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était entre le roi et la nation, et qu'il appartenait à la patrie; qu'il devait représenter à la reine que le salut du roi, son propre salut, celui de ses augustes enfans, était attaché à la constitution ; qu'il la servirait mal s'il lui parlait autrement; que le roi et elle étaient entourés de gens qui les sacrifiaient à leurs propres intérêts; que si la constitution était une fois en vigueur, loin de faire le malheur du roi, elle ferait sa félicité et sa gloire ; qu'il fallait que le roi concourût à ce qu'elle s'établît solidement et promptement. La reine, choquée de la hardiesse avec laquelle Dumouriez heurtait si ouvertement son opinion, lui répondit avec beaucoup de vivacité : « Cela ne durera pas ; prenez garde à vous....— Madame, répliqua Dumouriez, qui crut apercevoir dans ces derniers mots un air de menace, j'ai plus de cinquante ans, ma vie a été traversée de beaucoup de périls, j'ai bien senti, en acceptant le ministère, que la responsabilité n'était pas le plus grand de mes dangers... » La reine, frappée de l'idée que paraissai concevoir Dumouriez, étonnée elle-même de sou emportement, s'écria avec un vif sentiment de douleur :

<< Il ne manquait plus que de me calomnier. Quoi! vous pensez que je suis capable de vous faire assassiner?» et des larmes abondantes coulèrent de ses

yeux.

La position affreuse dans laquelle se trouvait cette princesse, semblait justifier sa haine contre la constitution.« Vous me voyez désolée, disait-elle

un jour au roi en présence de Dumouriez, je n'ose pas me mettre à la fenêtre du côté du jardin. Hier au soir, pour respirer l'air, je me suis montrée à la fenêtre du côté de la cour; un canonnier m'a apostrophée d'une injure grossière, en ajoutant:Que j'aurais de plaisir à voir ta tête au bout de ma baïonnette!..... Si je jette les yeux sur cet affreux jardin, ici, c'est un homme, monté sur une chaise, lisant à haute voix des horreurs contre nous; là, un militaire, ou un abbé, que l'on traîne au bassin, en l'accablant de coups et d'injures; d'autres jouent au ballon ou se promènent tranquillement. Quel séjour!...... quel peuple!..... »

La reine n'exagérait point : les orléanistes et les girondins ne cessaient d'exciter la populace contre le roi et contre la reine. On ne les appelait plus que monsieur et madame Veto. Une foule d'orateurs soudoyés déclamaient journellement des libelles que la faction faisait composer. On y traitait les rois d'assassins couronnés. Louis XVI y était représenté comme un Néron, un monstre sanguinaire, ne respirant que le meurtre, le carnage, carnage, voulant introduire en France des troupes étrangères et s'appuyer d'elles dans l'exécution de ses projets. Il cédait, disait-on, l'Alsace et la Lorraine à l'empereur, à condition qu'il l'aiderait à se ressaisir de son autorité et à se venger de ses ennemis. La reine était peinte tantôt sous les couleurs avilissantes d'une Messaline livrée à la plus honteuse dissolution, tantôt comme une furie, ne cherchant qu'à se bai

gner dans le sang des Français. Ces horreurs calomnieuses se criaient dans toutes les rues, se répétaient à la tribune des jacobins, à la barre de l'Assemblée. Si quelque député les dénonçait, et en montrait le but coupable, l'Assemblée passait froidement à l'ordre du jour, ou renvoyait au pouvoir exécutif, qui, composé de girondins, loin d'en réprimer les auteurs, était le premier à les exciter.

En effet Roland commença son ministère par l'établissement (1) d'un journal chargé de balancer l'influence d'un roi dont il était le ministre, et de contrarier les opérations d'un gouvernement qu'il était tenu de mettre en activité : mais pour rendre ce nouveau genre d'attaque plus efficace, on conclut qu'il fallait un journal propre à être placardé sur les murs de Paris, afin que le peuple pût s'y alimenter à toute heure des sentimens haineux dont on voulait le nourrir. Roland et sa femme proposèrent Louvet, auteur du roman de Faublas. Les girondins l'acceptèrent. On n'avait point de fonds: on s'adressa à Dumouriez; il venait d'obtenir, de l'Assemblée, six millions pour dépenses secrètes, et il avait eu l'adresse de faire insérer, dans le décret qui lui livrait cette somme, qu'il ne serait point obligé d'en rendre compte. Les girondins savaient bien que ces

(1) Ce journal s'appelait la Sentinelle. Voir les Mémoires. de madame Roland, notice sur le premier ministère de Roland. (Note des édit.)

six millions seraient employés à l'avancement des affaires du parti, que Dumouriez ne serait qu'un prête-nom. Roland et sa femme engagèrent Pétion à demander trente mille livres par mois, sous prétexte d'entretenir une police plus active, police que les circonstances rendaient nécessaire. Dumouriez, qui songeait dès lors à se rendre maître du conseil, en éloignant Roland et les autres ministres qui pouvaient contrarier ses projets ambitieux, parla au roi de la demande de Pétion. Louis XVI connaissait Pétion, il répondit à Dumouriez :-Pétion est mon ennemi, vous verrez qu'il emploîra cet argent à payer des écrits contre moi; cependant si vous le croyez utile, accordez-le..... Cette demande fit croire qu'il serait possible de ramener Pétion à des sentimens plus favorables au roi. On résolut de le sonder et de lui proposer la libre disposition de trois millions, pourvu qu'il promît de s'en servir à réprimer les factieux et à soutenir l'autorité constitutionnelle de Louis XVI (1). Ce prince, s'efforçant de vaincre la répugnance qu'il sentait pour cet homme, le manda, sous un léger prétexte, au château. Pétion trouva le roi dans son cabinet; il était seul. Louis XVI le reçut avec affabilité, et n'oublia aucune de ces petites cajoleries que les grands savent employer si à propos, lorsqu'ils ont des desseins sur quelqu'un; le léger bruit, derrière la tapisserie, du frottement d'une

(1) Mémoires de madame Roland.

étoffe de soie, apprit à Pétion qu'il existait un témoin de cette entrevue; il jugea que c'était la reine, et, concevant de justes soupçons sur la sincérité de la démarche que l'on faisait auprès de lui, il refusa les trois millions.

Les négociations continuaient toujours; mais la cour de Vienne, loin de faciliter le rapprochement des parties intéressées, s'opposait à ce que les princes possessionnés, d'Alsace et de Lorraine, consentissent à recevoir les indemnités que leur offrait la France, les menaçant de faire casser par la diète de Ratisbonne les traités particuliers qu'ils contracteraient à cet égard. Les électeurs de Trèves, de Cologne et de Mayence, de concert avec l'empereur, favorisaient hautement les levées de soldats que faisaient les princes français, et payaient même des subsides pour leur entretien. Ils réfusaient de reconnaître les ambassadeurs de la France, quoique ces ambassadeurs négociassent au nom du roi, tandis qu'ils reconnaissaient publiquement les plénipotentiaires des princes, quoique ces plénipotentiaires n'eussent qu'un caractère secret. Tous affectaient de voir dans les princes le véritable gouvernement français et l'unique représentation de la monarchie. On parlait même d'assembler un congrès à Aix-la-Chapelle, qui opérerait sur la France, comme les cours de Berlin et de La Haye avaient opéré sur la Hollande, lors de sa révolution. Dumouriez pressait vivement la cour de Vienne de s'expliquer : c'étaient des lenteurs affectées. Il

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