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décisifs pour rendre à Louis XVI son autorité, sans être assez faciles pour amener des conquêtes qui changeraient la balance de l'Eu

rope.

Ainsi, lorsque les cours de Vienne et de Berlin invitèrent, à Ratisbonne, les princes de l'Empire à fournir leur contingent contre les Français, cette déclaration fut assez froidement accueillie. Peu de co-États se prêtèrent à ce qu'on leur demandait; les électeurs de Saxe et d'Hanovre se déclarèrent neutres.

Le Danemarck ne prit aucune part active à la guerre. La cour de Stockholm, qui était, peu de temps avant, plus ardente que toutes les autres, avait changé de chef et de système. Gustave III venait de périr victime du ressentiment de quelques nobles. Ce prince, qui mérite, par son active ambition, son éloquence, ses actions courageuses, sa valeur impétueuse, ses défauts nombreux et ses qualités brillantes, d'obtenir dans l'histoire une place distinguée, voulait, après avoir abaissé la noblesse de Suède, relever celle de France; on assure que son projet était de se mettre à la tête des émigrés français, dont il avait soutenu l'espérance et enflammé l'enthousiasme.

Quelques conspirateurs, les uns pour rétablir l'autorité du sénat, les autres pour venger

de légères injures personnelles, résolurent de
le tuer au milieu du désordre d'un bal mas-
qué. Lilien-Horn, un des conjurés, pressé par
ses remords, voulut sauver les jours du roi,
sans trahir ses complices; il l'avertit par un
billet de ne point aller à cette fête, parce qu'il
y trouverait la mort. Gustave III méprisa cet
avis: sourd aux instances, insensible aux lar-
mes d'un ami qui le suppliait de ne pas s'ex-
poser à ce péril sans gloire et sans nécessité,
il se rendit témérairement au bal. Ankars-
troem, choisi
par le sort, entre les conspira-
teurs, pour exécuter ce complot, lui tira un
coup de pistolet qui le blessa mortellement.
Le roi vécut encore quelques jours, et déve-
loppa, dans son malheur, un courage constant
et une héroïque fermeté. En vain quelques
conjurés, pour voiler leur secret, essayèrent
de faire tomber les soupçons sur les Français.
L'assassin fut bientôt découvert et arrêté; il
nomma deux conjurés, et reçut sur l'échafaud
la punition de son crime. Ses deux complices
furent condamnés à mort; mais le duc de
Sudermanie, revêtu de la régence, commua
la peine en exil, par clémence ou par poli-
tique.

Le régent, qui s'était distingué à la tête des armées navales, était moins ambitieux, moins

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— ardent que son frère; son courage l'avait fait briller dans la guerre, mais sa prudence lui faisait sentir le prix de la paix; la Suède en avait besoin. Il s'occupa du soin de réparer ses pertes, ne voulut pas l'engager dans de nouvelles querelles, et prit le parti de rester spectateur paisible de ces sanglans débats. La puissance de la France importe à la sûreté des Suédois, et le duc de Sudermanie était trop éclairé sur les vrais intérêts de son pays pour ne pas craindre la ruine ou l'affaiblissement de son antique alliée.

L'Angleterre, qui désirait la prolongation des malheurs et l'anéantissement du commerce de la France, ne voulut d'abord ni empêcher la guerre par sa médiation, comme M. de Chauvelin, ministre français, le lui proposait, ni s'en mêler, comme la ligue l'en pressait. L'anarchie intérieure et la guerre extérieure, en épuisant la France, sans qu'il en coûtât d'argent au cabinet de Saint-James, remplissaient les vœux du ministère britannique. Si, comme on le croyait, la France était écrasée, il profiterait de sa chute et prendrait alors sans peine, dans les colonies, des équivalens aux conquêtes que les autres puissances voudraient garder sur le continent. Si, par un hasard difficile à prévoir, la France était victorieuse,

alors l'Angleterre, arrêtant ses progrès, s'unirait à ses ennemis pour l'accabler. Dans tous les cas, en alimentant le feu qui venait de s'allumer, l'épuisement certain des Français et la chute de leur marine devaient venger les Anglais de la révolution d'Amérique.

Par suite de ce système, la Hollande, dont l'intérêt réel était de rester neutre, fut quelque temps après déterminée à entrer dans la coalition; le stathouder, haïssant personnellement la France, n'eut aucune peine à prendre ce parti impolitique.

Les princes d'Italie, consultant plus leurs passions que leur sûreté, accédèrent à la ligue avec imprudence et sans utilité. Le roi d'Espagne, redoutant presque également pour la France le délire de ses démagogues et l'ambition des Anglais, craignait d'aggraver les malheurs de Louis XVI en voulant le secourir ; il garda jusqu'à la mort de ce monarque une sage neutralité.

Le Portugal suivit l'impulsion anglaise, et la prise de quelques-uns de ses navires le fit à peine apercevoir au rang des ennemis de la France.

La Suisse, au sein de ses montagnes, jouit long-temps des douceurs de la paix; mais l'or qui l'inonda l'amollit son repos ne fut ni

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assez ferme ni assez impartial; elle devint, quelques années après, un théâtre affreux de désordre et de carnage, parce qu'elle ne sut ni défendre ses lois ni faire respecter son indépendance.

L'impératrice de Russie, victorieuse des Ottomans et tranquille du côté de la Suède, avait échauffé l'ardeur des émigrés par de magnifiques promesses qu'elle n'avait ni la possibilité ni la volonté de remplir. Les feux de l'Occident étaient trop éloignés pour l'atteindre; tandis que les puissances germaniques,. selon les vœux de son ambition, s'engageaient avec la France dans une lutte sanglante qui devait occuper toutes leurs forces, elle se préparait à se venger sans obstacles, par d'utiles conquêtes, des humiliations qu'elle avait éprouvées en Pologne.

Dès que l'incendie qu'elle attendait eut éclaté, ayant fait entendre aux cabinets de Vienne et de Berlin que leur intérêt était de s'opposer à tout changement de forme quelconque dans les gouvernemens de l'Europe, elle déclara aux Polonais que leur constitution, contre laquelle une vingtaine de nobles tout au plus avait protesté, était illégale et dangereuse, qu'ils devaient revenir à leurs anciennes lois, qu'elle y contraindrait par la force s'ils voulaient

les

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