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répondit que l'entreprise était dangereuse, qu'il l'exécuterait néanmoins, mais qu'il insistait, avant tout, sur le renvoi de tous les ministres; qu'il était en butte aux trois factions qui divisaient Paris et l'Assemblée; que tous les journaux disaient du mal de lui; qu'on l'avait dépopularisé; que ce n'était que par l'opinion que l'on pouvait retenir quelques fils du gouvernement, qu'ils lui étaient tous échappés ; qu'ainsi il ne pouvait réellement plus être utile; que peut-être même la haine qu'on lui portait nuirait au roi. « Réfléchissez-y, Sire, continua Dumouriez on va dire que les trois ministres qui restent sont des aristocrates, des conspirateurs. J'ajouterai, avec la franchise qui devient un devoir dans des temps aussi difficiles, que Lacoste et moi sommes inébranlables sur la constitution... » La reine montra un peu d'humeur, mais elle reprit bientôt un visage plus serein. « Je connais vos principes, repartit le roi, et je sais qu'il faut que la constitution ait lieu; c'est pour cela que je désire que vous restiez au conseil.-Sire, j'y consens, mais voici mes conditions: sanctionnez les deux décrets, et nommez un secrétaire du conseil, le jour même que vous choisirez vos trois nouveaux ministres. -Cela ne se peut pas, répondit le roi... » La reine se récria beaucoup sur la dureté des conditions. Dumouriez était trop habile pour accepter le ministère sans cette clause essentielle. «Madame, repartit-il, cette démarche est nécessaire à votre sûreté. » Mais s'apercevant de l'extrême répugnance

de la reine, il la conjura d'un ton affectueux de s'occuper du sort du roi, du sort de ses enfans, et de se joindre à lui pour obtenir une sanction absolument nécessaire. Il répéta les raisons qu'il avait employées au conseil, ajoutant que, s'il avait alors jugé la sanction indispensable, elle devenait bien plus indispensable encore au moment où le roi renvoyait trois ministres, coupables envers lui sans doute, mais par cela même plus chers aux girondins; que si le roi, dans cette circonstance, apposait son veto, les trois ministres paraîtraient des victimes de leur patriotisme et de leur zèle pour les intérêts de la nation; qu'il ne répondrait pas que sous quelques jours il n'y eût des événemens qui arracheraient peut-être au roi sa couronne; que, quant à lui, il prévenait Sa Majesté qu'il ne pouvait aller contre ses principes; qu'il pensait réellement, sur les décrets, comme Roland, Servan et Clavières; qu'il l'assurait que Lacoste et Duranton pensaient comme lui; qu'il ignorait ce qu'ils feraient; que dût-il avoir le malheur de lui déplaire, il était forcé de lui déclarer qu'il ne resterait pas au conseil si le roi ne sanctionnait ces deux décrets.

Le roi se fàcha: Dumouriez allait sortir, la reine le rappela. « Pensez, Monsieur, combien il est dur de sanctionner un décret qui amène à Paris vingt mille coquins capables de massacrer le roi. » Dumouriez répliqua qu'il ne fallait pas s'exagérér les craintes; que le décret laissait au pouvoir exécutif la faculté d'indiquer le lieu du rassemblement

de ces vingt mille hommes, qui ne seraient pas des coquins ; que le ministre de la guerre se chargerait de leur donner des officiers et un mode d'organisation; qu'il fallait que ce ministre indiquât Soissons, et nommât un commandant général ferme et sage, avec deux bons maréchaux-de-camp; qu'on formerait ces hommes par bataillons à mesure qu'ils arriveraient, et qu'aussitôt qu'il y aurait quatre ou cinq cents hommes, le ministre profiterait des demandes des généraux et les enverrait à l'une des trois armées; qu'au moyen de ces mesures, ce décret, rendu avec une intention si perfide, au lieu d'être nuisible, tournerait à l'avantage de la chose publique. Mais êtes-vous sûr d'obtenir la permission de faire ce rassemblement à Soissons? --J'en réponds, Sire.-En ce cas, répliqua le roi d'un air plus gai, il faut que vous preniez le ministère de la guerre. » Dumouriez objecta l'immense responsabilité de ce ministère; que les généraux étaient ses ennemis; qu'on lui imputerait leurs fautes mais puisqu'il s'agissait de la sûreté du roi, de celle de son auguste famille, et du maintien de la constitution, il ne balançait pas. « Vous voilà donc, Sire, ajouta Dumouriez, décidé à sanctionner le décret du camp de vingt mille hommes ?-Oui volontiers, si vous êtes ministre de la guerre : : je me fie entièrement à vous.Venons à présent, Sire, au décret sur les prêtres. —Oh! celui-là je ne saurais m'y déterminer. — Sire, vous vous êtes mis vous-même dans la nécessité de le sanctionner,

