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tous les partis il existe des hommes de bonne foi, et plusieurs députés de la Gironde, remarquables par leurs talens et leur philosophie, n'étaient égarés que par la crainte des puissances étrangères et des intrigues de la cour, de la noblesse et du clergé.

Ceux-ci, plus zélés que politiques, croyaient qu'il n'existerait pas de liberté tant qu'on laisserait quelque moyen de résurrection et de vengeance au trône et aux ordres privilégiés; ils pensaient que tous les moyens étaient bons pour soutenir une cause qui leur semblait si juste; et il leur arriva ce qui arrive toujours lorsqu'on emploie des armes si dangereuses : la faction qu'ils secondaient les immola dès qu'elle fut victorieuse, et qu'ils voulurent en arrêter les fureurs.

De toutes parts, à cette époque, les passions opposées aveuglaient les partis. Les émigrés et les étrangers haïssaient également, sans distinction, tout ce qui ne partageait pas leurs ressentimens, leurs vues et leurs espérances, et les patriotes enthousiastes confondaient dans leur méfiance et leur haine les politiques sages, les philosophes éclairés, les amis de l'ordre et de la propriété, avec les partisans de la contre-révolution.

Le club des jacobins alimentait le feu de la

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discorde; une grande partie des sections était fanatisée par leurs discours, et aigrie par les soupçons qu'ils leur inspiraient; la commune de Paris, présidée par Pétion, partageait cette animosité que son devoir était d'éteindre.

La noblesse, aveuglée par son intérêt, croyait que la continuation de ces désordres dégoûterait le peuple d'une liberté si orageuse. Le clergé, alarmant les consciences, se flattait que ses partisans lui rendraient son pouvoir et sa fortune. Les émigrés, ne doutant pas de l'appui désintéressé de tous les rois, ne pouvaient imaginer que des paysans, aidés par des marchands, des subalternes et des légistes, pussent leur opposer la moindre résistance s'ils obtenaient enfin que la guerre fût déclarée. La cour, incertaine, mécontente de tous les partis, environnée de dangers de tout genre, et flottant entre les conseils de toutes les factions, se livrait alternativement à la crainte et à l'espérance; elle perdait le fruit de sa résistance par sa faiblesse, et celui de ses sacrifices par sa versatilité.

Dans cet état d'exaltation de toutes les passions et d'aveuglement de tous les esprits, la raison devait partout être réduite au silence; aussi ne fut-elle nulle part consultée. Jamais l'histoire d'aucun temps ne présenta une plus

étonnante succession de fautes, de folies et de contradictions: chaque parti sembla, dans son délire, déterminé à prendre les moyens les plus propres à l'écarter du but qu'il se proposait. L'assemblée législative, loin de représenter la volonté nationale, et d'entretenir l'enthousiasme par la pureté des principes et la sagesse des lois, se flétrit en protégeant les assassins et les brigands d'Avignon, et en les dérobant à la vengeance salutaire des tribu

naux.

Dans le même temps où une partialité aveugle lui faisait excuser des crimes commis au nom de la révolution, elle se décida, pour prévenir la contre-révolution qu'elle redoutait, à adopter le système absurde et cruel des punitions en masse et des proscriptions de classes; elle donna ainsi, par cette funeste erreur, le signal des atrocités qu'elle n'aurait pas commises, mais qui furent la conséquence inévitable de cette première déviation des règles de l'équité.

Au lieu d'ordonner que les prêtres qui troubleraient l'ordre public, et que les Français qui seraient pris les armes à la main contre leur pays, fussent individuellement punis, elle lança un décret contre tous les prêtres qui n'avaient pas adopté la constitution civile du clergé, et qu'on nomma réfractaires, quoique

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la loi leur eût laissé la liberté de prêter ou de refuser ce serment.

Elle promulgua, au mépris du texte de la constitution, un autre décret contre tous les émigrés, sans distinguer l'âge, le sexe, ni les motifs de leur absence. Le roi fit alors l'essai de sa prérogative constitutionnelle, et refusa de sanctionner ces décrets. Les hommes passionnés des partis extrêmes furent également mécontens de cette résistance du monarque; les démagogues, parce qu'ils la regardaient comme l'effet d'une intention contre-révolutionnaire, et les aristocrates, parce qu'ils voulaient que le roi ne fit aucun acte qui, dans l'opinion publique, constatât sa liberté.

Cependant le désordre et l'effervescence allaient toujours en croissant. Les émigrés s'armaient à Coblentz; leurs amis en France ne déguisaient point leurs espérances; les puissances étrangères intriguaient et prenaient des mesures alarmantes; la cour craignait pour elle les conséquences du zèle imprudent et exagéré que les Français, à l'abri du danger, déployaient au dehors pour la cause royale; en même temps, par une inconséquence qu'expliquent les passions, elle traitait avec distinction les hommes de ce parti, et donnait par-là créance aux accusations des jacobins.

Sa faiblesse augmentait en proportion de ses périls; tous ceux qui auraient voulu constitutionnellement la secourir, savaient qu'on ne pouvait lui faire adopter aucune de ces mesures vigoureuses qui seules peuvent sauver les États dans les crises politiques.

M. de Montmorin quitta le ministère des affaires étrangères; MM. de Ségur et Barthélemy le refusèrent successivement; M. de Lessart, qui l'accepta, éprouva promptement que ce poste n'avait plus d'issue que la fuite ou l'échafaud.

En vain une grande partie des hommes qui s'étaient montrés les plus populaires dans l'assemblée constituante, se réunirent pour soutenir le monarque et la constitution; l'un et l'autre manquaient de force, et le courant révolutionnaire, dont le lit avait été mal nivelé, était devenu si rapide, qu'il entraînait sans peine toutes les faibles digues qu'on voulait si tardivement lui opposer.

Louis XVI, pour prouver que son refus de sanctionner les décrets du corps législatif n'avait été dicté que par des intentions droites et pacifiques, écrivit aux princes français pour les inviter à quitter les armes et à revenir près de lui. Cette démarche, qui ne parut ni sincère aux démocrates, ni libre aux princes, fut

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