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parce qu'ils voulaient la constitution, toute la constitution, rien que la constitution; les girondins, portant plus loin leurs vues, s'aperçurent que ces intrigues de la cour et des ministres retomberaient sur la constitution elle-même; qu'il leur serait facile de montrer au peuple qu'une constitution qui fournissait, au pouvoir qu'elle avait créé pour la protéger, tant d'armes pour la détruire, était vicieuse dans ses bases.

Une guerre ouverte éclata bientôt entre les ministres et l'Assemblée. On reprocha au ministre de la guerre que les soixante-sept mille fusils qu'avait décrétés l'Assemblée constituante, n'étaient pas encore fabriqués; que les régimens de ligne étaient incomplets et réduits à moitié; que tous les officiers étaient absens de leurs corps; qu'ils n'en recevaient pas moins leurs appointemens. Montmorin, prévoyant les suites de cette mésintelligence et les nombreux désagrémens qui allaient environner la place de ministre, avait donné sa démission. Il n'ignorait point la haine que lui portaient Brissot et Condorcet. Il n'était pas plus aimé des purs royalistes; ils ne lui pardonnaient point ses liaisons avec Necker, et son opiniâtreté à garder le ministère dans un temps où, selon eux, les véritables amis du monarque et de la monarchie ne devaient prendre aucune part à une constitution qui avait renversé le trône et l'autel. Montmorin était cependant réellement attaché au roi. Ce motif, bien plus que le désir de posséder une

place qui l'exposait chaque jour à de nouvelles dénonciations, l'avait engagé de conserver le ministère des affaires étrangères : il espérait, à l'aide d'une politique temporisante, et de la bienveillance que les puissances étrangères portaient au roi, amener les choses à un accommodement, où le monarque et la nation trouveraient également leur avantage.

Il semblait que, d'après l'entière organisation du pouvoir exécutif, l'Assemblée n'eût pas dû établir des comités relatifs à l'expédition des affaires de chaque département du ministère; qu'elle eût dû se contenter de deux comités : l'un des finances chargé d'examiner les comptes et de fixer les dépenses; l'autre de législation, chargé de rédiger un code de lois conformes à la constitution. C'était la seule manière, en laissant au roi et aux ministres l'autorité que leur déléguait la constitution, de faire marcher le gouvernement, et de connaître avec quelque certitude si les différens rouages qui le composaient pouvaient s'engrainer les uns dans les autres et tendre au même but: mais l'établissement des comités devenait, entre les mains de l'Assemblée, un grand moyen de puissance; elle n'était pas disposée à s'en dessaisir. Parmi ces comités, il en était un également odieux à tous les partis, c'était le comité de surveillance. Il fallait un prétexte qui en démontrât en quelque sorte la nécessité. Un événement arrivé à Caen le fournit. Il venait de s'élever dans cette ville des troubles

qui menaçaient la tranquillité publique. Un prêtre et une messe semblaient les avoir occasionés (1). Un secret complot de quelques mécontens, lié aux intrigues des émigrés de la province, en était la véritable cause. L'entreprise, ainsi que celles que l'on avait tentées jusque-là, fut mal combinée et échoua. Les girondins demandèrent la formation de la haute-cour nationale. Bazire représenta la nécessité de créer un comité de surveillance, qui s'occupât des dénonciations qui arrivaient chaque jour de toutes les parties de l'empire (2). Les cons

(1) Il est ici question d'une insurrection qui eut lieu à Caen le 5 novembre 1791, et qui fut occasionée par une circons tance particulière. L'abbé Bunel, prêtre insermenté, devait célébrer ce jour-là une messe dans une des églises de Caen. Une foule de royalistes s'étant concertés pour s'y rendre, le gouvernement, instruit de ce projet, défendit la cérémonie. L'abbé Banel eut la prudence de ne point aller à l'église; mais la foule qui s'amassait à chaque instant se porta aux plus graves excès. Des meurtres furent commis, et l'Assemblée nationale, informée par le département, crut devoir sévir contre les auteurs de ces désordres.

(Note des édit.)

(2) L'insurrection de Caen fut dénoncée à l'Assemblée nationale le 11 novembre : plusieurs membres réclamèrent de suite la convocation de la Haute-Cour nationale, mais ce ne fat que le lendemain, après sa dénonciation contre Varnier, que Bazire proposa la création d'un comité de surveillance. Cette proposition ne fut pas adoptée, elle ne fut admise que treize jours après, à la séance qui suivit la mise en accusation de Delastre, et dans laquelle un membre dénonça des complots dont il accusait le cardinal de Rohan. Le comité de sur

titutionnels répondirent que l'on ne pouvait appeler la haute-cour nationale sans un délit personnel, ni porter un acte d'accusation sans un fait clair, précis, dénoncé nommément contre un individu. Les girondins ne se rebutèrent pas : Bazire se chargea de trouver un délit. On mit les espions en campagne, et Bazire eut bientôt un délit à présenter à l'Assemblée (1). Cet événement ayant été le prétexte de la formation de la haute-cour nationale, formation qui a le plus efficacement contribué au renversement du trône et de la constitution, je dois entrer dans quelques détails. Tout étant préparé, Bazire monte à la tribune et dit qu'il a un fait important à dénoncer : il montre une lettre d'un monsieur Varnier, receveur des fermes à Paris, adressée à l'un des receveurs particuliers de la Bourgogne; elle était datée du 30 octobre 1791.

<< Continuez, Monsieur et cher ami, écrivait >> Varnier à son correspondant, continuez de mettre >> la même adresse pour le passage de nos employés

veillance, institué le 25 novembre 1791, était chargé de recueillir les faits qui lui seraient renvoyés par l'Assemblée nationale, et qui seraient capables d'attaquer le maintien de la constitution ce sont les termes du décret.

(Note des édit.)

(1) Il est à croire que les espions n'eurent pas beaucoup de loisir pour remplir leur mission. La dénonciation des troubles de Caen fut faite le 11 novembre, celle de Bazire contre Varnier fut présentée dès le lendemain 12.

(Note des édit.)

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>> chez les émigrés; surtout ne faites pas partir de » ceux qui sont mariés, ce serait un moyen d'é>> venter la mèche, et de perdre tout le fruit de » nos soins. Ils écriraient à leurs femmes, qui ne >> manqueraient pas de dire leur véritable desti>> nation. Les soixante-trois employés, que vous >> avez fait passer, sont arrivés à Coblentz. On est » fort content; ce sont des hommes vigoureux >> faits pour tenir à la fatigue. Je vois, par la lettre » que l'on m'a communiquée, qu'ils ont promis de »ne point écrire en France, afin que nous ayions le » temps d'envoyer tous les employés de Dijon et » des environs, en leur faisant croire, au moyen >> de la fausse commission que vous leur remettrez, >> qu'ils vont droit aux frontières pour y empêcher » l'entrée de la contrebande. Comme il faut un » appât à ces gens-là, dites-leur qu'on y fait de » bonnes prises, que la vente de ces prises est » entièrement pour les employés, et que les fer>> miers généraux ne prennent plus rien. On est >> aussi très-content de M. Tardy; il fait passer » avec beaucoup d'adresse à l'étranger, et ne leur » donne de l'argent que lorsqu'ils en manquent >> absolument pour aller jusqu'à Coblentz. Je >> viens d'obtenir cinq cents livres que je vous en>> voie en sept assignats; accusez-m'en la récep>>tion, afin que je justifie de l'emploi. Si l'on par» vient à réunir une armée de vingt-cinq mille >> hommes bien déterminés, les connaisseurs as» surent que l'armée des gardes nationales aura

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