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près de l'Assemblée et du roi, une foule d'hommes indisciplines, appelés sous un nom qui exagérait leur patriotisme, et dont le premier ambitieux pourrait profiter; que deux grandes factions divisaient Paris, celle des constitutionnels et celle des girondins; qu'une troisième faction, qui ne jouait à présent que le second rôle, les anéantirait toutes les deux, parce qu'elle était beaucoup plus nombreuse et qu'elle avait des ramifications dans tout le royaume; que sur les vingt mille fédérés, il y aurait dix-neuf mille clubistes jacobins; que, malgré ces inconvéniens (qu'il sentait mieux que personne), le roi ne pouvait refuser de sanctionner le décret, parce que, provoqué avec une malice profonde, débattu avec acharnement, rendu avec enthousiasme, il réunissait l'opinion d'une multitude aveugle, à laquelle on le représentait comme le seul moyen de salut; que si le roi refusait sa sanction, le décret n'en aurait pas moins son exécution; qu'au lieu de vingt mille hommes rassemblés en vertu d'une loi, et qu'il était facile de soumettre à des ordonnances, il arriverait quarante mille hommes qui renverseraient la constitution, l'Assemblée et le trône.

Les ministres, frappés de la vérité de ces réflexions, conjurèrent le roi de ne point apposer son veto. Le roi demanda quelques jours, et ajouta qu'il les instruirait du parti qu'il prendrait ; mais les girondins et les trois ministres préparaient à ce prince un coup encore plus sensible. Profitant des

troubles que ne cessaient d'exciter les prêtres réfractaires dans toutes les parties de la France, et des plaintes continuelles qu'adressaient à l'Assemblée les différentes administrations, ils rendirent un second décret qui ordonnait que, sur la dénonciation de vingt citoyens domiciliés, les prêtres qui avaient refusé de prêter le serment de la constitution civile du clergé, seraient déportés (1). Louis XVI assura que rien au monde ne pouvait l'engager à sanctionner une loi injuste, contraire à ses principes religieux (2). Dumouriez lui observa que ce décret était une suite naturelle du décret qu'il avait lui-même sanctionné le 20 novembre 1790, sur le serment des prêtres; que c'était le seul remède politique que l'on pût apporter aux maux qu'avait occasionés ce premier décret; que ce remède à la vérité était dur, mais qu'il n'était pas cruel; que c'était même une sûreté donnée aux prêtres non-assermentés contre la fureur des persécutions; que bien loin que le veto les sauvât, il leur ôterait le secours d'une loi qui protégeait leurs personnes, et les exposerait à être massacrés; qu'il ferait en même temps des Français

(1) L'auteur intervertit encore ici l'ordre des temps et celui des faits. La proposition de former un camp de vingt mille hommes ne fut faite que le 4 juin, et le second décret sur les prêtres insermentés avait été adopté dès le 19 mai. (Note des édit,)

(2) Vie de Dumouriez.

autant de bourreaux qui ne craindraient pas de se baigner dans le sang des prêtres. Ces observations n'ébranlèrent point Louis; il dissimula, et répondit à Dumouriez qu'il réfléchirait à ce qu'il venait de lui dire. Mais les trois ministres voulaient forcer le roi à se prononcer, par une démarche décisive, contre ce qui paraissait alors le vœu du peuple. Ils insistèrent sur une prompte sanction. Roland lut au conseil (1) une longue lettre que sa femme avait composée à ce sujet (2). Il y entrait dans

(1) Mémoires de madame Roland.

