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Paris, même après avoir donné sa démission avant d'avoir rendu ses comptes; et comme c'était devant l'Assemblée que se rendaient les comptes des ministres, les girondins se trouvaient les maîtres d'en retarder l'épuration à leur gré, et de retenir les ministres qui leur déplaisaient à portée d'être attaqués sur leur gestion et traduits à la haute-cour.

Les girondins profitèrent de la terreur qu'avait répandue le décret d'accusation contre Delessart, pour composer un ministère entièrement dans leurs principes. On persuada à Louis XVI que c'était l'unique moyen de regagner la confiance publique (1). La certitude où il était que l'on ne lui souffrirait aucun ministre qui fût dans des sentimens contraires, l'engagea à prendre ceux que les girondins voulurent lui donner. Dumouriez eut les affaires étrangères, Roland l'intérieur, Duranton la justice, Clavière les finances (2). Ce nouveau

(1) Prudhomme prétend que ce furent Vergniaux et Gensonné qui traitèrent avec la cour pour lui faire adopter des ministres de leur choix. Cette opinion se rapproche de celle de M. de Ferrières. (Note des édit.)

(2) Nous ne dirons rien du général Dumouriez, ni de Roland; les Mémoires de madame Roland, déjà publiés, et ceux de Dumouriez, que nous publierons incessamment, les font suffisamment connaître. Duranton était un ancien avocat de Bordeaux. On l'a peint généralement, dit un biographe, comme un homme lourd, paresseux, vain, parleur timide et borné. Clavière était né à Genève en 1735; il avait, en 1782, pris un parti actif dans les révolutions de sa patrie, et en avait

ministère, formé d'hommes inconnus, parut trèsridicule aux courtisans. On l'appela, par dérision le ministère sans-culotte.

Roland ressemblait à un quaker endimanché : des cheveux plats et blancs, très-peu de poudre, un habit noir, des souliers avec des cordons. La première fois que Roland parut au conseil avec cet accoutrement, le maître des cérémonies, effrayé de ce renversement de l'étiquette, s'approcha de Dumouriez d'un air inquiet, le sourcil froncé, la voix basse, contrainte, et lui montrant Roland du coin de l'œil : -Eh! Monsieur, point de boucles à ses souliers!-Oh! Monsieur, répondit Dumouriez avec un grand sang-froid, tout est perdu (1),

Dumouriez alla rendre hommage de sa nomination au club des jacobins. Il y parut, à la tribune, coiffé d'un bonnet rouge, signe alors du parti girondiste et républicain. Le roi s'efforçait de dissimuler le dégoût que lui inspiraient les nouveaux ministres. Il les traitait avec bonté, leur témoi gnait même cet intérêt flatteur dont les grands savent se faire un mérite auprès de leurs infé

été déporté après s'être emparé quelque temps du gouvernement. Necker l'attira en France, en 1789; et, s'il en faut croire le Moniteur du 29 mars 1790, il fit partie de dix-neuf Génevois, accueillis en France, qui furent les premiers fondateurs de la société des jacobins. Ce fut en mars 1792 que Louis XVI nomma Clavière ministre. (Note des édit.)

(1) Vie de Dumouriez.

rieurs; mais ne pouvant prendre aucune confiance dans un ministère composé d'hommes dévoués à ses ennemis, et qui leur rapportaient fidèlement tout ce qui se disait et tout ce qui se faisait au conseil, il affectait de ne donner aucune attention aux affaires (1). I lisait la gazette, parlait, en bon homme, de l'état des choses, protestait à tout propos, avec l'accent de la franchise, de son attachement à la constitution, et du désir qu'il avait de la voir solidement établie. Lui présentait-on un décret à sanctionner, il remettait au conseil suivant : il y venait avec une opinion arrêtée qu'il cachait avec soin, laissant discuter ses ministres, et paraissant ne se décider que d'après le vœu de la majorité.