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en sanctionnant le décret sur la constitution civile du clergé. — J'ai fait une grande faute et je me la reproche. - Sire, si vous ne sanctionnez pas le nouveau décret, cette seconde faute sera bien plus grande; vous mettrez le poignard sur la gorge de ces malheureux prêtres. » La reine se joignit à Dumouriez, et avoua qu'il avait raison. Le roi paraissait extrêmement agité; Dumouriez le pressait vivement, répétant sans cesse que cette sanction était indispensable, que sans elle on ne pouvait rien tenter. Le roi, après avoir montré la plus forte répugnance, promit enfin de sanctionner le décret (1).

Les choses ainsi convenues, Roland, Servan et Clavières reçurent leurs démissions : ils cachèrent leur rage sous un faux semblant de satisfaction affectant de se féliciter avec leurs amis de quitter un ministère où l'on ne pouvait faire le bien, et où l'on avait sans cesse à lutter contre les intentions perfides d'une cour contre-révolutionnaire. Le roi chargea Dumouriez de remplacer les trois ministres que l'on venait de renvoyer. Mourgues (2)

(1) Vie de Dumouriez.

(2) M. Mourgues, qui ne fut ministre que quelques jours, était né à Montpellier. Il y résidait à l'époque de la révolution, dont il embrassa la cause. Avant d'être élevé au ministère, il fut chargé de la direction des travaux du port de Cherbourg, et se fit connaître à Dumouriez, qui le présenta au roi, comme un sujet propre à succéder à Roland au ministère de l'intérieur. M. Mourgues est auteur de plusienrs.

eut l'intérieur, Dumouriez garda les affaires étrangères, en attendant l'arrivée de l'homme (1) auquel il les avait destinées.

Dumouriez était enfin parvenu au terme que lui désignait son ambition, il se voyait premier ministre: mais les girondins étaient furieux contre lui; ils le traitaient d'intrigant, de traître, de conspirateur, le menaçaient de leurs vengeances. La Roland et ses folliculaires le dénonçaient à tous les clubs.

Les trois ministres disgraciés se rendirent à l'Assemblée, et, dans les discours qu'ils tinrent, s'efforcèrent de présenter leur expulsion du ministère comme un crime de lèse-nation. Roland lut sa lettre au roi. L'Assemblée en décréta l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens (2). Dumouriez s'étant ensuite présenté, des huées, des cris confus de trahison, s'élevèrent de toutes parts.

ouvrages politiques estimés. Il a laissé un fils qui a hérité de ses talens, et dont l'active industrie a élevé une très-belle filature de coton à Doulens. (Note des édit.)

(1) Cet homme était M. de Naillac, ministre aux DeuxPonts. Lorsqu'il revint à Paris, il trouva la place prise par M. de Chambonas, nommé quelques jours après, et passa à Gênes, où il resta jusqu'en 1794. M. de Naillac fut décrété d'arrestation par la Convention nationale, comme contrerévolutionnaire; mais il parvint à se soustraire à ce décret. Il servit, dans la suite, sous un autre nom, dans l'armée d'Italie, et se trouva au siége d'Ancône. Depuis il a disparu de la scène politique. (Note des édit.)

(2) Séance du 13 juin.

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