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voir exécutif, mais en effet beaucoup plus dépendans du pouvoir législatif, incertains de celui des deux auquel ils appartenaient, ne furent que spectateurs indifférens de leurs querelles. Quant au roi, garrotté de mille liens, et nul pour la constitution, il excitait également, par son action et son inaction, l'inquiétude et la défiance du peuple qui, se rappelant toujours ce que Louis XVI était autrefois, et craignant qu'il ne pût l'oublier lui-même, soupçonnait sa droiture et ses intentions. Il devait être et il fut le but de mire de tous les partis, et la victime expiatoire qu'il leur fallut immoler à leur propre sûreté.

Les constitutionnels, en subordonnant ainsi les autorités légitimes à leurs folles terreurs, avaient laissé subsister à côté d'elles un pouvoir étranger à la constitution, incompatible avec tout gouvernement, qui ne tarda pas à paralyser, et bientôt après à anéantir les autres pouvoirs. Le club des jacobins de Paris, étendant ses affiliations et ses correspondances dans toutes les parties de l'empire, devint le véritable souverain. Les clubistes composèrent seuls la nation; tous animés d'un même esprit formaient une unité politique : nul sentiment que le sentiment de la liberté la plus indéfinie, nulle règle que la volonté des chefs; nulle qualité pour devenir chef, que l'impudence à se produire, l'audace à tout entreprendre, l'enthousiasme réel ou factice de l'égalité sociale; point de rivalité, point de jalousie. Là chacun était mis à sa véritable place

le sot et l'homme d'esprit, l'homme égaré et le fripon reconnu là chacun avait son lot des honneurs et des dépouilles, comme il avait son lot du crime et de l'infamie. Les chefs, maîtres et régulateurs de l'opinion publique, distribuaient ou retiraient à leur gré la faveur populaire, sans laquelle on n'est rien dans un gouvernement représentatif, et forçaient ainsi l'ambition de chacun de se rallier à l'ambition de tous.

L'Assemblée législative, presque toute formée sous l'influence des clubs, ouvrit ses séances aux acclamations d'une foule de clubistes qui venaient applaudir les choix qu'ils avaient faits. Plusieurs députés étaient animés d'une violente haine contre la cour et contre les constitutionnels. Brissot, Condorcet et Fauchet (1), évêque du Calvados, avaient des vengeances personnelles à exercer. Les trente-trois membres de l'Assemblée constituante, attachés au parti d'Orléans, gouvernaient les jacobins. Tout

(1) « On a prétendu, dit un biographe, que l'évêque Fauchet ayant été nommé prédicateur du roi, Louis XVI, qui avait le jugement très-sain, fut peu édifié de sa manière de prêcher, et fut surtout si fatigué de ses antithèses qu'il en témoigna quelque mécontentement: ce fut ce motif caché, poursuit le même historien, qui fit embrasser avec ardeur à l'abbé Fauchet les principes de la révolution, et vouer à la cour une haine secrète et profonde. » C'est peut-être à ce fait que M. de Ferrières fait allusion, lorsqu'il dit que Fauchet avait des haines personnelles à exercer.

(Note des édit.)

parut d'abord annoncer un respect superstitieux pour la constitution. On chargea les députés, âgés de soixante ans, d'aller quérir, aux archives, l'acte constitutionnel (1): on décréta que chaque député, la main appuyée sur cet évangile politique, prononcerait le serment de s'y conformer et de le défendre au péril de sa vie. L'acte constitutionnel parut précédé des huissiers de l'Assemblée. L'archiviste Camus marchait au milieu des commissaires; les députés, dans le silence du recueillement, se levèrent et se découvrirent. Le président monta le premier à la tribune, les députés suivirent et jurèrent de maintenir la constitution qu'avait décrétée l'Assemblée constituante.

L'Assemblée envoya une députation de soixante membres annoncer au roi qu'elle venait de se constituer Assemblée nationale législative. Cette démarche, prescrite par la constitution, développa le germe de défiance et de rivalité qui existait sourdement entre le roi et l'Assemblée. Le roi répondit qu'il ne pouvait recevoir la députation, et la remit au lendemain. La députation, offensée de ce délai qui semblait indiquer une supériorité de pouvoir, insista pour être admise sur-le-champ. La cour céda : le discours du président fut sec (2). De

(1) Motion de Michon Dumarais, appuyée et amendée par M. de Girardin. Séance du 4 octobre.

(2) Ce discours, prononcé par Ducastel, président de la députation, se bornait à la phrase suivante: « Sire, l'As

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retour à l'Assemblée (1), plusieurs députés se plaignirent de l'outrage fait à la représentation nationale, et s'emportèrent contre la cour et contre les ministres. On parla de fixer l'heure à laquelle le roi serait obligé de recevoir les députations. On décréta que le président, en parlant au roi, ne se servirait plus des termes de sire et de majesté (2); que le roi aurait à l'Assemblée un fauteuil semblable à celui du président et placé sur la même ligne; que chaque député pourrait s'asseoir et se couvrir s'il le jugeait à propos. Quelques membres avancèrent des opinions encore plus exagérées sur la prééminence du pouvoir législatif, et sur la dépendance du pouvoir exécutif; elles furent rejetées, mais elles dévoilèrent aux yeux de tous les vues de la nouvelle législature. Les tribunes applaudirent à ces décrets: quelqu'un ayant sommé le président de leur imposer silence, Garan de Coulon déclara que le président n'avait pas ce droit.

semblée nationale législative est définitivement constituée ; elle nous a députés pour en instruire Votre Majesté.

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Le roi répondit avec le même laconisme : « Je ne puis vous aller voir avant vendredi. » L'Assemblée trouva sa dignité blessée par cette réponse. (Note des édit.) (1) Séance du 5 octobre.

(2) Le décret qui supprime les titres de sire et de majesté fut rendu sur la proposition de Grangeneuve, connu par son fanatisme républicain; mais l'opinion publique, disent les Mémoires du temps, se prononça fortement contre ce décret; et, dès le lendemain, il fut ajourné à huitaine, et depuis rapporté. (Note des édit.)

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Les constitutionnels ne virent qu'avec une sorte d'inquiétude un empiètement si marqué sur le pouvoir exécutif.

Le maire Bailly vint à la tête de la municipalité prêcher aux nouveaux députés l'observation de la constitution, et les assurer que le peuple voulait la maintenir et la défendre au prix de son sang (1).

- Qui refusera d'obéir, Messieurs, lorsque vous avez vous-mêmes obéi; lorsque, par une solennité nationale, vous avez institué la religion du serment? Chez les peuples libres et dignes de l'être, la loi est une divinité, l'obéissance un culte. Les deux pouvoirs sont sagement limités; le peuple désire qu'ils se balancent, mais qu'ils se respectent. Que la confiance descende de cette auguste assemblée et du trône, pour remonter au trône et à vous par un cercle qui sera celui des prospérités publiques. Vous allez tout réunir, tout concilier. La révolution est consommée, le peuple soupire après le repos (2).

(1) Séance du 7 octobre.

(2) Cet extrait du discours prononcé par Bailly, le 7 octobre, à la barre de l'Assemblée législative, n'est pas entièrement exact. Quelques phrases sont altérées, d'autres sont changées de place. L'altération la plus remarquable est celle-ci: au lieu de, Vous avez institué la religion du serment, Bailly avait dit: Vous avez institué la religion de la loi. Il est à croire que M. de Ferrières a rédigé cet extrait d'après les journaux du temps qui, abrégeant les séances, dénaturaient quelquefois les discours. Le Moniteur seul offre à cet égard un caractère authentique. (Note des édit.)

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