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celle que l'assemblée nationale a consacrée, que la nation, que le roi ont adoptée, peut être une couleur suspecte et proscrite. Je prétends que les véritables factieux, les véritables conspirateurs sont ceux qui parlent des préjugés qu'il faut ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage. (On applaudit.)-Non, messieurs, non; leur sotte présomption sera déçue leurs sinistres présages, leurs hurlemens blasphémateurs seront vains: elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales; elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la victoire, mais comme celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans.... Je demande que la mesure générale comprise dans le décret soit adoptée; qu'il soit fait droit sur la proposition de M. Chapelier, concernant les mesures ultérieures, et que les matelots à bord des vaisseaux. le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, au lieu du cri accoutumé et trois fois répété de vive le roi! disent vive la nation, la loi et le roi !

Ce discours fut vivement applaudi. Cependant un membre du côté droit. M. Guillermy, proféra ces paroles: Mirabeau est un scélérat. Cette grossière injure excita l'indignation de l'assemblée. On fit la motion d'arrêter celui qui l'avait proférée. Mirabeau:

Je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

Plusieurs voix : » Nous demandons que M. de Mirabeau » soit rappelé à l'ordre; en l'insultant, on nous a tous in»sultés. » Mirabeau :

Je serais bien fâché de me présenter, en cette occasion, comme accusateur; mais je ne puis, je ne veux consentir à être accusé. Non-seulement mon discours n'était pas incendiaire, mais je soutiens qu'il était de devoir pour moi, dans une insurrection si coupable, de relever l'honneur des couleurs nationales, et de m'opposer à l'infâme il n'y a lieu à délibérer, que l'on osait espérer de notre faiblessse. Je dis, et je tiens à honneur d'avoir dit que demander que l'on ménageât les préjugés sur le renversement desquels est fondée la révolution, que demander qu'on arborât la couleur blanche proscrite par la nation, à la place des couleurs adoptées par elle et par son chef, c'était proclamer la contre-révolution. Je le répète, et je tiens à honneur de le répéter; et malheur à qui parmi ceux qui, comme moi, ont juré de mourir pour la constitution, se sent pressé du besoin de m'en faire un crime! Il a révélé l'execrable secret de son cœur déloyal! Quant à l'injure que m'a faite cet homme traduit devant cette assemblée et soumis à sa justice, cette injure est si vile qu'elle ne peut m'atteindre. J'ai proposé que l'on passât à l'ordre du jour au lieu de s'occuper de sa démence, et peut-être, s'il eût conservé quelque sang-froid, m'aurait-il demandé lui-même pour son avocat. Je ne puis donc être suspecté d'un désir de vengeance

MIRABEAU. TOME III.

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en prenant la parole pour requérir de votre justice un jugement. En réfléchissant à ce qui vient de se passer, j'ai compris qu'il ne convenait pas un représentant de la nation de se laisser aller au premier mouvement d'une fausse générosité, et que sacrifier la portion de respect qui lui est due, comme membre de cette assemblée, ce serait déserter son poste et son devoir. Ainsi, non-seulement je ne propose plus, comme je l'avais fait, de à l'ordre du jour, mais je demande qu'on juge M. Guillermy ou moi; s'il est innocent, je suis coupable, prononcez. Je ne puis que répéter que j'ai tenu un langage dont je m'honore, et je livre au mépris de la nation et de l'histoire ceux qui oseront m'imputer à crime mon discours.

passer

L'assemblée condamna M. Guillermy aux arrêts pour trois jours.

Séance du 24 octobre.

M. de Lavenue fit la motion d'établir une contribution sur les rentes perpétuelles et viagères. Mirabeau était absent; le lendemain, il parut dans le Moniteur une lettre de lui conçue en ces termes :

» OBLIGÉ de prendre les eaux de Baréges, et saisissant pour cela les jours où la discussion me paraît la moins importante, j'étais hier absent de la séance. Jugez, monsieur, de ma surprise en lisant, dans les feuilles du jour, qu'une proposition destructive des plus honorables déclarations de l'assemblée nationale avait été renvoyée au comité

d'imposition pour en rendre compte. J'ai laissé là mes eaux, et j'ai couru à l'assemblée, où j'ai trouvé le fait ainsi rappelé dans le procès verbal.

» Un membre de l'assemblée a demandé que le » comité d'imposition fût chargé de faire, à jour » fixe, un rapport à l'assemblée nationale sur la portion d'imposition que doivent supporter les rentes

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viagères et constituées sur le trésor public; et l'as» semblée a ordonné, en conséquence, que ce rap» port lui serait fait dans la huitaine. »

D

» J'ai demandé à prouver en trois minutes que cette proposition est tout à la fois indécente, répréhensible et destituée de raison.

» Indécente, puisqu'il ne s'agit pas de moins que de démentir et d'effacer nos déclarations les plus solennelles sur la foi publique.

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Répréhensible, en ce qu'elle est insidieuse et subreptice. Avant de savoir si l'assemblée nationale imposera les créanciers de l'état dans la matière même de leurs créances, il faut lui proposer d'expliquer ce qu'elle a entendu, non-seulement lorsqu'elle les a mis sous la sauvegarde de la loyauté française, mais lorsqu'elle a déclaré que, sous aucun prétexte, il ne serait fait de réduction dans la dette publique: on atteste la déclaration des droits de l'homme, que chacun doit payer suivant ses facultés; et moi j'atteste que tout homme a droit de réclamer ce qui lui a été promis librement.

» Destituée de raison sous deux rapports: dans le fait particulier et dans le fait général. Dans le fait

particulier, on propose à la nation d'acheter quelques millions au prix d'une infamie, et en tarissant la riche ressource du crédit public. Dans le fait général, rien de plus absurde que d'imposer les capitaux prêtés à intérêt; c'est l'emprunteur et non le prêteur qui paie l'impôt : comme en général les prêteurs sont les riches, l'impôt retombe sur les pauvres; et comme le pauvre ne peut jamais faire la loi, il faut qu'il supporte l'impôt par les privations les plus tristes pour lui et les plus désastreuses pour la chose publique.

» Tel était le très rapide aperçu des principales raisons pour lesquelles je demandais que, si l'on ne se déterminait pas immédiatement à ensevelir une telle proposition dans l'oubli du mépris, elle fût discutée très-incessamment; et je demandais avec d'autant plus d'instance, qu'il est impossible de choisir un plus malheureux moment pour faire une proposition aussi flétrissante. Elle tend à renouveler toutes les alarmes des étrangers sur nos fonds publics. On sait que nous leur devons des sommes considérables, soit comme prêteurs à nousmêmes, soit comme prêteurs à nos créanciers indigens en sorte que ces alarmes occasioneraient des ventes forcées par la crainte, et ensuite de nouvelles extractions de numéraire, puisque l'on prétend que nous ne pouvons pas payer les étrangers en assignats.

» L'assemblée a cru qu'il fallait attendre pour ouvrir ce débat le jour indiqué au comité d'im

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