Page images
PDF
EPUB

Cet arrêté souleva tous les hommes qui conservaient un reste d'honnêteté publique. La Convention le cassa; et, malgré les vociférations des orléanistes et des jacobins, décréta que Louis communiquerait librement avec ses défenseurs officieux.

Le roi choisit Tronchet et Target, tous les deux avocats célèbres du parlement de Paris, tous les deux membres distingués de l'Assemblée constituante. Target refusa (1): mais si ce refus affecta Louis, son ame s'ouvrit à un sentiment consolateur, lorsqu'il apprit que Lamoignon de Malesherbes s'offrait pour remplir cet honorable devoir. Malesherbes ne suivit que l'impulsion de son cœur ; et sans savoir si l'on donnerait à Louis un défenseur, et si on lui en laisserait le choix, il écrivit au président de l'Assemblée (2), « qu'appelé deux fois au conseil de celui qui fut son maître, dans un temps où cette fonction était ambitionnée par tout le monde, il lui devait le même service aujourd'hui, que c'était une fonction que beaucoup de gens trouvaient dangereuse. Si je connaissais. ajoutait-il, un moyen possible d'apprendre à Louis mes dispositions, je ne prendrais pas, monsieur le président, la liberté de m'adresser à vous: j'ai

(1) La lettre que Target écrivit à ce sujet à la Convention doit être conservée par l'histoire. Elle fait partie des pièces historiques placées à la fin de ce volume (M).

(Note des édit.)

(2) Séance du 13 décembre.

pensé que, dans la place que vous occupez, vous avez plus de moyens que personne de l'en ins

truire. »

Louis avait toujours distingué Malesherbes de cette foule de courtisans bien plus attachée à l'éclat du trône qu'à la personne du monarque. II l'estimait; et, lorsque Malesherbes, en 1776, quitta pour la première fois le conseil, Louis, frappé de la perte qu'il allait faire, lui dit d'un ton de reproche mêlé d'attendrissement : «< Que voulez-vous donc que je devienne, si tous les honnêtes gens m'abandonnent (1)?» Leur première entrevue fut touchante : Louis était seul; il avait un Tacite ouvert devant lui sur une petite table; aussitôt qu'il aperçut Malesherbes, quittant sa lecture, il se leva avec précipitation, courut à sa rencontre et le serra dans ses bras: bientôt une

(1) Un écrivain anglais a publié en France, en 1803, sous le titre de Correspondance politique et confidentielle inédite de Louis XVI, un recueil de lettres attribuées à ce prince infortuné. Une de ces lettres, qui portent toutes l'empreinte de la bonté de son cœur, est adressée à Malesherbes, de la prison du Temple, au moment où Louis fut informé de l'offre généreuse de son vertueux ministre. Quoique nous n'ignorions pas que des personnes dignes de foi ont révoqué en doute l'authenticité de la Correspondance inédite de Louis XVI, cette lettre est si belle et semble dictée par de si nobles sentimens, que nous n'avons pu résister au désir de la mettre sous les yeux du lecteur dans les pièces historiques (N). (Note des édit.)

[ocr errors]

foule d'affligeans souvenirs vinrent l'assaillir; ses yeux se mouillèrent de pleurs. Malesherbes, entraîné par les mêmes sentimens, mêla ses larmes à celles du roi. « Votre sacrifice est d'autant plus généreux, lui dit Louis, que vous exposez votre vie, et que vous ne sauverez pas la mienne. ne saurait y avoir de danger pour moi, reprit Malesherbes; il est si facile de vous défendre d'une manière victorieuse, qu'il n'y en a pas même pour vous. J'en suis sûr, répliqua Louis, ils me feront mourir; ils en ont le pouvoir et la volonté...; » et après un moment de réflexion : « N'importe, occupons-nous de mon procès comme si je devais le gagner; je le gagnerai en effet, puisque la mémoire que je laisserai sera sans tache. Au reste, si l'on me condamne à la mort, vous m'y verrez marcher Monsieur de Malesherbes, avec un front aussi serein que celui que vous me voyez maintenant. On est peut-être surpris de ce que je ne décline pas la juridiction qui doit me juger, comme n'en ayant pas le droit. J'ai toujours aimé mon peuple ; je crois devoir faire tous mes efforts pour lui épargnér un grand crime. Mais quand viendront Desèze et Tronchet? >>

Louis avait vu Tronchet à l'Assemblée constituante; il ne connaissait pas Desèze : il fit plusieurs questions sur son sujet, et parut satisfait des éclaircissemens que lui donna Malesherbes.

Cependant l'on continuait à discuter les bases d'après lesquelles on procéderait au jugement de ce

III.

20

grand procès. Je n'entreprendrai point l'analyse des opinions qu'émirent les députés; ce ne sont que des lieux communs oratoires sur les rois, sur les peuples, presque toujours étrangers à Louis, et même à l'acte d'accusation intenté contre lui. La plupart des membres de la Convention, anticipant sur le moment où cette affaire serait soumise à leur décision, prononçaient la sentence de mort sans songer que, se faisant partie, ils ne pouvaient plus être juges. Voici le raisonnement de Mailhe.

« La nation n'est pas liée par le décret qui a » prononcé l'inviolabilité; car il n'existe pas de >> réciprocité entre la nation et le roi. Louis XVI » n'était roi que par la constitution, et la nation » était souveraine sans constitution et sans roi. » Mais, dit-on, Louis XVI est jugé et puni par >> la privation de son sceptre constitutionnel: vaine

objection. Si le corps législatif eût prononcé la » déchéance conformément à l'acte qui lui donnait » un successeur, cette déchéance serait une peine, » et la constitution résisterait à une peine ulté» rieure. Mais on n'a pas dit que Louis XVI était indigne d'être roi; on a dit qu'il n'y avait plus » de roi en France; ainsi Louis XVI n'est ni jugé >> ni puni. »

[ocr errors]

C'est avec ces principes subversifs de toute justice, avec ces misérables sophismes, ces puériles et astucieuses chicanes d'un procureur de mauvaise foi, que l'on s'efforçait d'obscurcir une vérité

éternelle, que nul citoyen ne saurait être assujetti à une autre peine que celle portée par la loi; que la constitution fixant les délits qui entraînaient la déchéance, et l'Assemblée législative s'étant récusée, et ayant appelé une Convention pour juger Louis, c'était à cette Convention à examiner s'il avait commis ces délits, et à déclarer à la nation qu'il était déchu; déclaration qui devait nécessairement précéder l'abolition de la royauté et l'établissement de la république, puisqu'elle seule y donnait ouverture, et dégageait les Français du serment de fidélité qu'ils avaient prêté à Louis: mais déclaration qui, en forçant ce prince de descendre d'un trône dont on le jugeait indigne, était l'unique peine à laquelle il pouvait être soumis puisque, aux termes de la constitution, c'était la plus grande de celles qu'il pouvait encourir.

Plusieurs députés dédaignaient même d'employer ces dehors mensongers. «Quand Louis XVI, s'écria Saint-Just, n'aurait commis d'autre crime que celui d'être roi, il mériterait la mort; nous avons moins à le juger qu'à le combattre : hâtezvous de prononcer; on cherche à remuer la pitié. »> Pétion ajouta que si la décision de cette affaire contrariait l'opinion publique, on devait s'attendre à un mouvement sérieux dans Paris. En effet, ce n'était seulement à l'Assemblée que cette grande cause excitait les débats les plus scandaleux; Paris tout entier était agité des mêmes convulsions; l'anarchie la plus dégoûtante semblait y avoir éta

pas

[ocr errors]
« PreviousContinue »