(2) Il y a ici une double erreur. D'abord madame Roland, aux Mémoires de laquelle l'auteur nous renvoie, ne fait aucune mention de la lecture d'une lettre de Roland au conseil. Madame Roland dit seulement qu'il fut question entre les ministres d'écrire collectivement au roi une lettre dans laquelle ils lui exposeraient la nécessité de sanctionner les deux décrets, et lui offriraient leur démission en cas de refus, Cette mesure n'ayant point reçu l'assentiment de tous les ministres, Roland se détermina à une démarche individuelle; il fit rédiger par sa femme une lettre qu'il adressa au roi le 11 juin au matin. Voilà à quoi se réduit le récit de madame Roland. (Voyez ses Mémoires: Notice sur le premier ministère de Roland. )

Au reste, le fait de la lecture de la lettre dans le conseil n'en paraît pas moins véritable, quoique madame Roland ait omis d'en parler. M. Toulongeon le rapporte dans son Histoire de la révolution, et borne à cette phrase la réponse de Louis XVI: « Monsieur Roland, vous me l'avez déjà envoyée. »

La seconde erreur est plus grave. L'analyse que donne M. de Ferrières n'est point celle de la lettre qui fut remise à Louis XVI, et lue ensuite à l'Assemblée législative. (Voyez

les détails les plus injurieux et les plus amers sur la conduite du roi depuis la révolution, lui reprochait sa fuite à Varennes, le traitait de parjure, lui parlait de son confesseur, de ses gardes-ducorps, des imprudences de la reine, des intrigues de la cour, des fréquens courriers qui allaient à Vienne et à Coblentz; le pressait de sanctionner les deux décrets, le menaçait de donner sa démission, et d'avertir le peuple des dangers de la chose publique. Le roi écouta cette suite d'injures et de grossièretés avec une patience admirable; il se contenta de dire à Roland: « Monsieur, Roland, il y

y a a trois jours que vous m'avez envoyé cette lettre, ainsi il était inutile de la lire au conseil; vous étiez convenu qu'elle demeurerait secrète entre nous deux. » Roland voyait la répugnance qu'avait pour lui le roi; il sentait que sa place allait lui échapper: il voulait se faire un mérite auprès des girondins et du peuple de sa retraite forcée, et la présenter comme une suite de ses principes et de son attachement à la constitution.

cette pièce dans les éclaircissemens historiques, tom. Jer des Mémoires de madame Roland (C)). C'est l'analyse d'une autre lettre qui fut soumise aux ministres, et qui ne fut pas envoyée à sa destination. (Voyez cette seconde pièce, tome Ier des Mémoires de madame Roland (B)). C'est dans ce projet d'adresse que Roland parlait au roi de son confesseur, et des imprudences de la reine. La seconde, celle qui fut réellement envoyée, et dont ensuite l'Assemblée décréta l'impression, était beaucoup plus modérée. (Note des édit.)

Le roi, fatigué de ces tracasseries, résolut de renvoyer les trois ministres (1). Il fit venir Dumouriez afin de se concerter avec lui sur les moyens les plus propres à s'en débarrasser. Dumouriez trouva le roi dans sa chambre à coucher, la reine

y

était avec lui. «< Croyez-vous, Monsieur, lui dit cette princesse, que le roi doive supporter plus long-temps les menaces et les insolences de Roland, les fourberies de Servan et de Clavières ? -Non, Madame, je suis moi-même indigné. J'admire la patience du roi (2), et j'ose le supplier de changer entièrement le ministère : qu'il nous renvoie sur-le-champ tous six, et qu'il choisisse des hommes qui ne soient d'aucun parti. — Ce n'est mon intention, reprit le roi, je veux que vous restiez ainsi que Lacoste et le bonhomme Duranton : rendez-moi le service de me débarrasser de trois factieux insolens, ma patience est à bout. »

pas

C'était ce que voulait depuis long-temps Dumouriez : il se voyait, par le renvoi de Roland, maître du ministère. Il feignit cependant d'être très-embarrassé de la proposition que lui faisait le roi, et

(1) D'autres historiens prétendent que ce fut Dumouriez lui-même qui, de son propre mouvement, conseilla au roi de renvoyer ses ministres. Voyez, au reste, dans les éclaircissemens historiques qui suivent le tome Ier des Mémoires de madame Roland, une pièce sous la lettre D, intitulée Détails intéressans sur le changement de ministère, par un témoin des faits. (Note des édit.)

(2) Vie de Dumouriez.

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