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» bientôt fui jusqu'à Paris, où les mécontens, qui » sont en grand nombre, les étrilleront, pendant » que l'armée des princes soumettra nos provinces, >> qui sont toutes prêtes à rentrer sous la protection » du roi. L'Assemblée nationale est dans le plus >> grand discrédit; elle n'attendrait pas, pour se >> dissoudre, qu'on la chassåt. Vous voyez que nous » serons bientôt les maîtres : je ne vous demande >> pas de discrétion, vous y êtes aussi intéressé que » moi. Je suis pour la vie votre ami. VARNIER (1). »

J'aurais pu, continua Bazire, faire de cette lettre un tout autre usage, et la remettre à des officiers de justice; l'instruction eût été lente, mystérieuse. Publier ces manoeuvres, c'est les déjouer. Je dépose donc cette lettre sur le bureau; mais comme il n'est plus possible de douter que les ennemis de la constitution ne forment des projets extravagans, je demande l'établissement d'un comité de surveillance, chargé de recevoir les renseignemens qui lui seront fournis tant par les députés que par les citoyens.

Goujon observa qu'il croyait nécessaire que Bazire déclarât à l'Assemblée quelle voie il avait employée pour se procurer la lettre dont il venait de donner la lecture. Bazire répondit qu'il n'avait pas besoin de dire par quelle voie il était parvenu à

(1) Cet extrait de la lettre de Varnier, n'est pas textuellement exact. Toutefois il n'y a point dans le sens d'altération notable. (Note des édit.)

se procurer cette lettre ; qu'il en déposait l'original sur le bureau, qu'elle était signée de Varnier. Lacroix demande que l'on décrète Varnier d'arrestation (1). L'Assemblée décrète la proposition de Lacroix. Tandis que les gendarmes vont mettre à exécution ce décret, les girondins, qui sentent l'importance de l'occasion, insistent pour que l'on joigne le décret d'accusation au décret d'arrestation. Quelques députés remarquent que le délit n'est pas prouvé; que Bazire n'a pas affirmé que la lettre qu'il a lue est réellement de Varnier. Bazire l'affirme. Le décret d'accusation est porté. Ce dernier décret est à peine rendu qu'on annonce Varnier. On l'introduit. Le président l'interroge, il répond d'une manière vague. On l'emmène. Gensonné représente qu'il n'y a pas un moment à perdre, qu'il faut que l'archiviste fasse dans le jour la liste du haut-jury; que le comité de législation rédige un projet de convocation de la HauteCour; que l'on tire au sort les quatre membres du tribunal de cassation qui doivent exercer les fonctions de grands juges, et que l'Assemblée nomme sur-le-champ les deux membres qui rempliront celle de procurateurs généraux. Ces propositions sont adoptées; et pour donner plus de consistance au prétendu complot de Varnier, on lança un

(1) Suivant le Moniteur, cette proposition fut faite par Lagrévol.

(Note des édit.)

second décret d'accusation contre Noirot de Pontarlier et contre Tardy.

L'Assemblée, surprise elle-même de la légèreté avec laquelle on venait de mettre trois citoyens en état d'accusation, exigea quelques renseignemens sur la manière dont Bazire s'était procuré la lettre qui avait servi de base à cette accusation. Bazire répondit qu'un nommé Volon, serrurier de Dijon, avait pris cette lettre sur la table même de Noirot de Pontarlier à qui elle était adressée; que c'était ce Volon qui la lui avait envoyée. Il arriva malheureusement que Volon, instruit du rôle odieux qu'on lui faisait jouer dans cette affaire, déclara, par un acte authentique, non-seulement qu'il n'avait point envoyé la lettre de Varnier, mais qu'il n'avait jamais entretenu de correspondance avec Bazire. L'infamie de Bazire devint publique; il n'était pas homme à en rougir, et les girondins, qui n'avaient calculé en tout ceci qu'un moyen de former leur Haute-Cour nationale, forcèrent l'Assemblée de fermer les yeux sur cette atrocité. On livra bientôt une nouvelle victime à la Haute-Cour (1); on accusa Delastre, vieillard de quatre-vingts ans, d'avoir envoyé son fils à Coblentz. Une lettre de recommandation à monsieur de Calonne (2), sur

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(1) Cette accusation fut portée par Merlin de Thionville. Séance du 24 novembre au soir. (Note des édit.)'' (2) Selon le Moniteur, M. de Calonne prenait alors le titre de conseiller d'État à Coblentz. (Note des édit.)

prise par les voies ordinaires de trahison qu'employaient les girondins, servit de preuve; et, quoique Delastre fils n'eût pas quitté le royaume, on n'en décréta pas moins Delastre le père d'accusation. Les prisons d'Orléans ne tardèrent pas à se remplir. Les nommés Gauthier, Marc et Malvoisin (1), vinrent y joindre Delastre et Varnier. Ce n'étaient que des victimes communes ; les girondins en préparaient de plus relevées : en attendant, ils décrétèrent d'accusation Monsieur, frère du roi, Monsieur le comte d'Artois, le prince de Condé, les ducs de Bourbon, d'Enghien, MM. de Calonne, de Laqueille, de Mirabeau (2); mais leur principal objet était de paralyser le ministère et de le mettre entièrement dans leur dépendance. Les ministres

(1) M. Gauthier, ci-devant garde-du-corps du roi; M. Malvoisin, lieutenant-colonel de dragons; M. Marc fils, chantre à Toul, étaient accusés d'embauchage pour l'armée royale des princes. (Note des édit.)

(2) Ce décret d'accusation fut rendu sur le rapport de Grangeneuve, au nom du comité de surveillance. Combattu par un grand nombre d'orateurs, il était conçu en ces termes, dictés par la violence des opinions du moment :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il y a lieu à accusation contre Louis-Stanislas-Xavier, Charles-Philippe et Louis-Joseph, princes français; M. Calonne, ci-devant coutrôleur-général; M. Laqueille l'aîné, et Grégoire Riquetti, tous les deux ci-devant députés à l'Assemblée constituante, comme prévenus d'attentats et de conspiration contre la sûreté générale de l'État, et la Constitution. » Séance du I janvier 1792. (Note des édit.)

en général, et chaque ministre en particulier, devinrent donc le sujet des dénonciations des girondins et des insultes des sociétés populaires. On voulait tellement faire tirailler toutes les parties du gouvernement, que le perpétuel combat qui résulterait de ce choc continuel entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, montrant au peuple leur incompatibilité, le forçât à renverser une division qui mettait un terme à l'ambition et à la cupidité des chefs.

La manière de dénoncer un ministre était simple. Arrivait une adresse, ou même une simple lettre des administrateurs d'un département, d'un district, d'une municipalité : on se plaignait du ministre; on lui reprochait sa négligence, sa connivence avec les ennemis de l'Etat. Aussitôt un membre de l'Assemblée montait à la tribune, dénonçait le ministre. Les tribunes, remplies d'une foule d'hommes soudoyés, applaudissaient le dénonciateur, huaient les députés qui tentaient de défendre le ministre. La dénonciation était-elle éludée par un renvoi à l'ordre du jour, arrivait une seconde adresse ou une seconde lettre qui enchérissait sur les premières plaintes : suivait à l'instant même une seconde dénonciation plus chargée de faits; et ainsi, en se succédant sans interruption, jusqu'à ce que le ministre fatigué donnât sa démission, ou que, si plus tenace il s'obstinait maladroitement à garder sa place, un bon acte d'accusation en débarrassât l'Assemblée. Son successeur par

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