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hommes : mais les officiers, trop confians aux protestations de zèle et d'aristocratie que leur faisaient ceux qu'ils enrôlaient, ne s'aperçurent pas qu'il s'était glissé dans ce nombre quelques orléanistes, qui avertissaient le comité de surveillance de tout ce qui se disait et de tout ce qui se faisait.

(1) A cette première contravention à l'acte constitutionnel, les officiers joignaient une conduite imprudente : ils affectaient un air menaçant, lorsqu'ils voyaient passer les ministres et les commissaires de l'Assemblée chargés de porter les décrets à la sanction: ils traitaient avec mépris la garde nationale qui faisait le service du château, ne permettant à leurs soldats de fraterniser qu'avec les bataillons des filles Saint-Thomas et de la place Vendôme, que l'on croyait plus attachés au roi; réveillant, pour tous les autres, de vieilles étiquettes de cour, suscitant mille difficultés sur l'ordre de service, se montrant d'autant plus hautement les ennemis de la constitution, qu'ils voulaient justifier aux yeux des émigrés leur séjour en France, et prouver que ce n'était pas la différence des principes qui les avait empêchés de sortir du royaume, mais la différence des moyens qu'ils avaient adoptés pour opérer la contre-révolution.

Les girondins éclatèrent, l'Assemblée s'alarma Dumouriez communiqua au roi les craintes et des uns et des autres. Il eût été aisé de les calmer en faisant

(1) Vie de Dumouriez.

cesser les causes qui les occasionaient. Louis XVI eût conservé sa garde ce prince ignorait ces intrigues subalternes; et les plaintes, la plupart injustes, que les girondins ne cessaient de faire journellement de sa conduite, l'avaient peu à peu rendu indifférent à toutes les représentations. Il se contenta de répondre à Dumouriez :-Ah! pardi, s'ils soupçonnent le duc de Brissac d'être un chef de conjuration, ils ont grand tort.

De nouvelles imprudences amenèrent de nouveaux sujets de mécontentement: il se répandit, parmi le peuple, que l'on conservait à l'école militaire, où la garde du roi était casernée, un drapeau blanc, qui devait servir à rallier les contre-révolutionnaires le jour destiné à opérer la contre-révolution.

Quelque destitué de fondement que fût ce bruit, les journaux du parti l'accréditèrent; le peuple s'en alarma et se rassembla en foule devant l'école militaire. Le maire Pétion, sous prétexte de prévenir les troubles, envoya deux municipaux faire des recherches dans l'hôtel. Les officiers, sommés au nom de la loi d'ouvrir les portes, refusèrent, et se préparèrent à se mettre en défense si l'on tentait de les forcer; mais leurs soldats les abandonnèrent et se joignirent au peuple, ainsi que cela arrivait dans toutes les occasions où il s'agissait de l'intérêt national: il fallut donc se soumettre et laisser entrer les municipaux. On fouilla partout; on ne trouva point à la vérité le drapeau qui était

l'objet de cette recherche, mais on trouva un petit drapeau blanc, que les officiers assurèrent avoir été placé sur un gâteau qué leur avait donné monsieur le dauphin, on trouva des hymnes, des chansons pour le roi, une grande quantité d'écrits contrerévolutionnaires et injurieux à l'Assemblée.

Un incident vint encore augmenter les soupçons. La fameuse comtesse de La Motte, soit qu'elle espérât se tirer de la misère où elle était justement tombée, soit qu'elle fût incitée par les girondins et par les orléanistes, venait de faire imprimer à Londres de nouveaux mémoires de sa vie (1). Ses

(1) Rien n'est plus singulier que l'histoire de la fameuse comtesse de La Motte, qui obtint une si malheureuse célébrité dans l'affaire du collier. Cette femme, si l'on en croit les Mémoires de l'abbé Georgel et d'autres écrits du temps, descendait de la maison de France par un conte de SaintRemy, bâtard de Henri II. Sa famille avait perdu la fortune et les titres attachés à cette descendance, et était tombée dans une si profonde misère, que madame de La Motte fut, dans son enfance, réduite à demander l'aumône. Elle raconte, dans ses Mémoires, que sa mère la forçait d'aller implorer la charité des passans, et la battait cruellement lorsqu'elle ne rapportait pas une certaine somme dont cette mère dénaturée avait fixé la valeur. Madame de La Motte sortit enfin de cet état d'abjection, grâce aux secours qu'elle reçut de madame de Boulainvilliers, femme du prévôt de Paris, qui se déclara sa protectrice, et qui lui fit recouvrer ses titres et le nom de comtesse de Valois. Une pension, d'abord de 800, ensuite de 1700 livres, lui fut accordée par le gouvernement. Son frère, qui

intrigues avec la reine et avec le cardinal de Rohan, ainsi que toutes les turpitudes de l'ancienne cour,

