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ne lui avait donné ni tentes, ni moyens de transport, ni vivres, ni fourrages; il semblait qu'on voulait faire retomber sur lui le mauvais succès de son expédition. Ses instructions, avant de lui être parvenues, étaient connues dans les cafés de Paris. Malgré les obstacles qui devaient l'arrêter, il arriva au jour fixe, et il ne trouva aucune mesure prise pour exécuter son attaque : il apprit à Givet le désastre de Mons, et reçut du ministre l'ordre de ne point continuer une opération dont la principale partie venait d'échouer. Un corps de trois mille hommes, sous les ordres du général Gouvion, fut attaqué près de Bouvines par les Autrichiens, se défendit courageusement, et se retira sous le canon de Philippeville, sans être entamé. Le maréchal de Rochambeau, fatigué par les intrigues qui le poursuivaient, quitta le commandement de l'armée. Le ministre Dumouriez, qui venait de faire renvoyer Roland, Clavière et Servan, ses collègues, après une querelle scandaleuse qui s'était élevée entre eux sur l'emploi secret de six millions, se fit nommer lieutenant-général, sous les ordres du maréchal Luckner, qui entra dans les PaysBas. L'avant-garde du général la Fayette fut placée à Grisvelle, en avant de Maubeuge. Les troupes du camp retranché devaient se porter

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sur le flanc droit de l'ennemi : les ordres furent lentement exécutés; les colonnes arrivérent lorsque les Autrichiens se retiraient sur Mons. Le corps de Grisvelle fit sa retraite sur Maubeuge. Le général Gouvion, qui le premier avait prouvé que l'ardeur française savait résister à la discipline allemande, fut tué dans cette affaire. Le général la Fayette prit ensuite une position à Bavay, et le maréchal Luckner entra dans Menin.

L'armée était encore troublée par les déroutes de Mons et de Tournay. Le général Valence, à la tête des bataillons de grenadiers, se voyant attaqué par les Autrichiens, rallia les Français, leur rappela leur antique valeur, repoussa avec perte les ennemis, prit quelques batteries, et s'empara de Courtray. Ce premier avantage avait ranimé la confiance des troupes; mais les troubles intérieurs, qui annonçaient l'approche d'un nouvel orage révolutionnaire, empêchèrent le ministère d'autoriser les généraux à profiter de leurs succès.

Le général la Fayette, qui croyait que les intrigues des jacobins étaient plus dangereuses pour la France que les canons de la coalition, écrivit, le 16 juin, à l'assemblée nationale pour dénoncer la conduite perfide de ces désorganisateurs; mais tandis qu'il attaquait in

utilement de loin cette faction redoutable, elle se fortifiait dans l'opinion publique par les malheurs mêmes dont elle était la cause. Le parti républicain, par une fausse politique, se joignit momentanément à ces démagogues factieux; il ignorait encore qu'une pareille alliance se paie nécessairement par beaucoup de honte et de sang.

Le 20 juin, une multitude féroce, poussée par les magistrats, dont le devoir était de la contenir, se porta au château des Tuileries, le força, et vint accabler le roi d'injures et de menaces. Le prétexte de ce mouvement était d'obtenir par la peur la sanction de quelques décrets; mais son but réel était de faire reprendre au roi les ministres républicains qu'il avait renvoyés, en le contraignant de chasser les ministres constitutionnels qui les remplaçaient.

Les instrumens anarchiques dont on s'était servi dans cette occasion auraient probablement voulu pousser plus loin cette entreprise, et tout annonçait qu'on allait voir renouveler aux Tuileries les scènes sanglantes de Versailles. Mais le peu d'accord des chefs du complot, l'antique habitude du respect pour le trône, et la froide fermeté de Louis XVI, suspendirent encore ce jour-là les fureurs des

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séditieux; ils se retirérent sans avoir rien obtenu, mais après avoir placé sur la tête du monarque le bonnet rouge, emblême fatal du sang qui devait bientôt couler.

L'administration départementale, composée d'hommes attachés à l'ordre et à la constitution, destitua le maire Pétion pour avoir favorisé le désordre qu'il aurait dû prévenir. Le roi confirma cette destitution. Pétion vint avec audace plaider sa cause devant l'assemblée, et le corps législatif, effrayé par l'effervescence populaire, annula l'arrêté du département. Pétion, à qui cette lutte parut alors donner quelque éclat, éprouva bientôt combien il est dangereux de confondre la populace avec le peuple, et avec quelle rapidité l'aveugle multitude passe de l'enthousiasme à la haine. Lorsque les rues retentissaient à son passage de ce cri de triomphe : Pétion ou la mort! il ne prévoyait pas que, peu de mois après, ce même peuple, égaré par des scélérats, crierait avec la même frénésie : Pétion et ses amis à la mort!

Les événemens du 20 juin annonçaient évidemment une seconde révolution; en vain les constituans et les amis de l'ordre espéraient l'empêcher. L'insubordination des armées l'approche des ennemis, leurs premiers succès, la faiblesse de la cour, la méfiance qu'elle

inspirait, la discorde dans le sein du corps législatif, le fanatisme populaire excité par les clubs dont la France était couverte, et dont la constitution autorisait l'existence, tout contribuait à rendre cette catastrophe inévitable.

Cependant le général la Fayette voulut tenter un dernier effort pour s'opposer à un bouleversement qui semblait devoir livrer les débris de la France à l'étranger. Chargé d'adresses signées par une foule d'officiers et de soldats, qui se plaignaient avec force de l'atteinte portée à la constitution par des factieux, il osa venir seul à Paris, et se présenta au corps législatif; il y parla avec fermeté, mais avec le peu de succès qu'obtient la sagesse lorsqu'elle plaide contre les passions: ceux qui les ont long-temps enflammées perdent leur puissance lorsqu'ils veulent les éteindre.

Il comptait sur l'empressement mérité et l'entourage imposant de la garde nationale : cette garde, intimidée par les dispositions de la populace, et paralysée par la méfiance de la cour, trompa l'espoir du général; elle n'osa pas venir seconder par sa présence un courage que des vœux individuels secrets et stériles rendirent inutile. La popularité que le général la Fayette avait conservée, et qu'on ne put jamais lui faire perdre, ne lui servit alors qu'à

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