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courait la même carrière. Le ministère, à l'aide de ces manœuvres, sans cesse renouvelé, se composant et se décomposant chaque mois, il en résultait une non-action qu'on attribuait à des intentions perfides de la cour.

Les ministres essayèrent de se défendre, et dans cette vue affectèrent de rechercher les anciens membres de l'Assemblée constituante, fondateurs du club des feuillans, et les membres de l'Assemblée législative qui étaient dans les mêmes principes, espérant les opposer aux girondins, diviser l'Assemblée, et ramener l'opinion publique en leur faveur. Mais cela était impossible. Le peuple, disposé à regarder les girondins comme les vrais soutiens de ses droits, ne balançait pas un instani lorsqu'il les voyait en contradiction avec le roi ou avec les ministres. D'ailleurs les membres les plus probes de l'Assemblée, les mieux disposés en faveur du gouvernement, étaient persuadés que ce n'était pas seulement aux girondins qu'en voulait la cour, qu'elle en voulait encore davantage à la constitution. Et puis les ministres ne mirent aucune bonne foi dans cette réunion; leurs journaux continuaient à déchirer les constitutionnels, à déclamer contre la constitution, à effrayer le peuple des préparatifs des puissances étrangères. Cependant les girondins s'alarmèrent d'un accord qui, malgré son peu de sincérité, quant au but auquel tendait séparément chaque parti, n'en avait pas moins pour base le dessein formel de les perdre.

Ils résolurent de dissoudre le club des feuillans avant qu'il eût acquis plus de consistance. Merlin de Thionville se chargea de l'exécution. Les jacobins commencèrent l'attaque; Merlin se mêla parmi eux, insulta la sentinelle, et courut dénoncer à l'Assemblée le trouble dont il était l'auteur (1). Les girondins s'emportèrent contre l'indécence de voir sous les yeux du Corps législatif, et jusque dans son enceinte, un club qui devenait une cause de division entre les citoyens. Un décret ordonna qu'il serait fermé.

Les girondins, débarrassés de cet obstacle, suivirent avec activité leurs projets contre les ministres. Ceux-ci, par leurs indiscrètes querelles, leur fournirent les armes dont ils avaient besoin. Les ministres intriguaient pour se supplanter comme dans les temps les plus tranquilles de la monarchie. Bertrand de Molleville, ministre de la marine, était l'ennemi déclaré de Narbonne, ministre de la

(1) Voici comment Merlin de Thionville raconte ce fait ; << Je sortais avec M. de Grangeneuve pour me rendre au comité de surveillance, lorsqu'au passage que l'on appelle le Chœur des Feuillans, j'ai trouvé, je ne sais si ce sont des sbires ou des janissaires...; ils m'ont arrêté, ont déchiré mon habit. C'est la garde nationale qui m'a sauvé des mauvais traitemens dont j'aurais peut-être été victime... J'ai demandé si j'étais dans le sanctuaire des droits de l'homme et du citoyen; et, tandis qu'on m'assurait que oui, une multitude effrénée tombait sur moi, et m'arrachait du Chœur des Feuillans... » Séance du 26 décembre 1791. (Note des édit,)

guerre. Le roi renvoya Narbonne, que l'on croyait très-constitutionnel parce qu'il avait le bon esprit de ménager les girondins ; et bientôt après, il fut obligé de sacrifier Bertrand aux murmures qu'avait occasionés le renvoi de Narbonne. Les girondins ne prirent point le change ils attribuaient avec raison la disgrace de Narbonne à Delessart, créature de Necker et leur ennemi personnel. Delessart avait eu l'imprudence de se charger du ministère des affaires étrangères; ministère dans tous les temps fort au-dessus de sa capacité, et que les circonstances rendaient plus difficile. On continuait à négocier à la cour de Vienne, mais avec une lenteur, une insouciance, qui semblaient annoncer peu de bonne volonté et encore moins de bonne foi. Les girondins se plaignaient avec raison du peu de dignité que Delessart mettait dans cette négociation, lui reprochant d'avilir la majesté nationale, et de se laisser ballotter par le conseil de l'empereur. Delessart, entièrement occupé de ses démêlés avec Brissot, et de sa haine contre les jacobins, ne parlait, dans toutes ses dépêches, que de leurs intrigues, ne cessant de les représenter comme la principale cause des maux de la France, et paraissant bien plus implorer le secours de l'empereur contre cette faction, que soutenir les intérêts de la France, et demander satisfaction des justes plaintes que la protection ouverte que l'empereur accordait aux émigrés, et sa position hostile envers la France, le mettaient

en droit d'exiger. Cette façon petite et mesquine de traiter, n'était pas propre à donner au cabinet de Vienne une idée avantageuse de la situation où se trouvait la France. Aussi le conseil de l'empereur ne se prêtait-il que par un reste d'égards à des négociations soutenues de si faibles moyens. Brissot profita du mécontentement général qu'excitait la conduite pusillanime de Delessart : il demanda que le ministre des affaires étrangères vint rendre compte de l'état des négociations avec l'empereur. Delessart parut à la barre : il lut les pièces officielles de sa correspondance avec le marquis de Noailles, notre ambassadeur (1). Ses réponses étaient si plates, qu'il n'y eut qu'un cri contre lui. Les girondins le couvrirent de huées, les constitutionnels l'abandonnèrent. Brissot prononça un long discours rempli de déclamations vagues et de faits non prouvés, et conclut au décret d'accusation (2). On était si prévenu contre Delessart, qu'Aubert du Bayet crut devoir sé justifier d'entreprendre sa défense. La plus grande partialité régna dans la discussion. Quelques députés s'écrièrent qu'il n'était pas besoin d'examen; qu'il fallait décréter Delessart d'arrestation, et poser le scellé sur ses papiers. Cet avis fut suivi Delessart alla rejoindre à Orléans Varnier, Delastre, et les autres prisonniers que les girondins y avaient envoyés.

(1) Séance du 30 février 1792.

(2) Séance du 10 mars.

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Le maire Pétion vint le lendemain à la tête de la municipalité féliciter l'Assemblée de ce grand acte de justice. Lorsque l'atmosphère qui nous environne, dit-il en renforçant sa voix, est chargée de vapeurs malfaisantes, la nature ne se dégage que par les éclats de la foudre : de même la société ne purge l'excès des maux qui l'accablent, que par des explosions salutaires. L'éponge des siècles, ajouta le nommé Gauchon, orateur banal du faubourg Saint-Antoine, peut effacer du livre de la loi le chapitre de la royauté; mais le titre de l'Assemblée nationale et de l'unité du Corps législatif sera toujours intact.... Oui, Messieurs, les courtisans, les ministres, les rois, leurs listes civiles passeront; les droits de l'homme, la souveraineté du peuple et les piques ne passeront jamais (1).

Les ministres de la justice et des finances, avertis par l'exemple de Delessart, donnèrent leur démission. Les girondins qui les haïssaient ne se contentèrent pas de cet acte de complaisance. Ils firent décréter qu'aucun ministre ne pourrait quitter

(1) Il y a ici une erreur singulière. Le discours de Pétion fut bien prononcé le lendemain du décret d'arrestation de Delessart; mais l'adresse de l'orateur du faubourg Saint-Antoine, Gauchon ou plutôt Gonchon, suivant le Moniteur, fut présentée dans la séance du mardi 6 mars, c'est-à-dire quatre jours avant le décret d'accusation. Cette adresse ne concernait aucun ministre en particulier. Elle invitait l'Assemblée à surveiller le pouvoir exécutif, et à s'occuper de subsistances. (Note des édit.)

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