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inutile: l'armement des émigrés ne cessa point; l'empereur continua à insister avec chaleur sur le redressement des griefs des princes de l'Empire possessionnés en Alsace; l'assemblée législative, effrayée de l'approche d'un orage si redoutable, se prépara à la guerre qu'elle craignait, et que son ardeur allait rendre inévitable; elle voulut que le roi exigeât le désarmement des émigrés, ou l'obtint par les armes.

M. de Narbonne venait alors d'accepter le ministère de la guerre. Il avait beaucoup d'activité, d'esprit, d'adresse, de grâce et de courage; ses opinions et ses sentimens l'attachaient au trône; il devait compter sur l'appui du côté droit de l'assemblée; ses liaisons lui donnaient des partisans dans le parti populaire. Négociant avec finesse, soutenant les menaces des démagogues avec fermeté, répondant aux interpellations imprévues avec la facilité que donne le sang-froid, et pourvu de l'audace nécessaire pour prendre un parti décisif dans un moment de crise, il était, malgré l'aimable légèreté qu'on lui reprochait, et peut-être par cette légèreté même, bien plus propre que tout autre à se maintenir dans une circonstance si difficile. Mais la cour manqua de confiance en lui; de son côté, il commit la faute de ne pas rester uni avec les autres ministres, MM. Du

port-Dutertre, Bertrand* et Lessart; trouvant la froide vertu du premier trop stérile, le caractère du second trop roide, les moyens politiques du dernier trop médiocres, il affaiblit le gouvernement en le désunissant : il perdit son crédit auprès du roi, tandis qu'il avait l'adresse utile de conserver son influence sur la majorité des députés; il ne jeta ainsi sur le pouvoir constitutionnel du monarque qu'un éclat brillant et court.

Ce ministre, pour se conformer au vœu du corps législatif et calmer ses craintes, se dis

* Cet ex-ministre a publié des mémoires sur la révolution. Tout lecteur honnête et impartial lui reprochera sévèrement d'avoir adopté l'absurde et calomnieuse accusation dirigée contre le général la Fayette, l'estimable duc de la Rochefoucauld et l'infortuné Duport, en disant qu'ils avaient, de concert, médité l'assassinat de Foulon et de Berthier. Par une singulière contradiction, dans un autre endroit, il affirme que le général la Fayette fit tout ce qui dépendait de lui pour sauver les jours de Berthier.

Tous ceux qui regrettent M. de Montmorin, et qui rendent un juste hommage à la mémoire de ce ministre honnête et éclairé, trouveront que M. Bertrand, en avouant qu'il était son ami, en parle plus mal que ses ennemis.

Les défenseurs de Louis XVI verront avec surprise un des ministres de ce monarque divulguer sans nécessité des secrets dont ses oppresseurs seuls pouvaient désirer la publicité. On ne lira pas sans étonnement les discours composés par M. Bertrand pour montrer ce qu'aurait dû dire M. Necker s'il eût été (comme il le dit naïvement) un grand homme; enfin, dans ces mémoires qui contiennent beaucoup de faits importans et d'anecdotes curieuses, on remarquera certainement plus de passion que de vérité.

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à rassembler des armées; il en fit donner 1791. le commandement au général Luckner, connu par des succès dans la guerre de sept ans; au général Rochambeau, dont l'expérience militaire était respectée, et que la prise d'Yorck en Amérique avait rendu célèbre; enfin au général la Fayette, qui semblait destiné à combattre pour la cause populaire aux deux extrémités du monde.

M. de Narbonne, ministre et lieutenant-général parcourut ensuite avec rapidité toutes les frontières, fit la revue de toutes les troupes : voulant imposer aux puissances étrangères et rassurer la nation française, il présenta la force et les moyens des armées sous un aspect si formidable, que les démocrates, qui redoutaient le plus la guerre, commencèrent à la souhaiter, et que les puissances germaniques, craignant d'être prévenues, s'occupèrent plus sérieusement à établir entre elles un concert intime contre l'indépendance des Français.

Le maintien de la paix en Europe devenait ainsi de jour en jour moins probable. L'empereur avait récemment déclaré que, si les Français entraient dans l'électorat de Trèves pour y désarmer les émigrés, il regarderait cette hostilité contre un membre de l'Empire comme une déclaration de guerre. Le roi de Prusse,

qui venait de conclure avec la cour de Vienne un traité d'alliance qu'on ignorait encore à Paris, manifesta la même intention.

Les orateurs du corps législatif, furieux, ne montaient à la tribune que pour y prononcer des philippiques contre tous les rois. Au milieu de cette crise politique, le conseil de Louis XVI le détermina à tenter un dernier effort pour éloigner une guerre si funeste. Ce prince envoya M. de Sainte-Croix à Trèves, le comte de Ségur à Berlin, et M. de Marbois à Vienne, pour engager toutes ces puissances à ne point s'immiscer dans les affaires intérieures de la France, pour leur proposer d'indemniser, en argent ou en terres, les princes germaniques possessionnés en Alsace, et pour obtenir qu'on fit cesser l'armement des émigrés, dont le rassemblement protégé rendrait la guerre inévitable, et entraînerait des malheurs impossibles à calculer.

Tous ces envoyés connaissaient les difficultés, et pressentaient le peu de succès d'une négociation si tardive; mais ils rencontrèrent encore plus d'obstacles et trouvèrent des passions plus exaspérées qu'il ne leur avait été possible de le prévoir. Il n'était point surprenant que, dans un pays bouleversé par les orages révolutionnaires, le peuple fanatisé et

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les démagogues environnés d'écueils fussent troublés par des fantômes, et laissassent guider leur marche fougueuse par la peur, la

haine et la crédulité. Mais il était difficile de s'attendre à voir des gouvernemens anciens, paisibles et puissans, aveuglés par les mêmes passions, effrayés par les mêmes chimères, et croyant aux mêmes fables que le peuple ignorant des faubourgs de Paris. Il est cependant trop vrai que le mot révolution troublait leur imagination, comme celui contre – révolution égarait celle des Parisiens.

La chute rapide du pouvoir royal, nobiliaire et sacerdotal en France, avait frappé de terreur les monarques de l'Europe et leurs favoris. Ils oubliaient la différence qui existait entre la discipline de leurs armées et l'insubordination de l'armée française, entre leur position et celle de Paris, entre leur économie presque parcimonieuse et la funeste prodigalité de la cour de France, enfin entre la froideur et la soumission de leurs peuples et la turbulente activité des Français.

Les hommes ardens qui voulaient porter les rois à prendre les armes, profitèrent de leur effroi. La peur est une passion qu'on peut flatter comme les autres; on la dirige à son gré, en épaississant les nuages qui l'auveglent

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