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qu'une grâce à solliciter de votre bienveillance, ce serait un tribunal.

Mais je ne puis pas douter de votre opinion; et si je me présente ici, c'est pour ne pas manquer une occasion solennelle d'éclaircir des faits que mon profond mépris pour les libelles, et mon insouciance trop grande peut-être pour les bruits calomnieux, ne m'ont jamais permis d'attaquer hors de cette assemblée; qui, cependant, accrédités par la malveillance, pourraient faire rejaillir, sur ceux qui croiront devoir m'absoudre, je ne sais quels soupçons de partialité. Ce que j'ai dédaigné quand il ne s'agissait que de moi, je dois le scruter de près quand on m'attaque au sein de l'assemblée nationale, et comme en faisant partie.

Les éclaircissemens que je vais donner, tout simples qu'ils vous paraîtront sans doute, puisque mes témoins sont dans cette assemblée, et mes argumens dans la série des combinaisons les plus communes, offrent pourtant à mon esprit, je dois le dire, une assez grande difficulté.

Ce n'est pas de réprimer le juste ressentiment qui oppresse mon cœur depuis une année, et que l'on force enfin à s'exhaler. Dans cette affaire le mépris est à côté de la haine; il l'émousse, il l'amortit; et quelle âme assez abjecte pour que l'occasion de pardonner ne lui semble pas une jouissance!

Ce n'est pas même la difficulté de parler des tempêtes d'une juste révolution, sans rappeler que si le trône a des torts à excuser, la clémence na

tionale a eu des complots à mettre en oubli; car puisqu'au sein de l'assemblée le roi est venu adopter notre orageuse révolution, cette volonté magnanime, en faisant disparaître à jamais les apparences déplorables que des conseillers pervers avaient données jusqu'alors au premier citoyen de l'empire, n'a-t-elle pas également effacé les apparences plus fausses que les ennemis du bien public voulaient trouver dans les mouvemens populaires, et que la procédure du Châtelet semble avoir eu pour premier objet de raviver?

Non, la véritable difficulté du sujet est tout entière dans l'histoire même de la procédure; elle est profondément odieuse, cette histoire. Les fastes du crime offrent peu d'exemples d'une scélératesse tout à la fois si éhontée et si malhabile. Le temps le saura; mais ce secret hideux ne peut être révélé aujourd'hui sans produire de grands troubles. Ceux qui ont suscité la procédure du Châtelet ont fait cette horrible combinaison, que si le succès leur échappait, ils trouveraient dans le patriotisme même de celui qu'ils voulaient immoler le garant de leur impunité; ils ont senti que l'esprit public de l'offensé tournerait à sa ruine, ou sauverait l'offenseur...... Il est bien dur de laisser ainsi aux machinateurs une partie du salaire sur lequel ils ont compté! mais la patrie commande ce sacrifice; et certes, elle a droit encore à de plus grands.

Je ne vous parlerai donc que des faits qui me sont purement personnels; je les isolerai de tout

ce qui les environne; je renonce à les éclaircir autrement qu'en eux-mêmes et par eux-mêmes; je renonce, aujourd'hui du moins, à examiner les contradictions de la procédure et ses variantes, ses épisodes et ses obscurités, ses superfluités et ses réticences; les craintes qu'elle a données aux amis de la liberté, et les espérances qu'elle a prodiguées à ses ennemis; son but secret et sa marche apparente, ses succès d'un moment et ses succès dans l'avenir; les frayeurs qu'on a voulu inspirer au trône, peut-être la reconnaissance que l'on a voulu en obtenir. Je n'examinerai pas la conduite, les discours, le silence, les mouvemens, le repos d'aucun acteur de cette grande et tragique scène; je me contenterai de discuter les trois principales imputations qui me sont faites, et de donner le mot d'une énigme dont votre comité a cru devoir garder le secret, mais qu'il est de mon honneur de divulguer.

Si j'étais forcé de saisir l'ensemble de la procédure, lorsqu'il me suffit d'en déchirer quelques lambeaux; s'il me fallait organiser un grand travail pour une facile défense, j'établirais d'abord que, s'agissant contre moi d'une accusation de complicité, et cette prétendue complicité n'étant point relative aux excès individuels qu'on a pu commettre, mais à la cause de ces excès, on doit prouver contre moi qu'il existe un premier moteur dans cette affaire; que le moteur est celui contre lequel la procédure est principalement dirigée, et que je suis

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son complice. Mais comme on n'a point employé contre moi cette marche dans l'accusation, je ne suis pas non plus obligé de la suivre pour me défendre. Il me suffira d'examiner les témoins tels qu'ils sont; les charges, telles qu'on me les oppose; et j'aurai tout dit, lorsque j'aurai discuté trois faits principaux, puisque la triple malignité des accusateurs, des témoins et des juges, n'a pu ni en fournir ni en recueillir davantage.

On m'accuse d'avoir parcouru les rangs du régiment de Flandre le sabre à la main, c'est-à-dire, qu'on m'accuse d'un grand ridicule. Les témoins auraient pu le rendre d'autant plus piquant que, né parmi les patriciens, et cependant député par ceux qu'on appelait alors le tiers-état, je m'étais toujours fait un devoir religieux de porter le costume qui me rappelait l'honneur d'un tel choix. Or, certainement l'allure d'un député en habit noir, en chapeau rond, en cravate et en manteau, se promenant à cinq heures du soir, un sabre nu à la main, dans un régiment, méritait de trouver une place parmi les caricatures d'une telle procédure. J'observe néanmoins qu'on peut bien être ridicule sans cesser d'être innocent. J'observe que l'action de porter un sabre à la main ne serait ni un crime de lèse-majesté, ni un crime de lèse-nation. Ainsi, tout pesé, tout examiné, la déposition de M. Valfond n'a rien de vraiment fâcheux que pour M. Ga-maches, qui se trouve légalement et véhémente

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ment soupçonné d'être fort laid, puisqu'il me ressemble.

Mais voici une preuve plus positive que M. Valfond a au moins la vue basse. J'ai dans cette assemblée un ami intime, et que, malgré cette amitié connue, personne n'osera taxer de déloyauté ni de mensonge, M. Lamarck. J'ai passé l'après-midi tout entière du 5 octobre chez lui, en tête à tête avec lui, les yeux fixés sur des cartes géographiques, à reconnaître des positions alors très-intéressantes pour les provinces belgiques. Ce travail, qui absorbait toute son attention et qui attirait toute la mienne, nous occupa jusqu'au moment où M. Lamarck me conduisit à l'assemblée nationale, d'où il me ramena chez moi.

Mais dans cette soirée il est un fait remarquable sur lequel j'atteste M. Lamarck; c'est qu'ayant à peine employé trois minutes à dire quelques mots sur les circonstances du moment, sur le siége de Versailles, qui devait être fait par les amazones si redoutables dont parle le Châtelet; et considérant la funeste probabilité que des conseillers pervers contraindraient le roi à se rendre à Metz, je lui dis : La dynastie est perdue, si Monsieur ne reste pas, et ne prend pas les rénes du gouvernement. Nous convînmes des moyens d'avoir sur-le-champ une audience du prince, si le départ du roi s'exécutait. C'est ainsi que je commençais mon rôle de complice, et que je me préparais à faire M. d'Orléans

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