Quant aux grandes questions politiques, il les éludait avec beaucoup d'adresse, en détournant l'attention sur des objets différens ou sur des sujets personnels à chacun de ses ministres. Parlait-on de guerre, il parlait de voyages. Voulait-on s'occuper des intérêts de la France avec les puissances étrangères, il citait quelques usages peu connus, des pays qui étaient l'objet de la discussion, ou faisait des questions sur les localités, sur les mœurs. Si l'on examinait l'état de l'intérieur, il appuyait sur quelques détails d'agriculture et de commerce. Il entretenait Roland de ses ouvrages (2), deman

(1) Mémoires de madame Roland.

(2) Voici les titres des ouvrages de Roland:

1o. Mémoire sur l'éducation des troupeaux et la culture des

dait à Dumouriez des anecdotes. Cet homme intrigant, adroit et plein d'esprit, l'amusait des contes les plus extravagans, qu'il entremêlait quelquefois de vérités hardies: Roland et Duranton malgré toute leur gravité, étaient forcés d'en rire (1). Les séances du conseil semblaient plus des causeries de société, que des délibérations d'hommes chargés du gouvernement d'un grand empire. Je ne saurais m'empêcher de remarquer à ce sujet que Louis XVI n'était point l'homme qu'une foule d'écrits, soudoyés par ses ennemis, ne cessaient de représenter au peuple comme un imbécille indigne du trône. Il avait beaucoup de mémoire et beaucoup d'activité, il n'était jamais oisif, il avait lu avec fruit, il connaissait bien les intérêts de la France et tous les traités contractés

laines, 1779 et 1783; 2o l'Art de l'imprimeur d'étoffes en laine, du fabricant du velours de coton, etc., 1780, 1783 ( ce grand travail se trouve compris dans le Recueil des arts et métiers publié par l'académie des sciences); 3° Lettres écrites de Suisse, d'Italie, de Sicile et de Malte, 1782, 6 volumes in-12, réimprimées en 1800; 4° Dictionnaire des manufactures et des arts qui en dépendent, 3 volumes in-4° (ce dictionnaire fait partie de l'Encyclopédie méthodique); 5° une foule de lettres, d'opuscules, de rapports et de comptes rendus pendant sa gestion dans les affaires publiques. Tous ces ouvrages sont fort savans, et la plupart sont écrits dans des vues utiles. (Note des édit.).

(1) Voyez les Mémoires de madame Roland, tome 1er, vers la fin; notice intitulée Premier ministère de Roland.

entre elle et les puissances étrangères; il savait l'histoire, c'était le meilleur géographe de son royaume. Il avait présens à l'esprit les noms de la plupart des personnes qui avaient quelques relations avec lui, et les appliquait à propos aux visages de ceux auxquels ils appartenaient : il n'ignorait même aucune des anecdotes qui leur étaient personnelles. Il étendait ce genre de connaissance à tous ceux qui s'étaient montrés dans la révolution : on ne pouvait lui présenter un sujet pour une place quelconque, qu'il n'eût d'avance un jugement formé sur lui, jugement qui tenait toujours à quelques faits.

la

(1) La reine, haute, impérieuse, ne savait pas se prêter à cette dissimulation nécessaire : elle cher chait plus à intimider les nouveaux ministres par des menaces, qu'à les gagner par des dehors affectueux.... Elle dit un jour à Dumouriez, d'un ton de colère et le visage enflammé: -« Monsieur, vous êtes tout-puissant en ce moment, mais c'est par faveur du peuple qui brise bien vite ses idoles ; votre existence dépend de votre conduite... On dit que vous avez des talens, vous devez juger que le roi et moi ne pouvons souffrir ces nouveautés ni la constitution je vous le déclare franchement: prenez votre parti. » Dumouriez répondit qu'il était désolé de la pénible confidence que la reine venait de lui faire; qu'il ne la trahirait pas, mais qu'il

(1) Vie de Dumouriez.

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