations d'états dont le monarque est à la fois le conservateur et le dernier terme. On présume que le tiers-état, en mettant un grand intérêt à être égal en nombre aux députés des deux premiers ordres, annonce le dessein d'amener les Etats-Généraux à délibérer en commun. On observe, dans un autre sens, que si ce genre de délibération devenait convenable en certaines occcasions, on rendrait plus incertain l'asssentiment des deux premiers ordres à une pareille disposition, si le nombre des députés du tiers-état était égal à celui des deux premiers ordres. On demande ce qu'il faut de plus au tiers-état que l'abolition des priviléges pécuniaires, et l'on annonce cette abolition comme certaine, en citant le vœu formel à cet égard d'un grand nombre de notables dans la noblesse et dans le clergé. On croit que le tiers-état, et alors on l'appelle le peuple, est souvent inconsidéré dans ses prétentions, et que la première une fois satisfaite, une suite d'autres demandes pourront se succéder, et nous approcher insensiblement de la démocratie. On met trop d'importance, dit-on, quelquefois, aux réclamations du tiers-état; il est considérable en nombre mais, épars et distrait par diverses occu' pations lucratives, il ne prend aux questions politiques qu'un intérêt momentané; il a besoin d'être soutenu par des écrits, et il se lasse de la continuation des

mêmes débats. Les deux premiers ordres, comme toutes les associations dont l'étendue est circonscrite, sont, au contraire, sans cesse éveillés par l'intérêt habituel qui leur est propre ils ont le temps et la volonté de s'unir, et ils gagnent insensiblement des voix l'effet par de leur crédit et par l'ascendant de leur état dans le monde. On fait des calculs sur le nombre des citoyens qui composent le tiers-état, et l'on resserre ce nombre en séparant de sa cause, ou plutôt de son parti, tous ceux qui, par ignorance ou par misère, ne sont que les serviteurs des riches de tous les états, et se montrent absolument étrangers aux contestations politiques. Peut-être même que la plupart des hommes de cette dernière classe seraient plus à la suite des seigneurs ecclésiastiques et laïcs, avec lesquels ils ont des liens de dépendance, qu'ils ne seraient attachés aux citoyens qui défendent les droits communs de tous les non-privilégiés. Les deux premiers ordres, qui n'ont rien à acquérir, et qui sont contens de leurs priviléges et de leur état politique, ont moins d'intérêt que le tiers-état à la réunion des trois ordres en Etats-Généraux. Ainsi, s'ils n'étaient pas entraînés par un sentiment public, équitable et généreux, ils adopteraient facilement les mesures qui éloigneraient, par des oppositions ou par tout autre moyen, la tenue de ces Etats. Enfin, deux premiers ordres connaissent mieux que le troisième la cour et ses orages; et, s'ils le voulaient, ils concerteraient avec plus de sûreté les démarches qui peuvent embarrasser le ministère, fatiguer sa constance, et rendre sa force impuissante.

les

Je crois avoir indiqué les principales considérations qui peuvent favoriser auprès du Roi les prétentions contraires à la demande du tiers-état; je vais parcourir de même, en abrégé, celles qui en doivent être l'appui; elles fixeront pareillement l'attention de Votre Majesté. On accuse le tiers-état de vouloir empiéter sur les deux premiers ordres, et il ne demande qu'autant de représentans, autant de défenseurs pour les communes soumises à toutes les charges publiques, que pour le nombre circonscrit des citoyens qui jouissent de priviléges ou d'exceptions favorables. Il resterait encore aux deux premiers ordres tout l'ascendant qui naît de la supériorité d'état, et les diverses graces dont ils sont les distributeurs, soit par leurs propres moyens,

soit par leur crédit à la cour et près des ministres. Cette dernière observation est tellement juste, que dans les assemblées d'Etat, où les trois ordres délibèrent quelquefois en commun, il est connu par expérience qu'aux momens où le tiersétat se sent intimidé par l'opinion de ceux qu'il est dans l'habitude de respecter, il demande à se retirer dans sa chambre

et c'est en s'isolant ainsi qu'il reprend du courage et retrouve ses forces. Le titre des lettres de convocation de 1614, et précédentes assemblées nationales, est contraire à la demande du tiers-état'; mais les faits y sont favorables, puisqu'en réalité, le nombre des députés de cette classe de citoyens a toujours passé la troisième partie du nombre général des députés. Au commencement du 14e siècle, Philippe-le-Bel, guidé par une vue simplement politique, a pu introduire le tiers-état dans les assemblées nationales; Votre Majesté, à la fin du dix-huitième déterminée seulement par un sentiment d'équité, n'aurait-elle pas le droit de satisfaire au vœu général des communes de son royaume, en leur accordant un petit nombre de représentans de plus qu'elles n'ont eu à la dernière tenue, époque loin de nous de près de deux siècles? Cet intervalle a apporté de grands changemens à toutes choses. Les richesses mobilières et les emprunts du gouvernement ont associé le tiers-état à la fortune publique; les connaissances et les lumières sont devenues un patrimoine commun; les préjugés se sont affaiblis; un sentiment d'équité général a été noblement soutenu par les personnes qui avaient le plus à gagner au maintien rigoureux de toutes les distinctions. Partout, les ames se sont animées, les esprits se sont exhaussés, et c'est à un pareil essor que la nation doit en partie le renouvellement des Etats - Généraux. II n'eût point eu lieu, ce renouvellement, si, depuis le prince jusqu'aux sujets, un respect absolu pour les derniers usages eût paru la seule loi. L'ancienne délibération par ordre ne pouvant être changée que par le concours des trois ordres et par l'approbation du Roi, le nombre des députés du tiers-état n'est jusque-là qu'un moyen de rassembler toutes les connaissances utiles au bien de l'Etat, l'on ne peut contester que cette variété de connaissances appartient surtout à l'ordre du tiers-état, puisqu'il est une multitude d'affaires publiques dont lui seul a l'instruction, telles que les tran

et

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