Page images
PDF
EPUB

Restait la troisième question : quelle peine infligera-t-on à Louis?

Les orléanistes et les jacobins redoublèrent d'efforts et d'intrigues on agita Paris; on effraya les députés que l'on croyait pencher en faveur de la justice. Tous reçurent des lettres anonymes, dans lesquelles on leur ordonnait, avec d'horribles menaces, de voter la mort du roi : on criait, en même temps, la liste des royalistes et des fédéralistes qui avaient voté l'appel au peuple; on les dénonçait aux jacobins, à la commune, aux assassins de septembre, comme des traîtres vendus aux puissances coalisées. Pache, ministre de la guerre, fit entrer un grand nombre de pièces d'artillerie, qu'il distribua aux sections de la faction d'Orléans : on parla de fermer les barrières, de sonner le tocsin. Les écrits, les placards séditieux se multiplièrent; les orateurs soudoyés des groupes reprirent une nouvelle activité. Mais il s'éleva tout-à-coup, au sein de l'Assemblée, une question qui, si elle eût été appuyée, aurait infailliblement renversé l'espoir flatteur que tant de manœuvres, et si profondément combinées, avaient donné aux orléanistes et aux jacobins. Lanjuinais (1) observa qu'avant de procéder à l'appel nominal, il était essentiel de statuer quel serait le mode de compter les voix ; et si l'on suivrait, à cet égard, les formes admises en matières criminelles dans tous les tribunaux.... Il

(1) Séance du 16 janvier.

est clair que la Convention, s'étant constituée juge de Louis XVI, devenait, du moment même, an grand jury, et qu'elle devait suivre, dans le prononcé de son jugement, les formes auxquelles la loi astreint les jurys. Or, la loi exige impérieusement les trois cinquièmes des voix pour la condamnation du prévenu, tandis qu'elle se contente du quart pour le renvoyer absous.

Danton prétendit que la Convention rendant des lois à une simple majorité, cette simple majorité suffisait pour la validité de tous ses actes; et l'Assemblée passa à l'ordre du jour : comme si un jugement en matière criminelle était un acte législatif, et pouvait jamais devenir une loi; comme si la Convention ayant été spécialement convoquée pour juger Louis, elle ne devenait pas, relativement à ce jugement, un véritable tribunal; et que dès lors les membres qui la composaient pussent être autres que les membres d'un jury ordinaire, soumis, ainsi que tous les jurys, aux formes établies par constitution.

la

Ce fut pourtant d'après cette futile distinction que l'on procéda à l'appel nominal: sept cent quarante-cinq membres composaient l'Assemblée; dixneuf étaient absens; cinq refusèrent de voter, ce qui réduisait le nombre des jurés à sept cent vingt-un. La majorité absolue était donc de trois cent soixanteun. Trois cent dix-neuf votèrent pour la détention, et le bannissement à la paix; vingt-trois pour la mort, avec sursis indéfini; huit pour la mort, avec

sursis déterminé; deux pour la mort, avec sursis jusqu'à la paix; deux pour les fers: total, trois cent cinquante-cinq. Trois cent soixante-un votèrent pour la mort. Majorité, six. Mais si l'on ajoute aux trois cent cinquante-cinq qui votèrent, soit pour la reclusion et le bannissement, soit pour la mort avec sursis, les cinq membres qui refusèrent d'émettre leur vote, et qui, certainement, ne pouvaient être pour la mort, puisque rien alors ne les eût empêchés de se prononcer : il est constant que la majorité réelle ne fut que d'une voix.

Le président venait de prononcer l'arrêt fatal (1); et la Convention, étonnée, gardait un morne silence, lorsque Desèze, Malesherbes et Tronchet parurent à la barre. Le président leur ayant accordé la parole, Desèze dit :

« Citoyens représentans de la nation, la loi et >> vos décrets nous ont confié la défense de Louis; >> nous venons avec douleur, aujourd'hui, en exer» cer le dernier acte. Louis nous a donné une >> mission expresse; il a chargé notre fidélité de >> vous transmettre un écrit de sa main, et signé » de lui; permettez que j'aie l'honneur de vous en » faire lecture. »

« Je dois à mon honneur, je dois à ma famille, » de ne point souscrire à un jugement qui m'in» culpe d'un crime que je ne puis me reprocher. » En conséquence, je déclare que j'interjette appel

(1) Séance du 17 janvier.

1

[ocr errors]

» à la nation elle-même du jugement de ses repré» sentans. Je donne, par ces présentes, pouvoir spécial à mes défenseurs officieux, et charge ex» pressément leur fidélité de faire connaître à la >> Convention nationale cet appel, par tous les >> moyens qui seront en leur pouvoir, et de de» mander qu'il en soit fait mention dans le procès>> verbal des séances de la Convention. >>

<< Citoyens, nous vous supplions d'examiner, » dans votre justice, s'il n'existe pas une grande >> différence entre le renvoi spontané, de votre » part, du jugement de Louis à la ratification du >> peuple français, et l'exercice du droit naturel et >> sacré qui appartient à tout accusé, qui appar» tient à tous les individus, oui, à tous, et par » conséquent à Louis, de réclamer contre une >> condamnation où toutes les formes n'ont pas » été suivies. Si nous n'avons pas nous-mêmes » élevé cette question lors de la défense de Louis, >> c'est qu'il ne nous appartenait pas de prévoir >> que vous le jugeriez souverainement. Nous vous » la proposons aujourd'hui, pour remplir un de>> voir dont il a chargé notre fidélité, et nous vous >> conjurons de la balancer avec cette sainte impar» tialité que la loi demande.

[ocr errors]

Citoyens, ici finit la mission que Louis nous » avait donnée. Maintenant que nous venons d'ap>> prendre que le décret fatal qui a condamné Louis » à la mort, n'a obtenu que de cinq voix la majo»rité sur une peine moins rigoureuse, et encore

» pourrions-nous réclamer les voix des membres >> qui sont absens, et penser qu'elles auraient pu >> être en så faveur; Législateurs, permettez-nous, >> soit comme défenseurs officieux de Louis, soit » comme citoyens pétitionnaires, de vous faire

observer, au nom de l'humanité, au nom de ce >> principe sacré qui veut que tout soit adouci, qui >> veut que tout soit mitigé en faveur de l'accusé ; » permettez-nous de vous dire que, puisqu'il s'est » élevé des doutes si considérables dans la Con>>vention même, sur la question de savoir si >> votre jugement serait soumis à la ratification du >> peuple, une circonstance si extraordinaire mérite » bien de votre amour pour le peuple, de votre » dévouement à ses intérêts, et de votre respect » pour ses droits, que vous vous déterminiez vo»lontairement à lui demander cette ratification.

>> Citoyens, nous n'ignorons pas que c'est par » un décret porté ce matin que vous avez jugé que » la majorité de plus d'une voix suffirait pour la >> validité du jugement que vous avez rendu; mais je >> vous le demande encore ici au nom de la justice, >> au nom de l'humanité, au nom de la patrie, >> usez de votre extrême puissance; mais n'étonnez » pas l'Europe du spectacle douloureux d'un arrêt » de mort prononcé à une majorité de cinq per

» sonnes.

[ocr errors]

Citoyens, nous remplissons ici pour la der» nière fois un ministère religieux, un ministère >> que nous tenons de vous-mêmes; et vous jugez

« PreviousContinue »