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ment reconnaître un pareil service! Je n'ai plus rien; quand même je leur ferais un legs, on ne l'acquitterait pas. Sire, leur conscience, l'Europe, la postérité, se chargent de leur récom-. pense : vous pouvez dès-à-présent leur en accorder une qui les comblera. — Laquelle ? - Embrassezles... » Le lendemain, Desèze et Tronchet arrivent à l'heure ordinaire. Louis se lève, s'avance vers eux, les presse contre son sein, et les embrasse l'un et l'autre, avec l'expression de la plus vive sensibilité. Desèze et Tronchet joignent leurs étreintes respectueuses à celles de ce bon prince, et arrosent son visage de leurs larmes. Tous les trois, confondus dans une foule de sentimens, à la fois délicieux et pénibles, gardent un silence expressif. Malesherbes les considère d'un air satisfait; et Louis voit avec plaisir qu'il ne s'est point trompé sur ces deux hommes, et qu'ils sont dignes du prix flatteur dont il vient de les payer.

Louis avait à terminer une affaire qui lui était encore plus personnelle; il connaissait la haine de ses ennemis; il savait qu'il ne pouvait en attendre que la mort, et il voulait mourir en chrétien. Il prit un matin Malesherbes en particulier : « Ma sœur m'a indiqué un prêtre qui n'a point prêté le serment, et que son obscurité pourra soustraire dans la suite à la persécution: voici son adresse. Je vous prie d'aller chez lui, de lui parler, et de le préparer à venir lorsqu'on m'aura accordé la permission de le voir. C'est une commission bien

étrange pour un philosophe, ajouta Louis avec un doux sourire. Je sais que vous l'êtes; mais si vous deviez souffrir autant que moi, que vous dussiez mourir comme je vais mourir, je vous souhaiterais les mêmes sentimens de religion; ils vous consoleraient bien mieux que la philosophie! »

Tranquille sur ce point, Louis se rejeta dans les bras de ce père commun des hommes, qui ne délaisse jamais entièrement les malheureux, et attendit avec la sécurité d'une conscience pure le jour de sa dernière comparution à la barre de l'Assemblée. On prit des mesures encore plus imposantes pour cette seconde comparution, que celles que l'on avait prises pour la première. Neuf mille six cents hommes de réserve aux sections, dix mille hommes et cinquante pièces de canon répartis sur les places publiques, aux prisons, et aux différentes caisses; six cents hommes armés de fusils, ayant chacun six coups à tirer, environnaient la voiture où était le roi; deux forts détachemens de cavalerie formaient l'avant-garde et l'arrière-garde. Cet appareil formidable était bien inutile. Tous les honnêtes gens s'étaient retirés dans l'intérieur de leurs maisons, Paris semblait une vaste solitude, et le peuple, en très-petite quantité, que la curiosité attira sur le passage du roi, garda constamment un morne silence.

Louis entra dans la salle avec ses trois défenseurs officieux; ils se placèrent à la barre. Louis

s'assit; le président (1) lui ayant dit que la Convention allait l'entendre définitivement, Desèze prit la parole.

<< Citoyens représentans, il est donc enfin arrivé, >> le moment où Louis, accusé au nom du peuple >> francais, peut se faire entendre au milieu de ce >> peuple; il est arrivé, ce moment où, entouré >> des conseils que l'humanité et la loi lui ont don» nés, il peut présenter à la nation une défense » que son cœur avoue, et développer devant elle » les intentions qui l'ont toujours animé. Déjà le >> silence qui m'environne m'avertit que le jour de la >> justice a succédé aux jours de colère et de pré>>ventions; que cet acte solennel n'est point une » vaine forme; que le temple de la liberté est >> aussi celui de l'impartialité que la loi com» mande, et que l'homme, quel qu'il soit, qui se » trouve réduit à la condition humiliante d'accusé, » est toujours sûr d'appeler sur lui, et l'attention » et l'intérêt de ceux mêmes qui le poursuivent; je dis l'homme quel qu'il soit, car Louis n'est » plus en effet qu'un homme, et un homme ac» cusé il n'existe plus de prestige; il ne peut » plus imprimer de craintes, il ne peut plus offrir » d'espérances : c'est donc le moment où vous lui » devez le plus de faveur; toute la sensibilité que » peut faire naître un malheur sans terme, il a le >> droit de vous l'inspirer; et si, comme l'a dit un

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(1) Fermont.

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républicain célèbre, les infortunes des rois >> ont, pour ceux qui ont vécu sous des gouverne >> mens monarchiques, quelque chose de bien plus » attendrissant, de bien plus sacré que les infor» tunes des autres hommes, sans doute que la » destinée de celui qui a occupé le trône le plus >> brillant de l'univers, doit exciter un intérêt >> plus vif encore. Cet intérêt doit même s'accroître » à mesure que la décision que vous allez pro»›noncer sur son sort s'avance. Jusqu'ici vous » n'avez entendu que les réponses qu'il vous à » faites vous l'avez 'appelé au milieu de vous, il » y est venu; il y est venu avec calme, avec courage, » avec dignité, il y est venu plein du sentiment de » son innocence, fort de ses intentions, dont au»cune puissance humaine ne peut lui enlever ce » consolant témoignage; et, appuyé en quelque >> sorte sur sa vie entière, il vous a manifesté son >> ame, il a voulu que vous connussiez et que la >> nation connût par vous tout ce qu'il a fait, il » vous a révélé jusqu'à ses pensées. Mais, en vous » répondant ainsi au moment même où vous >>>> l'appeliez, en discutant sans préparation et sans >> examen des inculpations qu'il ne prévoyait pas,

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improvisant, pour ainsi dire, une justification » qu'il était bien loin d'iret ner devoir vous » donner; Louis n'a pu que vc nire son inno>> cence; il n'a pu vous la démontre il n'a pu vous >> en produire les preuves. Moi, Citoyens, je vous

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» les apporte, je les apporte à ce peuple au nom >> duquel on l'accuse.

» Je voudrais pouvoir être entendu, dans ce mo»ment, de la France entière; je voudrais que cette >> enceinte pût s'agrandir tout-à-coup pour la re»cevoir. Je sais qu'en parlant aux représentans » de la nation, je parle à la nation elle-même ; » mais il est permis sans doute à Louis de regretter » qu'une multitude immense de citoyens ait reçu >> l'impression des inculpations dont il est l'objet, » et qu'ils ne soient pas à portée d'apprécier les >> réponses qui les détruisent. Ce qui lui importe » le plus, c'est de prouver qu'il n'est point cou»pable; c'est là son you, sa seule pensée. Louis »sait bien que la postérité recueillera un jour les » pièces de cette grande discussion qui s'est élevée » entre une nation et un homme: mais Louis ne songe qu'à ses contemporains; il n'aspire qu'à >> les détromper; nous n'aspirons nous-mêmes qu'à » le défendre; nous ne voulons que le justifier; >> nous oublions, comme lui, l'Europe qui nous » écoute; nous oublions la postérité, dont l'opinion » déjà se prépare; nous ne voulons voir que le mo»ment actuel; nous ne sommes occupés que du » sort de Louis, et nous croirons avoir rempli » toute notre che quand nous aurons démontré » qu'il est in

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» Je ne

re

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pas d'abord, Citoyens, vous dis» simulere ça été pour nous une profonde dou» leur) que le temps nous a manqué à tous, mais

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