Page images
PDF
EPUB

senter un compte très-détaillé de son administration. Il déclara que n'ayant point été appelé à la reddition de compte que les ministres, conformément au décret de l'Assemblée législative, devaient se rendre entre eux, il ignorait si les comptes avaient été rendus, et comment ils avaient été rendus; qu'il s'était déterminé à remettre directement à la Convention l'état comparatif des fonds qu'il avait reçus, et des dépenses qui s'étaient faites. dans le département de l'intérieur depuis sa rentrée au ministère; qu'il y joignait les quittances et autres pièces justificatives à l'appui; décidé à ne laisser aucun doute sur la fidélité de sa gestion, et à fermer pour toujours la bouche à ses calomniateurs (1). Danton, sans paraître s'apercevoir du véritable but de cette démarche, répondit, d'un

que nous publierons incessamment offrent des renseignemens sur le même personnage. Nous n'entrerons donc ici dans aucun détail; toutefois l'histoire, qui doit être impartiale même à l'égard des hommes qui ont le plus mérité sa juste animadversion, n'oubliera pas quelques faits honorables pour Danton: elle n'oubliera pas que ce démagogue forcené était resté accessible aux sentimens de la nature; que son cœur s'ouvrait encore aux affections privées; qu'il était bon père de famille, et que plus d'une fois il rendit service à des hommes d'un parti contraire. Nous avons rapporté ces faits parce qu'il nous semble que c'est une consolation pour l'humanité de trouver encore quelquesuns des sentimens qu'elle inspire dans le cœur de ceux-là mêmes qui l'ont le plus cruellement outragée. (Note des édit.)

(1) Séance du 18 octobre.

air indifférent, que les ministres, conformément au décret, s'étaient rendus mutuellement compte des sommes qu'ils avaient eues en maniement; que si Roland n'avait pas assisté à cette reddition de compte, c'était sa faute; qu'il n'avait tenu qu'à lui de s'y trouver; que les circonstances avaient exigé des dépenses secrètes, impossibles à justifier par des quittances légales; que ces dépenses avaient eu pour but le salut public : ce n'était pas dans une crise violente de révolution, qu'il fallait regarder à l'argent; si l'on avait dépensé dix millions de plus, aucun des ennemis n'aurait sorti du territoire français. Les orléanistes et les jacobins applaudirent; les girondins n'osèrent répliquer. Danton sortit victorieux de cette intrigue mal ourdie, se moquant des girondins, et de leur ministre Roland; homme faible, disait-il d'un ton de mépris, qui s'étonne des grandes destructions, incapable de s'élever jamais à la hauteur des circonstances.

Les deux partis en revinrent aux libelles, aux adresses, aux placards. Et au milieu de cet amas de reproches injurieux, dont aucun ne tombait à faux, tant les chefs étaient méprisables, se montrait à nu le squelette hideux des passions les plus viles, et un désir insatiable de s'enrichir et de dominer, sans qu'ils daignassent même le masquer de la plus légère draperie.

Les girondins et leur ministre Roland tenaient la même conduite qu'avaient tenue les constitutionnels sous l'Assemblée législative : ils auraient dû

voir, par le peu de succès qu'avaient obtenu ceuxci, le peu de succès qu'ils obtiendraient eux-mêmes. Au vrai, les mêmes causes amènent presque toujours au moral, comme au physique, les mêmes effets. Roland inondait les départemens d'instructions de journaux. Il imitait Necker dans ses éternelles jérémiades à l'Assemblée, et dans ses ridicules forfanteries de désintéressement et de vertu. Sa femme, ainsi que la femme de Necker, bel esprit philosophe, composait des messages, écrivait des lettres, donnait des dîners; exerçait, sous le nom de son mari, le ministère de l'intérieur. Les jacobins suivaient avec les girondins la marche qu'avaient suivie les constitutionnels avec la cour, et que les girondins avaient suivie avec les constitutionnels. Aussi, tous ces génies étroits, mauvais copistes des Mirabeau, des La Fayette, des Lameth, se traînaient-ils pesamment sur leurs traces. Cette Convention, composée des élémens les plus dissem→ blables, n'offre aucune observation importante au politique, aucun trait caractéristique à l'historien: ce n'est qu'un chaos d'opinions et de desseins se croisant sans cesse. Point d'unité de vue dans les plans; aucun accord dans les moyens; aucune union entre des hommes, que tout, jusqu'aux mêmes crimes, aurait dû réunir; nulle expérience du passé, nulle prévoyance de l'avenir, nul courage au moment du danger; une vacillation perpétuelle d'un parti à un autre parti; une rivalité d'amour-propre; un petit intérêt de l'instant, l'emportant sur les mo

tifs les plus puissans de demeurer unis l'un à l'autre : toujours le prétexte du bien public : toujours le calcul de la faction; des phrases pour les tribunes, des phrases pour les journaux ; des noms avec lesquels on s'efforçait de décrier les hommes et les choses; un jargon barbare; tous les mots de la langue dénaturés, afin de dénaturer plus sûrement, aux yeux d'une populace imbécile, les idées primitives du beau, du bon, du vrai : une exagération de grossièreté dans les manières, de férocité dans les propos; s'imaginant devoir se faire populace, pour se montrer populaire : des législateurs, chargés de donner une nouvelle constitution à un grand peuple, le mettant tout d'abord en contradiction avec ses mœurs, ses habitudes, son antique croyance; l'isolant de toutes ses idées naturelles. et de toutes ses idées acquises; le rendant en quelque sorte étranger à lui-même, et aux peuples avec lesquels il est nécessairement en rapport.

Les girondins menaçaient et ne frappaient point; les jacobins, combinant mieux leur marche, n'instruisaient leurs adversaires du coup qu'ils se préparaient à porter, qu'en portant le coup lui-même. Les girondins accusaient leurs ennemis de projets factieux, et en cela ils avaient raison. Mais n'étaient-ils pas tous des factieux? ne voulaient-ils pas tous asseoir leur domination sur la ruine de toutes les autorités, leur fortune sur les débris de toutes les fortunes? Eh! qui doutait des vues de sang et d'anarchie de Marat, de l'ambition hypo

:

crite de Robespierre, des intrigues et des espérances de d'Orléans, de l'esprit à la fois pillard et tyrannique de la commune! Il ne fallait pas les dénoncer; il fallait les combattre mais les girondins cherchaient à couvrir leurs vues ambitieuses du masque du bien public; ils invoquaient la loi, et leur existence était une usurpation de la force. Ne savaient-ils pas que dans un temps de révolution, l'homme qui se renferme dans les bornes de la loi, est toujours la victime de celui qui, osant la braver, n'en reconnaît d'autre que celle que lui présentent les temps, les lieux, et son intérêt ?

Cependant les orléanistes et les jacobins ne perdaient point de vue le jugement de Louis; les sociétés populaires, les journaux, les groupes se plaignaient de ce que, sous de frivoles prétextes, on différait de jour en jour le rapport de ce grand procès. On reprochait à la Convention sa nonchalance; on accusait les girondins de vouloir sauver le tyran; on avertissait les députés que les appels nominaux seraient imprimés, qu'ils indiqueraient les vrais amis du peuple : malheur à ceux qui l'auraient trahi! En même temps, afin d'alimenter les préventions de ce même peuple, on ressassait la vie entière de Louis, on allait lui cherchant de toutes parts des crimes vrais ou faux. Un serrurier de Versailles apprit à Roland qu'il y avait au château des Tuileries une armoire fermée d'une porte de fer dont lui seul connaissait le secret. Roland

« PreviousContinue »