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nais, chéris du peuple et de l'armée, furent envoyés à l'échafaud : plus l'ennemi faisait de progrès, plus le gouvernement se croyait obligé de multiplier ses proscriptions pour empêcher la révolte par la terreur.

Soixante-treize députés, dont la modération était suspecte, furent incarcérés, et vécurent une année dans l'attente cruelle de la mort, dont ils étaient sans cesse menacés. La reine Marie-Antoinette, sur laquelle les Français n'avaient aucun droit, et que le peuple haïssait sans motifs, périt sous la hache révolutionnaire. On ne pouvait lui reprocher que sa naissance, la fierté de sa maison, et la légèreté naturelle à son sexe; mais ses malheurs auraient dû toucher les âmes les plus féroces, et l'indigne traitement qu'elle éprouva, les infâmes et absurdes accusations dont elle se vit l'objet, furent peut-être encore plus atroces que son supplice. Si sa vie politique ne fut pas à l'abri de tout reproche d'intrigues, son courage dans la prison, sa noble dignité en présence de ses méprisables juges, et sa fermeté en marchant à la mort, inspireront autant d'admiration pour son caractère que d'horreur pour ses bourreaux.

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Bientôt le duc d'Orléans, qui avait cru échapper au trépas en obéissant à la tyrannie,

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Ire année

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succéda sur l'échafaud au monarque qu'il avait condamné, et supporta avec fermeté l'humiliante et générale approbation qu'excita dans le peuple son supplice. Jusqu'au dernier instant, il crut que ses partisans le feraient absoudre. On assure même que Robespierre fut quelque temps incertain s'il devait le couronner ou l'immoler; mais, trouvant son nom trop dangereux pour la république, et son caractère trop faible pour le trône, il ordonna sa mort.

Robespierre et ses collègues justifiaient aux yeux d'une grande partie du peuple l'atrocité de leurs rigueurs, par l'imminence des dangers dont ils étaient menacés, et que ce peuple croyait partager. Le succès, qui éblouit toujours, couvrit pendant quinze mois leurs crimes d'un funeste éclat. Quatre cent mille étrangers vaincus et chassés des frontières, Lyon soumis, Toulon délivré, et la Vendée subjuguée, excitèrent quelque admiration pour un gouvernement qui ne devait inspirer qu'une juste horreur. Ses moyens étaient immenses; la terreur qu'il répandait assurait l'exécution des ordres les plus tyranniques.

Il ordonna une levée en masse, douze cent mille soldats marchèrent contre l'ennemi; il voulut de l'or, un emprunt forcé lui livra toutes les fortunes.

Quelques hypothèques solides lui étaient nécessaires pour donner du crédit au milliard d'assignats qu'il mettait en circulation; tous les biens des étrangers, des prêtres et des aristocrates furent saisis. (On sent bien que la richesse alors fut réputée crime, et que tout homme opulent fut désigné comme contrerévolutionnaire ou comme accapareur.) La résistance des ex-nobles inquiétait, on les désarma; la masse des dettes pouvait gêner; les créanciers des émigrés, frustrés de leurs hypothèques, furent soldés en papier sans valeur.

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On manquait de bestiaux et de grains, de vêtemens et de fusils, pour nourrir, équiper et armer les bataillons nombreux que l'on créait on mit en réquisition tout ce que possédaient les citoyens aisés; toutes les villes furent remplies de fonderies, et métamorphosées en arsenaux. L'humanité pouvait encourager la désobéissance en sauvant quelques victimes; on paya les dénonciateurs; on fit une vertu patriotique de la délation, un mérite de l'infidélité; on décerna des couronnes civiques à l'ingratitude; la pitié courageuse qui donnait asile au malheur fut vouée à l'infamie et condamnée à l'échafaud; enfin, si le père nourrissait son fils expatrié *, si la fille écri

* Le tribunal révolutionnaire, interrogeant avec sa férocité

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vait à sa mère du fond de son cachot, la loi de la tyrannie les frappait de mort pour avoir écouté la nature.

Le ciel effraie toujours les hommes qui veulent opprimer la terre aussi les décemvirs (c'est ainsi qu'on les nomma, depuis le supplice de deux de leurs collègues, Hérault et Simon), les décemvirs, dis-je, voulurent détruire toute idée de religion pour étouffer la voix des consciences qui résistait à leurs injustes décrets. Ils avaient proscrit les pontifes; ils vouèrent le culte au mépris et en firent profaner, avec ignominie, tous les emblèmes et tous les ornemens. La plupart des prêtres qui siégeaient à la Convention abjurèrent publiquement leur croyance, et prétendirent scandaleusement qu'ils avaient trompé l'univers. On tenta de substituer à la religion chrétienne une sorte de paganisme, dont les divinités métaphysiques se prêtaient à toutes les interprétations que la politique exigeait. La raison et la liberté furent ces nouveaux dieux; sous leurs noms, le délire et l'esclavage régné

ordinaire Angrand d'Allerai (ce respectable magistrat qu'on nommait le père des pauvres ), lui demanda s'il ne connaissait pas la loi qui défendait d'envoyer de l'argent à ses enfans émigrés. Il répondit avec une noble fermeté : Je connais une loi qui parle plus haut que la vôtre', c'est celle de la nature. Le public fut ému, les juges bourreaux frémirent, et l'homme vertueux périt.

rent, et leurs autels furent inondés du sang des victimes humaines, qu'on y versait sans motif, sans mesure et sans pitié.

Il n'existera peut-être jamais un pays désolé tout à la fois par tant de fléaux; on eût dit que l'enfer s'était déchaîné pour le consumer par tous ses feux et le corrompre par tous ses poisons. La vertu trouvait partout un supplice, l'innocence un piége, la faiblesse un danger, le vice un encouragement. La délation, le divorce, la débauche, le sacrilége, l'assassinat, la spoliation étaient sans cesse offerts aux faibles pour les protéger, aux pauvres pour les enrichir, aux ambitieux pour les élever.

On demandait sans honte, dans tous les clubs et comités révolutionnaires, aux candidats qui se présentaient, quels crimes ils avaient commis, quel supplice ils avaient mérité en cas de contre-révolution : c'étaient là les titres qu'on exigeait; c'était, dans la langue de ces barbares, ce qu'on appelait avoir donné des gages à la révolution.

Aussi, dans ces temps affreux où le repos n'était pas même le partage certain d'une heureuse obscurité, la probité et l'énergie n'eurent que deux places à occuper, les prisons et les camps; ce fut là leur asile : et la France, en

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