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conseils au roi, se couvrant sans scrupule du bonnet rouge à la tribune des jacobins, marchant, par tous les chemins qu'il rencontrait, au pouvoir et à la célébrité, il était également disposé à relever le trône s'il en avait la force, ou à profiter de sa chute s'il ne pouvait l'empêcher.

La cour pouvait tirer un grand parti de ses talens, de son audace et de sa popularité; mais elle ne savait ni résister, ni dissimuler, et elle aigrit par sa méfiance les ministres qu'elle avait pris par faiblesse.

Dès que le général Dumouriez vit qu'il n'y avait plus d'espérance de ce côté, il paraît qu'il ne s'occupa plus que du désir de s'illustrer à la tête des armées; cessant de garder, dans les négociations, la mesure et les ménagemens qui pouvaient conserver la paix, il prit le ton impérieux qui devait nécessairement amener la guerre.

Il est vrai qu'il crut, en la faisant éclater, n'avoir à combattre que le roi de Hongrie et de Bohême. Jugeant la politique du roi de Prusse d'après les intérêts de ce prince, et non d'après son caractère, il ne put jamais se persuader que le cabinet de Berlin fût sincère dans ses liaisons avec l'Autriche; son aveuglement sur ce point fut tel, qu'il chargea le

1792.

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jeune Custines de faire au ministère prussien des propositions d'alliance, dont le refus ne put encore dissiper son erreur.

Le sage Léopold n'existait plus. François II, qui lui avait succédé, était plus ardent et plus disposé à suivre les conseils des partisans de la guerre; il fit répondre avec aigreur aux dépêches menaçantes du ministre français, et Louis XVI, pressé par son conseil, fut bientôt obligé de se précipiter dans l'abîme qui devait se refermer sur lui pour toujours.

Sa position devenait en effet de plus en plus critique en combattant, il lui était aisé de prévoir qu'au moindre revers il serait accusé d'avoir appelé les ennemis de l'État dans le sein de la France; d'un autre côté, s'il refusait de céder à l'ardeur de ses ministres, on lui reprocherait de s'entendre avec les étrangers et d'avilir la dignité nationale. Dans cette perplexité, il fit ce qu'il faisait toujours; il céda à l'orage le plus prochain, et vint, au milieu des acclamations de l'assemblée nationale, déclarer la guerre au roi de Hongrie et de Bohème.

Cette déclaration de guerre soudaine produisit en Europe une surprise générale, et la satisfaction qu'elle donna aux ennemis de la révolution française ne fut mêlée, dans les pre

miers momens, d'aucune crainte grave : à cette époque, on n'était effrayé que de la contagion des principes de la France, on ne redoutait point la force de ses armes.

L'épuisement des finances de ce royaume, qui avait été la cause des premiers troubles, était augmenté. Ce pays, divisé par mille factions, semblait hors d'état de résister à une ligue puissante, et ses troupes insubordonnées ne paraissaient pas propres à soutenir le choc des légions disciplinées de la Germanie.

Les émigrés se voyaient, par cette rupture, au comble de leurs vœux; ils se flattaient d'avoir en France de nombreux partisans ; ils croyaient que l'armée française, abandonnée par eux, et commandée par des sous-officiers ou des hommes inexperts au métier des armes, n'opposerait aucun obstacle à leur marche triomphante. Persuadés, dans leur malheureuse illusion, que l'enthousiasme des Français pour le mot liberté n'existait pas, et et que le royaume était opprimé par un petit nombre de factieux, ils assuraient le roi de Prusse que le peuple entier se lèverait à son approche, que tous les cœurs voleraient au devant de lui, et qu'en relevant le trône et l'autel, il verrait toute la nation empressée d'expier les fautes des coupables ambitieux qui l'avaient égarée.

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« Il n'était pas nécessaire, disaient-ils, de >> suivre la prudente méthode et de prendre >> les précautions qu'exige la sagesse dans les >> autres guerres; les villes se rendraient sans » siége, l'armée serait nourrie sans magasin, >> et cette courte campagne ne devait être qu'un » voyage dont on pouvait d'avance régler les >> journées. >>>

L'amour-propre de Frédéric-Guillaume lui fit adopter, sans réflexion, les idées qui flattaient sa vanité; il partagea l'erreur des Français expatriés, parce qu'il partageait leurs passions et leurs ressentimens. Si quelques généraux habiles, si quelques ministres expérimentés doutèrent de la possibilité d'un succès si rapide, les premières opérations des Français, la mollesse de leurs attaques, les querelles de leurs chefs, la terreur de leurs soldats, et le désordre de leur déroute, imposèrent silence à la raison, et donnèrent, pendant quelques momens, aux brillantes illusions du roi de Prusse, toute l'apparence de la réalité.

Frédéric-Guillaume ne porta d'abord dans cette grande querelle aucune vue intéressée : vivement blessé des atteintes portées à l'autorité royale, et haïssant franchement les démocrates, il s'arma loyalement pour rendre à Louis XVI son pouvoir, sans aucun projet de

s'agrandir à ses dépens. La cour de Vienne, moins désintéressée, comptait probablement faire payer un peu cher au roi de France le service qu'elle prétendait lui rendre.

Aussi, quoiqu'elle fût dans la même erreur que ses alliés sur la facilité de la conquête, elle crut devoir rassembler plus de forces contre la France, qu'elle voulait plutôt démembrer que régénérer; laissant à Frédéric-Guillaume l'honneur chevaleresque de briser les fers d'un monarque au centre de ses États, de le replacer sur son trône, elle se chargea politiquement de la guerre des frontières, de l'attaque de la Flandre et de l'Alsace, objets constans de son ambition.

Tous les gouvernemens de l'Europe étaient alors aussi irrités que ces deux puissances contre le système désorganisateur des jacobins et leur ardeur pour le propager: ils ne prévoyaient pas plus qu'elles la défense vigoureuse des Français, et les prodiges de valeur par lesquels cette nation énergique devait maintenir son indépendance; mais leur politique, guidée par des intérêts différens, faisait craindre à quelques-uns d'entre eux des progrès trop rapides et l'agrandissement de l'Autriche aux dépens de la France. Ils auraient désiré que les succès de la cour de Vienne fussent assez

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