était matelot, fut fait lieutenant de vaisseau, et prit le nom de baron de Saint-Remy de Valois. Sa sœur, exposée dès son enfance par sa mère à la porte d'un étranger, fut appelée à Paris, et obtint aussi quelques faveurs du ministère. Pour elle, elle épousa un M. de La Motte, d'abord gendarme, et ensuite garde-du-corps de l'un des frères du roi.

Madame de La Motte, née avec un orgueil que sa mauvaise fortune n'avait pu abattre, et, s'il en faut croire plusieurs historiens, portée par son inclination à la galanterie et à la dissipation, ne pouvait se contenter de la modique pension qui lui était accordée. Son mari, qui n'avait point de bien, ne jouissait pas d'une meilleure réputation. Tous deux unissaient le goût de l'intrigue à celui de la dépense; et madame de La Motte, surtout, mettait en jeu tous les ressorts d'une imagination fertile en ressources, pour reconquérir les biens attachés à ses titres, et passés depuis long-temps dans d'autres mains. Elle rencontra par hasard le cardinal Louis de Rohan, et réclama sa protection. Ce prince avait encouru la disgrâce de la reine, et aspirait à rentrer en faveur auprès d'elle; il avait dissipé sa fortune, et voulait également la rétablir: plein d'audace et d'une brillante étourderie, il était aussi très-porté à l'intrigue, et déjà s'était laissé subjuguer par un célèbre charlatan, le comte de Cagliostro. Ce fut pendant son intimité (en 1785) avec madame de La Motte, intimité dont on a jugé diversement la nature, que la scandaleuse affaire du collier fut négociée. On ne sait pas bien encore si véritablement il fut trompé par madame de La Motte, s'il la trompa lui-même, ou s'ils agirent de concert. L'abbé Georgel impute tout le tort de cette affaire à madame de La Motte; mais le témoignage d'un homme attaché par intérêt et par sentiment à la famille de Rohan, n'a point

y étaient dévoilées. La reine craignit la fâcheuse impression que pouvaient faire ces mémoires sur

d'autorité aux yeux de l'historien. Madame de La Motte, de son côté, accuse la reine et le cardinal; mais elle est aussi juge dans sa propre cause. M. Lacretelle jeune, dans son Histoire du dix-huitième siècle, condamne également madame de La Motte comme une femme intrigante et immorale, et le cardinal de Rohan comme un prélat qui méconnut la dignité de son caractère; et peut-être ce jugement est-il le plus juste de tous. Quoi qu'il en soit, le nom de la reine se trouva malheureusement compromis dans ce procès : cette princesse nia toute participation à l'achat du collier; le cardinal fut mis hors de cour par le parlement, et exilé par le roi; Cagliostro fut chassé de France, et madame de La Motte fut condamnée au fouet, à la marque, et à une détention perpétuelle, comme coupable d'avoir escroqué le collier, et de l'avoir vendu à son profit. Son mari, qui s'était évadé, fut condamné par contumace aux galères. Ce procès scandaleux doit être mis au rang des causes qui, en blessant la dignité du trône, contribuèrent le plus à préparer la révolution.

La comtesse de La Motte, après avoir été renfermée à la Salpêtrière, s'échappa si miraculeusement de cette prison, que l'on soupçonna le gouvernement d'avoir facilité son évasion. Son mari avait, dit-on, menacé le ministère, si on ne lui rendait pas sa femme, de publier un Mémoire dans lequel il dévoilerait la conduite de plusieurs grands personnages dans l'affaire du collier. Toutefois cette condescendance du gouvernement, et l'argent qu'il fit passer à madame de La Motte en Angleterre, ne prévinrent que pour un temps l'effet de ses menaces et de celles de son mari. Aussitôt qu'elle fut arrivée à Londres, elle composa ou fit composer un écrit intitulé: Vie de Jeanne Saint-Remy de

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