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ignorans et grossiers, qui confondaient les noms, les domiciles, les familles, les propriétés, les absences légitimes ou criminelles. De ce moment enfin, sur toute la surface de la France, les sentimens sacrés dictés par la nature devinrent des délits; l'existence fut un tourment, la propriété un crime, et la spoliation une vertu civique.

Voilà quels furent les effets des premiers succès de cette coalition impolitique, qui croyait intimider un peuple et qui l'exaspéra; qui se vantait de soutenir le roi, et qui précipita sa perte ; qui voulait relever la noblesse, et qui l'anéantit; qui prétendait enfin ramener l'ordre en France, et qui n'y fit régner que la plus sanglante anarchie.

Les législateurs ne luttaient plus que faiblement contre Robespierre et contre la commune; de nouvelles proscriptions se préparaient encore.

Enfin la Convention nationale vint succéder au corps législatif, et par l'étendue de ses pouvoirs elle parut en imposer quelque temps à la commune usurpatrice; mais ses premières séances prouvèrent évidemment la passion violente de la plupart des membres qui la composaient. Sans délibérer, et par acclamation, elle décréta l'abolition de la royauté et l'établisse

ment de la république; la coalition parut ainsi ne s'approcher du trône français que pour entendre le bruit de sa chute.

Si les premiers pas de Frédéric-Guillaume furent rapides, bientôt il les vit arrêtés par des obstacles qu'il n'avait pas prévus, et son illusion fut aussi courte qu'elle avait été brillante. Le duc de Brunswick avait négligé de s'emparer des hauteurs de Bienne; Arthur Dillon s'y étant posté, l'armée prussienne fut obligée de faire un long détour qui lui fit perdre plus de huit jours. Arrivée en Champagne, après avoir passé les gorges de l'Argone, elle se trouva dans un pays stérile, sans vivres, fatiguée par des pluies continuelles, et minée par une maladie contagieuse qui tua ou mit près de vingt mille hommes hors de combat.

Dumouriez, Kellermann, Luckner et Beurnonville, réunis, lui opposaient des forces redoutables, et se préparaient, s'ils étaient vaincus, à retarder sa marche par des combats continuels, et à lui enlever tout espoir de retraite s'ils étaient victorieux. A Paris, on formait un camp retranché, dont la défense était confiée à cent vingt mille hommes qui avaient pris les armes. De tous les départemens on voyait accourir des bataillons nombreux de volontaires, dont une partie rejoignait

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Dumouriez, et dont l'autre devait former derrière les Prussiens une nouvelle armée. Custines et Biron, avec d'autres troupes, se portaient sur Mayence, et pouvaient, s'ils le voulaient, couper toute communication entre l'armée coalisée et l'Allemagne. Une lettre que Dumouriez écrivit au général Biron à cette époque, peindra mieux que tout autre récit la position critique dans laquelle Frédéric-Guillaume s'était placé, en n'écoutant que les avis des passions les plus ardentes et les plus aveugles.

LETTRE

DU GÉNÉRAL DUMOURIEZ AU GÉNÉRAL BIRON.

A Sainte-Ménehould, le 28 septembre 1792,

l'an IV de la liberté et le Ier de la rép.

« Je suis fâché, mon cher Biron, que ma >> lettre vous soit arrivée trop tard pour chan» ger notre plan. Je voulais que vous m'aidas>> siez tout d'un coup à accabler le roi de Prusse » et à finir la guerre tout de suite. Votre expé>>dition sur Mayence et Spire est plus bril»lante, mais je la crois moins solide. La >> moindre combinaison manquée, le moindre >> retard, le moindre accident peuvent déjouer >> tout notre plan, et vous exposent à n'avoir » plus même assez de troupes pour défendre

» l'Alsace. L'historique très court de ma cam

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>>pagne va vous mettre à portée de juger pour- Ire année

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quoi je préférais mon plan au vôtre.

» J'ai pris, le 28 août, le commandement » de l'armée du général la Fayette, et je ne >> peux pas vous peindre à quel point elle était » désorganisée et faible. Dix-sept mille hom» mes qui la composaient étaient placés dans » le camp de Vaux, au-dessus de Mouzon. Ce >> camp aurait exigé quarante mille hommes » pour être tenu; il n'y avait ni vivres, ni >> chevaux, ni fourrages, ni moyen d'avancer >> ni moyen de rester. J'avais en tête Clairfait » avec vingt-cinq mille Autrichiens. Les Prus>> siens assiégeaient Verdun, et je n'avais pas » pu y jeter un commandant : je ne doutais >> pas que cette place ne dût être bientôt prise, » étant assiégée par cinquante mille Prussiens. >> C'est devant ces quatre-vingt mille hommes >> que j'ai entrepris, le 1er septembre, un » mouvement très hardi.

-))

» J'ai marché par Mouzon sur Stenay, où >> les Autrichiens venaient de passer la Meuse. >> Mon avant-garde les a un peu battus, et les >> a fait replier dans le camp de Brouchenu; » de là j'ai filé par-derrière, leur montrant >> toujours des têtes imposantes, et j'ai occupé » les défilés de l'Argone : j'y ai reçu, le 8, un

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>> renfort de cinq mille hommes des troupes » de Flandre. J'attendais avec impatience Kel>> lermann d'un côté, et Beurnonville de l'au» tre. Verdun s'était rendu le 2; et si j'avais >> eu affaire au grand Frédéric, dès le 3 j'au» rais été chassé jusqu'à Châlons.

» Mais, mon ami, les Prussiens ne savent » plus faire la guerre, et ne valent guère mieux » que nous. Leur grande armée a paru devant >> moi le 10, et pendant cinq jours je les ai >> battus à toutes les attaques de postes qu'ils >> m'ont faites.

>> Les secours n'arrivaient pas, et je gardais >> quinze lieues de terrain, et cinq ou six dé» filés, dont un très spacieux, celui de Grand» Pré, avec moins de vingt-cinq mille hom» mes. Le 13, le plus fort de mes défilés a été » forcé; il a été repris le lendemain, reforcé >> une seconde fois, et j'ai été tourné sur mes » derrières par plus de vingt mille hommes, » n'en ayant que dix-sept mille dans un camp » devenu détestable.

>> Dans la nuit du 14 au 15, j'ai entrepris la >> retraite la plus hardie et la plus dangereuse; » elle a été exécutée parfaitement. Tout était >> hors de danger, lorsque l'apparition de quinze >> cents hussards a renouvelé la déroute de » Mons.

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