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pour traduire de nouveau devant vous un ordre particulier de créanciers publics, comme devant subir, dans leurs créances, cet impôt dont vous discutiez les bases. Or, messieurs, je pense qu'il y a dans cette opinion de grandes erreurs, des erreurs funestes; telles, en un mot, que, pour l'honneur de cette assemblée, de sa morale et de ses principes, on ne peut les dévoiler avec trop de soin.

>> La nation peut être envisagée ici sous deux rapports, qui sont absolument étrangers l'un à l'autre. Comme souveraine, elle règle les impositions, elle les ordonne, et les étend sur tous les sujets de l'empire; comme débitrice, elle a un compte exact à rendre à ses créanciers; et ses obligations à cet égard ne diffèrent point de celles de tout débiteur particulier. Cependant, nous voyons ici qu'on abuse de cette double qualité réunie dans la nation : d'un côté, elle doit; de l'autre, elle impose; il a paru commode et facile qu'elle imposât ce qu'elle doit. Mais il ne s'ensuit pas de ce qu'une chose est à notre portée, de ce qu'elle est aisée à exécuter, qu'elle soit juste et convenable. Souvent même cette facilité ne fait que rendre l'injustice d'autant plus choquante; et c'est précisément le cas dont il s'agit.

» Les rentiers, au lieu de nous confier leurs capitaux, enauraient pu faire toute autre disposition; les destiner à des entreprises, les prêter à des manufacturiers, à des commerçans, les placer dans les fonds étrangers; enfin, les employer de manière

qu'ils n'eussent été exposés à aucune réduction. Mais leurs propriétaires se confient à notre gouveruement; ils mettent leur fortune dans nos mains, à des conditions déterminées; et par cela seul que nous en sommes les dépositaires, on veut que nous profitions de cette circonstance pour en retenir une partie sous le nom d'imposition!

>> Ce n'est pas sous cette réserve, messieurs, que ces capitaux ont été confiés à la nation; je dis la nation, puisque enfin, lors de ces emprunts, le gouvernement était le seul représentant qu'elle eût pour gérer ses affaires, et que la nation s'est chargée ensuite, sans restriction, de toutes les parties de la dette publique. Quand les créanciers ont aliéné leurs fonds dans l'acquisition de rentes, soit viagères, soit perpétuelles, ç'a été sous des conditions qu'ils ont regardées comme inviolables. Or, une de ces premières conditions, c'est qu'en aucun cas, pour aucune cause, il ne serait fait de retenue sur ces rentes. Lisez les lettres patentes de leurs constitutions, vous y verrez cette promesse former une des bases du contrat, et se répéter d'édits en édits. Sans cette condition, ce contrat n'existerait pas; les prêteurs n'auraient pas fait une disposition si casuelle de leurs capitaux ; ou, pour qu'ils l'eussent faite, il aurait fallu leur proposer à d'autres égards de meilleures conditions, qui eussent racheté cet assujettissement à la retenue.

» Il existe à ce sujet un fait remarquable : c'est que la clause générale qui exempte de retenue la

somme prêtée, ayant été omise une ou deux fois lors de la publication des édits d'emprunt, il a fallu la rétablir par un arrêt exprès du conseil pour que l'emprunt ait pu s'effectuer.

»> On vous propose donc d'imposer des rentes, qui n'existent, comme quelqu'un l'a déjà dit, que parce qu'elles ont été déclarées non imposables. Enfin, entre contractans de bonne foi, les engagemens se remplissent selon les termes dans lesquels ils ont été formés; quand l'un des contractans s'y refuse, la loi le force, à moius que ce contractant lui-même ne fasse la loi : alors c'est l'opinion publique qui le juge; et la réputation de tyrannie est la flétrissure qu'elle lui imprime. Ce serait sans doute une chose superflue de vous exposer les vrais principes du crédit public, de vous en retracer et la morale et la politique, de vous montrer que toute sa finesse est dans une administration loyale, toute sa force dans une inviolable fidélité. Mais je ne puis m'empêcher de vous rappeler ici ce que vous disait un jour un honorable membre du clergé, en vous exposant les principes les plus purs sur cette matière. » Quand la justice, disait»>il, l'équité, la bonne foi, ne seraient que de vains » songes, l'honneur national qu'une chimère; quand il n'y aurait de respectable au monde que l'arith» métique et l'argent, il faudrait encore en con>> venir que ceux-là sont de misérables sophistes, qui voudraient épargner quelques millions par >> an, par une réduction de rentes, en y sacrifiant

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>> les incalculables avantages qui résultent du main» tien sévère des engagemens de l'état, et du crédit » indestructible et sans bornes qui en est la suite;» tout est renfermé dans ces paroles.

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» Je n'ignore pas, messieurs, que ce crédit même a ses ennemis systématiques. Nous avons entendu dans cette tribune de brillantes déclamations contre le crédit public. Mais ce n'était là tout au plus qu'un jeu d'esprit, qui n'offrait pas même l'air d'un paradoxe. Que l'on s'élève contre le désordre, par cela même qu'il mine toute confiance, on a raison; mais déclamer contre le crédit en luimême, c'est déclamer contre la bonne conduite, la sagesse, l'économie, la fidélité; puisque ces vertus, dans un gouvernement, sont les premières colonnes du crédit.

» Eh! messieurs, qu'ils seraient bornés dans leurs vues ceux qui s'imagineraient que, dans le système général des choses, notre empire pût à jamais se passer de crédit! La nécessité imprévue de repousser la force par la force, mille établissemens utiles, mille besoins pressans, peuvent exiger, comme un moyen économique, une levée subite de deniers, un emprunt public, soit au dedans, soit au dehors; alors une confiance sans bornes est estimable.

Étendue, facilité, promptitude, économie dans les ressources, en voilà l'effet. Mais, si vous manquez une fois à vos engagemens, si vous prouvez d'une manière éclatante qu'on ne peut plus se fier à votre parole, qu'il n'est aucune manière de transaction,

aucune précaution possible à prendre pour se mettre à l'abri de vos subterfuges, calculez alors, si vous le pouvez, tous les avantages que vous foulez aux pieds à la fois, sans compter même l'honneur national, qui est le premier de ces avantages.

» Mais ceux qui, n'attaquant pas de front les principes, subtilisent avec les mots, font ici une distinction. Ce n'est pas, disent-ils, un retranchement de rentes, une retenue, dont il s'agit; ils avouent que ce serait une banqueroute partielle, une violation de l'engagement national : c'est une simple imposition qu'ils entendent, une taxe levée sur les rentes, comme sur d'autres propriétés. Je dis que cette distinction est des plus frivoles; que ce n'est qu'une vaine subtilité. Imposer une somme quelconque sur les rentes, n'est-ce pas retenir cette somme sur leur paiement? N'est-il pas clair que toute retenue non consentie est une imposition, que toute imposition est une retenue?

>> Mais voici le fait sans réplique, ignoré peutêtre de plusieurs : c'est que la clause d'exemption renfermée dans les édits d'emprunt ne regarde pas seulement une retenue vaguement exprimée, mais l'imposition proprement dite. Il n'y a pas un seul de ces édits, depuis 1770, qui ne porte cette formule les rentes seront exemptes à toujours de toutes impositions généralement quelconques.

»

:

Il est un petit nombre d'édits d'emprunts dans lesquels les rentes qu'ils constituent sont assujetties

à la retenue d'un dixième d'amortissement; mais

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